Pas de surprise : la nuit a été mauvaise, comme prévu. Je me réveille fatigué, et un peu frustré à cause de ça. Mon plan initial était de dormir sur une aire d’autoroute, en même temps ; ça aurait été bruyant de toutes façons. Mais sans doute un peu moins quand même. Enfin… j’ai de la route à faire, et pas vraiment de raisons pour m’éterniser.
La route jusqu’à Portland, sous la pluie, est d’un magnifique sans intérêt. Enfin presque. J’ai découvert lors de mon dernier passage que pour encourager les gens à s’arrêter, on trouvait du café gratuit (et surtout du chocolat chaud gratuit) sur les aires de repos. Personnellement, le concept me plaît bien. Il y a même quelques biscuits. Je me reposerais donc deux fois en 80 kilomètres, à titre de prévention. On sait jamais après tout ! Mais bon ; à part les aires de repos, donc, et l’abrutis de première qui a failli me rentrer dedans, par derrière, alors qu’il faisait un dépassement par la droite d’une voiture situé en arrière de moi, une voie à gauche (c’est assez surprenant de voir soudainement apparaître dans son rétroviseur une voiture qui roule super rapidement, qui pile, qui commence à déraper, avant de reprendre le contrôle, réaccélérer, changer de file, et finalement doubler par la gauche ; ça valait bien un autre chocolat chaud pour les nerfs ! ) à part ça, donc, rien de bien passionnant jusqu’à Portland. Par contre, un excellent feeling, et la conviction que ça va être un événement mémorable.
Première constatation : le fait que l’on puisse commencer à entrer sur le site à 15h ne signifie pas qu’une horde gigantesque de gens va faire la file à cette heure là. Il pleuvote, il n’y a pas grand monde, et l’endroit où tout cela va avoir lieu est bien petit, mais très prometteur. Et puis le parking étant juste de l’autre côté de la rue (et accessoirement fait de tel sorte que je pourrais y dormir sans problème), j’ai ma maison à portée de main. D’ailleurs, je commencerais par plusieurs aller retour, entre le van et le site, voir si les choses évoluent. Les gens arrivent au compte goûte, mais étrangement, le sentiment d’être de retour à Black Rock City est là. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en ai aucune idée. Contrairement à San Francisco, les gens ne sont pas déguisés ; ils sont en habits de tout les jours. Mais la pluie vient rajouter un peu de saleté (c’est peut être ça !) et puis l’aménagement temporaire du site saute aux yeux. On retrouve le côté « camp de réfugiés » de Burning Man. Ici, le mot d’ordre est clair. Rien de commercial, rien à vendre, pas d’argent. À marcher tout seul, à errer au hasard (le tour du site se fait en 4 minutes 22) je me retrouve rapidement à parler à une ou deux personnes.
Il y a une tente, avec un gars qui joue du violoncelle, version hautement et extrêmement expérimental. Et puis il y a une fille en train de dessiner sur une nappe, qui me fait un sourire adorable, alors que je sors de la tente, pour retourner faire un petit tour dans le van. Je lis un peu, range quelques affaires, prends mon temps. Il n’y a rien à faire, il n’y a pas grand monde, et pourtant j’adore l’atmosphère et la façon dont les lieux semblent vibrer. J’y replonge donc, avec le sourire. Mes pas me ramène sous la tente. La fille est toujours là, toujours en train de dessiner. J’attrape un feutre, je gribouille un « no dust, only happiness ». Je sais, je suis redondant, mais ça me plaît toujours. On commence à discuter. Elle s’appelle Danielle ; elle est originaire du Kansas, mais habite Portland depuis un an. Elle ne connaît pas grand monde en ville, et elle est venue seule, un peu au hasard. On se retrouve tout les deux bien content d’avoir finalement un peu de compagnie pour la soirée. Et puis elle est venue sans apporter de manteau. Comme j’en ai un deuxième, je lui propose. Elle accepte avec grand plaisir, et m’accompagne jusqu’au Pourquoi Pas ? pour le récupérer. La pluie commence à tomber un peu plus fort, du coup on reste un moment, bien au chaud à l’intérieur, à discuter. On fera, au final, plusieurs allers retours entre le van et le site, dépendant de la météo et de ce qui se passe.
Danielle a quitté sa job il y a deux semaines. Elle était tannée, elle n’aimait pas ça. À la place, elle joue de la guitare, et elle chante dans la rue, pour payer son loyer. Elle joue aussi de l’accordéon et du piano. Dans ce contexte, évidemment, difficile de ne pas parler musique. Un sujet sur lequel on se retrouve étrangement. Elle apprend aussi le jonglage contact (avec boule de verre) ; moi c’est le jonglage qui bouge qui m’intéresse. On rigole, on s’entend bien, on semble partager pas mal de choses. Mue par une idée soudaine, je lui demande si elle a de quoi de prévu la semaine qui s’en vient. Elle réfléchit un peu. Son emploi du temps est parfaitement vide. L’idée d’une balade en van dans le sud de l’Oregon lui plaît bien. Je lui parle des sources chaudes, du bus scolaire, de ces amis que je m’en vais retrouver. Je suis persuadé qu’elle fiterait parfaitement avec tout le monde, et Pourquoi Pas ? l’a prouvé : la place pour deux, ça ne manque pas.
Je me sens proche de Danielle. J’ai toujours été rapide pour m’attacher aux gens, pour me sentir proche des gens que je rencontre. Je me demande à quel point le fait de ne pas avoir vu mes « vrais » amis depuis plus de trois mois vient encore intensifier les choses. Mais au final, à force de discuter, on oublie petit à petit ce qui se passe en dehors du van. On fera quand même une dernière excursion, entre 23h et 1h, histoire de voir les performances des artistes de feu. À cause de la pluie, je ne ferais pas beaucoup de photos, mais j’ai quand même grand plaisir à regarder. Plus de plaisir, encore, à regarder les yeux émerveillés de Danielle, qui n’a pas autant l’habitude que moi de voir ce genre d’événements.
On écoute encore un peu de musique, mais il ne fait pas très chaud. On retourne une fois de plus se cacher dans le van, un grog à la main pour se réchauffer. On parle, on discute, on fait des plans. En fait, ce qui l’inquiète un peu, c’est comment revenir à Portland après les sources chaudes. Moi, ce qui m’inquiétait, c’était de devoir aller trop rapidement jusqu’au rendez-vous, et de ne pas pouvoir prendre assez de temps pour admirer le paysage. Je n’ai rien de prévu après les sources chaudes, je fais donc quelques ajustements dans ma tête. Je pensais partir dimanche (demain donc) ou lundi. En fait, ça arrange un peu Danielle si on part un peu plus tôt. Et ça m’arrange aussi, vu que je pourrais faire réparer les lumières du Pourquoi Pas ?. Comme Danielle peut m’héberger, le nouveau plan consistera finalement a partir seulement jeudi pour rejoindre le bus scolaire. Ça nous donne deux jours pour faire la route vers le sud rapidement, et plus de temps pour remonter jusqu’à Portland ensuite. De mon côté, ça voudrait dire qu’ensuite, je quitterais Portland pour Chicago. C’est logique, et ça se tient.
C’est bien connu. Le temps passe vite en charmante compagnie. Et on ne s’en rend pas compte. Je suis donc pas mal surpris, alors que je sors prendre l’air deux minutes à un moment, de voir qu’il fait quasiment jour dehors. Il est déjà 7h du matin. On discute quand même encore un peu, mais on finit par être raisonnable, à se taire, et à s’endormir bien au chaud à l’arrière du van.