Tête en bas

Down under wandering. Archipelagoes to islands; beaches to deserts; mountains to cities.

Le gars qui joue à chat perché avec la marée haute


Voyager en stop à quelque chose d’extrêmement particulier. On ne va pas comprendre pourquoi les voitures ne s’arrêtent pas. Après un moment, la rancoeur commence à s’installer vis à vis de tout ces véhicules qui ne s’arrêtent pas, mais qui ont de la place. Ils font des haussements d’épaules, des sourires, des signes de la main. Moi, je leur demande juste quelques kilomètres… chaque véhicule qui passe, c’est un peu de patience qui s’effrite. Et si on a beaucoup marché les derniers jours et que l’on transporte un gros sac à dos, la patience s’effrite d’autant plus vite. On sent cette impatience s’accumuler ; cette incompréhension à l’égard de ces gens qui vous ignorent complètement… et en même temps, on sait parfaitement qu’au moment où une voiture va s’arrêter, tout va disaparaître. Le compteur est remis à zéro, et repartira la prochaine fois que l’on se retrouvera sur le bord de la route à attendre.

Je venais tout juste d’arriver à Coles Bay, après un petit peu plus de 4 kilomètres de marche non prévue. J’ai vu un van sortir d’une maison à reculons. Un peu en avant de moi. J’ai fait signe et montré mon panneau, mais il est parti. Une voiture a suivi juste après. La fenêtre ouverte. Une dame regarde mon panneau et me dit « je vais à Hobart seulement demain ». Elle ne dit rien d’autre. Au moment où je m’apprête à tenter un « est-ce que vous pouvez quand même m’avancer un peu », elle ajoute « mais je vais quand même jusqu’à la grand route si vous voulez ». Le compteur est remis à zéro. Je fais un grand sourire, et accepte avec plaisir. Dix mètres plus loin, le van attend. Le chauffeur fait signe ; il allait me dire que lui aussi allait à Hobart demain matin. J’ai l’impression que le monde m’en veut personnellement. Mais en même temps, je ferais un premier bon de trente kilomètres. Le plus difficile selon moi…

Ça fait cinq minutes que je discute avec Michelle quand elle me dit « tu sais, si tu n’es pas pressé de rentrer, on va à la plage se faire un barbecue avec un ami et cinq enfants. Si tu veux passer la soirée avec nous, tu auras juste à planter la tente dans le jardin, et on partira ensemble demain matin ». J’accepterais volontiers l’invitation… mais je n’ai juste plus rien à manger avec moi… « c’est pas grave, quand il y en a pour deux adultes et cinq enfants, il y en a pour un adulte en plus ». Je n’ai pas vraiment d’autres raisons de refuser. Mon mini contrat m’attendra bien une journée de plus, et j’envoie un texto à Bernd pour lui dire que je ne rentrerais que le lendemain.

Les gens qui voyagent ont tous des anecdotes. Ceux qui voyagent en stop vont toujours vous parler de cette personne qu’ils ont rencontrés, qui les a invité à manger ; sur leur bateau ; à passer la soirée avec eux ; ou que sais-je d’autres… j’ai moi même partager des moments très sympas avec des gens que j’avais ramassé sur le bord de la route. Voyager parfois comme chauffeur, parfois comme auto-stopeurs donne parfois cette impression de « ce que j’ai donné me reviens ». Non pas au centuple par un vieux barbu abstrait et à l’existence contestable, mais par d’autres êtres humains, généreux et agréables.

Oui, je voyage pour les paysages et les photos que j’ai fait aujourd’hui même au sommet du mont Amos. Mais je voyage aussi pour tout ces gens que je rencontre. Toutes ces personnes qui me font réaliser que l’espèce humaine a quand même de bonnes bases et que tout n’est pas perdu. Voyager me permet de regarder vers l’avenir avec un optimisme indéniable.

On s’arrête brièvement pour faire des courses à Bicheno. Ma proposition de participer aux dépenses est poliment déclinée. On s’arrête à nouveau une dizaine de kilomètres après Bicheno, pas très loin de la plage.

