Je viens de retrouver, le temps d’une longue fin de semaine, une partie des sentiments qui m’avaient habité au cours de Burning Man. Pendant ces quelques jours, Tassa, Clam, Mowglie, Joseph, Cassy, Pixi, Forest, et tout les autres, m’ont à nouveau donné un exemple magnifique du sens de la communauté. Installés sur le bord de la rivière, au pied d’une cascade magnifique, juste en face des Sources Chaudes d’Umquat. Il suffit de traverser le cour d’eau pour les rejoindre.

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Quiconque passe à portée de voix se voie invité ; à prendre un café, fumer une cigarette, manger quelque chose… je me suis joins à la communauté tout naturellement le vendredi soir. J’ai apporté mes quelques talents, beaucoup d’essence, et j’ai été accueilli avec énormément de générosité, d’amitié, et de nourriture. La différence, c’est que cette communauté, temporaire et aléatoire (un bus scolaire réaménagé en provenance du Vermont, un autre bus scolaire réaménagé, pour une famille de 7 enfants, et quelques amis de passage), se forme, se déforme, et se transforme. Elle se déplace sans jamais s’arrêter. Ce sont des descendants directs du mouvement hippie, version bohème. Ils boycottent Burning Man pour la plupart, parce que c’est payant, et que c’est cher. À la place, la plupart participe à des Rainbows Gathering. Des rassemblements gratuits, d’envergure changeante, et ayant lieu un peu partout aux États Unis. Il paraît qu’il y en a un dans l’état de Washington, en novembre…

Tassa a 21 ans. Originaire de l’Ohio, elle a passé toute sa jeunesse en Alaska. Elle fugue a 16 ans pour aller rejoindre sa mère, dans la région des grands lacs. À 17 ans, elle a pris la route. Ça fait 4 ans qu’elle voyage, qu’elle mène une vie de nomade. Elle me fascine au plus haut point. J’ai besoin de la comprendre, j’ai besoin de saisir ses motivations. Mais elle partira toute seule de son côté, moi du miens. Ma vie est trop rapide pour elle, et elle se revendique hautement indépendante. Elle va passer quelques temps dans le nord de la Californie ; j’aurais peut être l’occasion de la recroiser. Son rêve, c’est d’avoir son propre « school bus » à elle, pour emmener des enfants avec elle, et leurs apprendre les arts du cirque. Les vieux autobus jaunes sont rachetés, réparés, aménagés. Ils sillonnent les routes de l’Amérique du Nord. On les retrouve surtout sur la côte ouest, tellement ouverte à ce niveau. Nous sommes dans une forêt nationale, le camping sauvage est donc autorisé. En plus des deux autobus, il y a beaucoup de groupes, installés un peu partout, dans la forêt, qui profitent gratuitement des sources chaudes. Tout le monde cohabite sans le moindre problème.

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Deux jours complets à découvrir ces gens et leur mode de vie. La journée à discuter, à relaxer dans les sources chaudes, à se pratiquer à jongler. Le soir, au coin du feu, guitares, tamtams, chants. Un accordéon, aussi, qui passait par là. Comme presque à chaque fois, je me demande ce que serait ma vie aujourd’hui si à la place de « piano classique » j’avais choisi la guitare a 10 ans… je n’ai aucun regret : je continue à préférer le piano ; il s’agit simplement de curiosité. Et d’un (tout petit) peu de jalousie.

On a fait une petite virée en van le samedi, pour aller faire le plein. Il n’y avait plus rien à boire. Le magasin le plus proche, tout comme le téléphone le plus proche, sont à 30 kilomètres de route. Tout est partagé sans que l’on se pose de questions. De temps en temps, quelqu’un fait à manger. Il y en a une certaine quantité, imprécise, aléatoire. Des gens ont des cigarettes, d’autres non. Ce ne sont pas toujours les mêmes. Le tabac se passe d’une main à une autre sans soucis.

J’ai perdu le décompte du temps horriblement vite. J’ai déconnecté de beaucoup de choses, je me suis retrouvé à un niveau de vie des plus simples. Manger du gruau avec une capsule de bière, dans un couvercle en plastique, ça marche parfaitement et un morceau de boîte en carton convient parfaitement pour faire une assiette. On fait avec ce que l’on a, on se débrouille, et ça fait du bien. On ne se complique pas. On vit, on est heureux, et c’est tout. Ça fait plaisir d’entendre Tassa répéter à plusieurs reprises “I love my life”. J’aime ce mode de vie où, contrairement à Burning Man, il n’y a rien à faire. L’animation, c’est nous qui la faisons, quand on en a envie. Sinon, on peut aller aux sources chaudes, jongler, ou se promener dans les environs.

