Il y a une différence énorme entre « mon voyage se terminera quand je rentrerais » et « je rentrerais quand mon voyage se terminera ». Malgré une météo horrible, je suis très bien à Portland. C’est sans doute mieux, d’ailleurs, que le temps soit mauvais et pas inspirant. S’il y avait un grand ciel bleu à l’année longue, je pense que je serais déjà en train de faire les plans pour ne pas avoir à repartir. Au moins, le ciel gris me motive un peu à aller voir ailleurs. Et puis je me rends bien compte que je suis prêt à rentrer. J’ai fait ce que j’avais à faire. Mon voyage est terminé. Je sais qui je suis, je sais où je veux aller. Bon, c’est pas aussi simple, c’est pas aussi précis ; comme je le disais déjà plus tôt, il faudra que la poussière retombe pour être sûr de tout ça. Toujours est il que je peux parler de mon retour à Montréal avec plaisir. Je ne regrette pas de rentrer. Je suis animé d’un sentiment étrange. Montréal me manque. Le Charbinat me manque. Black Rock City me manque. Et je suis très bien là où je suis. Il va peut être falloir que je développe le don d’ubiquité à un moment. Mais là, maintenant, tout de suite, je suis en paix avec moi même. Je vis au présent simple, et c’est parfait pour moi. Plus d’inquiétude, plus de soucis, plus de questionnement. Ne reste plus qu’à trouver le chemin qui me ramènera à Montréal. J’en connais la fin. Lawrence – Chicago – Toronto – Montréal. Peut être Saint Louis, entre Lawrence et Chicago. Portland – Lawrence ? La solution apparaîtra d’elle même, très bientôt…

Aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est le premier jour de mon retour à Montréal. En tout cas, c’est comme ça que je le ressens. Étrange, alors que l’idée est de partir vers l’ouest. Pas tant que ça, si on y pense : dire au revoir à la côte ouest, ça implique de dire au revoir à l’océan. Vous quitteriez Marseille sans aller voir la Méditerranée ? L’Irlande sans boire une Guinness ? Montréal sans une poutine d’adieu ? La France sans un énorme plateau de fromage ? Le Nord de la Californie sans vous faire tirer dessus ? Mouais… sans doute qu’idéalement, pour ce dernier, j’essaierais d’éviter…

Je fais un saut rapide au garage, mais je m’attendais à la réponse. Ils n’ont pas le temps aujourd’hui. À la place, je prends rendez-vous lundi matin. Ni à la première, ni à la deuxième heure, mais bien à la troisième, parce que bon, faut pas exagérer ! Je retourne ensuite à l’appartement, où j’ai deux trois petites choses à faire avant de prendre la route. Ça fait du bien de recommencer à jouer les touristes. La pause a été agréable, et aurait très bien pu durer quelques jours de plus, mais en même temps, j’aime rouler, j’aime conduire.

On sera deux dans le van. Avec un ukulele/guitare, un didgeridoo, une flûte, un djembé, un gazoo, et la voix magnifique de Danielle. Tout cela me paraît plein de promesses ! J’ai conduit, ces derniers jours. Danielle habite à une petite dizaine de kilomètres du centre ville, et ça n’est pas simple à faire en bus. Mais conduire pour aller se garer en ville, et conduire pour aller voir l’océan, pour voyager, pour se promener, ce n’est pas la même chose. Ce n’était que quelques jours, et ça me manquait. Du coup, j’attends avec impatience le vrai grand départ. Il devrait avoir lieu lundi après midi ou mardi probablement. Oui, je l’attends avec une certaine excitation, parce que j’ai l’impression que c’est un nouveau voyage qui commence. Une nouvelle aventure. Une fin n’est jamais qu’un nouveau commencement ! J’ai envie de manger du kilomètre pour le retour ; d’autant plus que j’ai de la compagnie avec moi. Je me souviens de cette étape complètement folle de 1600 kilomètres entre New York et Nashville. Sans en faire autant, j’ai quand même envie de faire quelque chose de similaire, à un moment. De toutes façons, le centre des États Unis, c’est pas ce qu’il y a de passionnant. Tiens, regardez une carte routière de l’Iowa, vous comprendrez ! Ça vaut le détour : on s’endort juste en regardant la carte… J’ai envie de prendre mon temps dans les rocheuses, puis de terminer ça en trois quatre petits bonds. Enfin… je me rends compte que cette anticipation, cette façon de me projeter, témoigne très certainement de mon envie de rentrer à Montréal. Surtout que rentrer à Montréal sera suivi peu après d’un retour en France. Bref… que d’enthousiasme face à la suite ! Et que d’enthousiasme face au présent !

Pour les deux prochains jours, je vais essayer d’oublier la carte routière. Danielle semble parfaitement à l’aise avec l’idée que je prenne toutes les décisions, que je choisisse la route, et tout le reste. Mais c’est aussi pour elle qu’on fait cette petite boucle sur la côte, et la carte routière fini sur ces genoux. À force de la torturer, elle finit par dire qu’elle aimerait bien voir Tilamook. On fera donc la petite boucle par le sud. Sans doute Portland-Tilamook-Astoria-Portland.