Là où je suis sincèrement impressionné, c’est l’état du campement. Le soir, c’est une vingtaine de personnes au coin du feu. Dans la journée, il y a toujours des gens qui se promènent, qui font à manger, du thé, du café… le samedi, quand je me suis couché, c’était un chaos relativement impressionnant. Le lendemain, quand je me suis levé, le ménage avait été fait. J’ai fait ma part, le dimanche après midi. Je me suis promené pour ramasser ce qui traînait. Faire du « MOOPING ». Le terme me plaît et est resté. L’ensemble était relativement propre. Définitivement plus propre que ce que j’aurais attendu d’un groupe identique mettons… en France, par exemple.

En fait, l’une des rares choses qui me dérangent, même si c’est un peu bête, c’est qu’ils ont quasiment tous le même look. Et en même temps, ça semble parfaitement normal… les dreads, ça évite de se laver les cheveux. La barbe, pas besoin de la raser. Les vêtements sombres, ça se voit moins quand c’est tâché. L’équipement provenant des surplus militaires ? C’est ce qu’il y a de moins cher. Le tatouage et les piercings marquent leur volonté d’être marginaux… je n’aurais pas assez de temps pour les connaître, pour comprendre leur mode de vie. J’aurais sans doute dû poser des questions… après tout, les 70$ de bières ont été payé avec une carte bancaire. Et quand vient le temps de noter un numéro de téléphone, c’est dans leur cellulaire qu’ils le font. Débrouillardise et musique/mendicité ? C’est tout à fait possible. Tassa m’explique qu’ils ne paient quasiment jamais l’essence pour le bus. Ils arrivent toujours à négocier un peu de diesel au prêt des stations. Comment ? Je n’en ai pas la moindre idée. Et puis il y a aussi les chiens, quasiment omniprésents. Je ne comprends pas. Mais le fait que je n’aime pas les chiens y est sûrement pour beaucoup. Il y a 5 ou 6 chiens en permanence, ça fait du bruit, et jusqu’à trois chats.

Je fais une deuxième petite virée le dimanche, pour rejoindre le téléphone cette fois. Il fallait que j’appelle Amtrak, pour annuler mon billet de train. C’est fait. C’est confirmé. Je ne fêterais pas mes 30 ans à Montréal. San Francisco semble finalement l’emporter. Enfin, pour en être sûr, j’attendrais quand même dimanche prochain. Pourquoi Pas ? me refait le coup des freins qui ne marchent plus, et ça ça m’interpelle beaucoup. Angoissé, pas vraiment. Si c’est à nouveau la roue arrière droite, est-ce que ça veut dire que ça a été mal réparé ? Ou que ça va se reproduire tout les 5000 kilomètres ? Et si c’est une autre roue, est-ce que ça veut dire que ça va se reproduire pour les deux restantes ? Encore, et encore, et encore des questions qui viennent tout compliquer dans ma tête. Un sac à dos et un pouce, c’est bien rare que ça tombe en panne.

Je me déconnecte de plus en plus en ce moment, et je sens bien que j’en ai besoin. Demain, je pars, quelque part. Je sais pas trop où. À priori, l’océan… je n’ai pas le goût de reconnecter. Bien sûr que j’envie la liberté de Tassa. Tout comme j’envie ces gens, dans leur lofts Ikea du centre ville. Ces nouveaux parents, heureux un enfant dans les bras. Ces gens qui travaillent sur la route. Trop d’incompatibilité dans trop d’avenirs possibles et fascinants. Comme j’essaie d’expliquer à Tassa, je suis à un carrefour, et je n’ai aucune idée de la direction à prendre pour le moment. J’essaie de lui expliquer, parce que j’ai beau parler anglais sans aucun problème maintenant, il y a encore, des fois, des concepts qui me bloquent. En fait, j’aimerais tenter la même expérience en France ou dans un endroit francophone, où je pourrais, en plus, partager mes histoires. Un conteur qui ne peut conter, ça sonne triste à mes oreilles.

L’automne s’est installé en une fin de semaine. C’est impressionnant comme tout a tourné instantanément…