Portland se quitte très rapidement. Le fait que Danielle habite la banlieue ouest aide sans doute pas mal, vu qu’une bonne partie du travail est déjà fait. On se retrouve dans les montagnes, juste après. Elle me plaît bien cette microchaîne côtière, juste avant l’océan. Un dernier petit rappel, avec ses sommets qui peinent à atteindre les 1000 mètres, des barrières monstrueuses que l’on peut retrouver un peu plus à l’est. La route est belle. Je fais parti d’elle autant qu’elle fait partie de moi. Les couleurs et le relief me font penser au Québec. Petite montagne, petite rivière au lit caillouteux, sapins et érables…

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Et ma compagne de voyage :

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Portland n’est vraiment pas loin de la côte ; à peine une centaine de kilomètres. t même en prenant notre temps, on met moins de deux heures pour y arriver. Danielle aime le fromage, et n’a jamais visité de fromagerie. J’aime aussi le fromage, et je ne dis jamais non à une visite de fromagerie. Même si je les connais déjà, même si je sais qu’elles sont plutôt moyennes. On s’arrête donc dans un premier temps à la fromagerie du Héron Bleu. La grosse différence, par rapport à ma visite précédente, c’est que cette fois, le repas remonte un peu. Alors on déguste beaucoup de choses. On en profite bien. Du coup, cette fois, pour compenser, j’achète un tit morceau de fromage. Ça peut toujours servir ! On arrive ensuite à la fromagerie de Tilamook. La grosse. La vraie. Celle qui presse les vaches pour en extraire la moindre petite goûte de lait, histoire de ne pas manquer, et produire du cheddar en gigatonne quotidienne. Si dans l’ambiance encore un peu familiale du Héron Bleu j’étais resté raisonnable sur les dégustations, je me laisse aller sans hésitation ici. D’autant plus que la partie touriste ferme dans 15 minutes, et qu’ils vont probablement jeter tout ce qui n’a pas été manger. Je me sacrifie donc, autant que possible, pour diminuer les restes. Et puis là encore, j’achète un autre petit morceau de fromage pour compenser. C’est parfaitement intéressé : j’aime les pattes au fromage, Danielle aussi, et ça semble lui convenir comme plat de base. Le seul petit soucis, c’est qu’on tombe dans un piège au moment de sortir de la fromagerie. J’avais testé la partie crème glacée à la visite précédente ; j’avais repéré la partie « fudge » dans le lointain sans m’en approcher. Mais Danielle, elle, y va et m’invite à la suivre. Et évidemment, il y a des petits morceaux en dégustation. Je me souviens avec émotion du fudge de Mackinaw. Il avait quand même fait un bon bout de chemin, vu que je l’avais terminé avec Virginie, dans les rocheuses. C’est agréable d’avoir un petit dessert pour se sucrer le bec en fin de repas. Alors… pourquoi pas après tout ? On pourrait repartir avec une ou deux tranches. Bon, d’accord, avec trois. Chocolat noir, framboises et chocolat noir, beurre de cacahuètes et chocolat. Que du bonheur en perspective ! La vendeuse est sympathique, et je pense qu’on lui communique notre bonne humeur et notre enthousiasme. On rigole bien, et j’ai plaisir à penser qu’elle finira sa journée (dans 3 minutes) avec le sourire grâce à nous. Juste pour ça, ça valait la peine d’acheter un peu de fudge, non ?

Le soleil est en train de se coucher quand on sort de la fromagerie. Oui, à 18h. C’est fou comme tout a changé depuis que j’ai commencé mon voyage… c’était dans une autre vie, on dirait bien ! Enfin… autant profiter du paysage. En plus, les nuages se découvrent un mini peu pour l’occasion.

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La dernière étape est un classique : trouver un endroit où dormir. Après deux tentatives infructueuses, je me rappelle l’endroit où j’ai rencontré Anya, il y a environ une semaine de ça. Elle m’avait dit y avoir passé la nuit. C’est, en théorie, interdit. On est jeudi soir, fin octobre, il pleut, c’est à l’écart de la route… on devrait être tranquille je pense. On y va donc !

Danielle a vu l’océan pour la première fois il n’y a pas si longtemps. Tiens, prenez à nouveau une carte, et cherchez le Kansas dessus. Un indice pour repérer facilement ? Prenez le milieu des États Unis en hauteur, prenez le milieu des États Unis en largeur, et vous y êtes. Le Kansas, c’est l’état le plus au milieu de tous. Dans ce contexte, avec douze frères et soeurs, j’imagine assez facilement la difficulté à aller voir la mer… ce soir, ça sera la première fois qu’elle voit l’océan, la nuit. Et ça lui plaît.

L’endroit est aussi paisible que la première fois. J’aurais trouvé amusant de revoir la voiture blanche et de croiser Anya à nouveau, mais le parking est vide. On s’installe, on se prépare un petit thé. Pas besoin de manger ce soir, on est plein de fromage. On discute, encore, et encore, et encore. On écoute de la musique. Et on en joue un peu aussi. Danielle à la guitare, moi à la flûte, tout les deux en improvisation. Je n’ai jamais improvisé avec quelqu’un, ou alors au djembé, ce qui ne compte pas vraiment. Suivre un rythme, c’est facile. Accompagner une mélodie, c’est autre chose. On a fait déjà plusieurs expériences d’improvisation ensemble, et on se trouve vraiment super facilement à chaque fois. Après le piano à quatre mains en début d’après midi, le duo guitare et flûte et un vrai petit moment de bonheur. Qui est d’ailleurs enregistré par ma caméra. Qui sait, peut être que j’arriverais à vous le faire partager ! À vrai dire, ce que j’aimerais réussir, c’est l’accompagner à la flûte pendant qu’elle chante !

Danielle est fatiguée, et finit par se coucher. Moi, en bon oiseau de nuit que je suis, je reste encore réveillé quelques temps. J’ai mes quatre fidèles lecteurs et demi qui vont me mettre de la pression si je prends plus de deux jours de retard ! Et puis c’est tellement agréable d’écrire au milieu de la nuit, dans un endroit si tranquille, où l’on entend simplement le bruit des vagues…