Michelle est la mère célibataire de Sebastian et Alex, qui étaient dans la voiture également. Le van est conduit par Chris, originaire du Kensas, qui a ensuite déménagé en Californie avant de venir s’installer en Tasmanie. Passionné de surf, père célibataire de Kinen, Mikah et Ava. Les enfants ont entre 6 et 13 ans a vu de nez. Ils se connaissent bien, et débordent d’énergie !

Un peu plus loin sur la plage, il y a une rivière qui se jette dans la mer. Sebastian a très envie de faire du canoë. Le Sébastien avec un accent et un ‘e’, celui qui a fait de la randonnée et qui est très fatigué, se retrouve pourtant à aider Chris à porter le canoë sur un petit kilomètre. Enfin… j’ai quand même pu me reposer un peu dans la voiture, je survis donc à l’expédition !

La suite du programme consistera à faire une énorme réserve de bois, se faire cuire des brochettes comme on peut, faire un gros feu de bois, et griller des shamallow. Petite soirée toute simple, super agréable, et très tranquille. J’ai regardé rapidement à l’épicerie si par hasard je trouvais de la paraffine liquide, histoire de donner un mauvais exemple aux enfants, mais je n’ai rien trouvé d’autre que du kérosène ou de l’éthanol. N’étant pas sûr de mon coup, j’ai préféré laisser faire. La seule autre chose que j’ai pour remercier tout le monde pour leur gentillesse, c’est mon appareil photo. Alors j’en profite, autant que possible.

La soirée aurait pu se terminer là. On aurait fini nos guimauves, et on serait rentré tranquillement. Mais au moment même ou le paquet de guimauves était terminé, il a commencé à pleuvoir. Branle bas de combat, tout le monde par en courant sous la pluie. Je me suis retrouvé à tirer le canoë tout seul (au final, moins fatiguant que de le porter à deux). C’est aussi à ce moment là que l’on a découvert que la marée avait montée, et que les grosses vagues recouvraient complètement la plage. Je m’en suis surtout rendu compte quand j’ai du courir et sauter sur une dune pour éviter de me retrouver les chaussures détrempées. J’ai failli crier « chat perché », mais j’imagine que personne n’aurait compris. Et la vague non plus.

C’est à ce moment là que tout s’est enligné. Un peu comme on entend le « clic » dans les films quand le voleur trouve le code du coffre fort. Ou le genre d’alignement qui permet à un astrologue de prédire la fin du monde. Tout était parfaitement à sa place. Trempé, fatigué, épuisé, à tirer un canoë en courant pour éviter une vague sous la pluie alors que j’ai passé les derniers jours à marcher… c’est pour ce genre d’instant, complètement improbable et impossible, que je voyage. C’est pour ce moment précis où, mort de rire, on refait la liste des événements qui nous ont amené à cet endroit précis, à ce moment précis. Il a fallut une météo pourrie en début de semaine pour que je reporte mon voyage à Freycinet de quelques jours ; que je me perde dans la brume et que je change mon planning ; que je sois suffisamment têtu pour continuer ma randonnée quand même ; que je marche pendant une heure sans personne pour me ramasser. Et que finalement Michelle s’arrête. Si j’arrivais deux minutes plus tard à Coles Bay, c’était raté… J’aime prendre le temps de reregarder en arrière. D’analyser la succession improbable des événements. Me demander quand tout a commencé.

Si mes parents ne m’avaient pas offert « Albatros II » de Colin Thiele, quand j’avais une dizaine d’années, me faisant rêver d’Australie pour la première fois… me serais-je retrouver sur cette plage ?

Je contemple le passé et les successions d’événements avec plaisir. J’aime voir ces enchaînements d’improbabilités. Où tout commence, et où tout se termine. J’aime voir comment la vie nous promène tranquillement, en nous prenant par la main, et comment il est si agréable de la suivre, et d’avancer en suivant les signes qu’elle nous réserve, pour nous amener là où l’on veut. Il suffit de lui faire confiance. Tout simplement.

One Response to “Le gars qui joue à chat perché avec la marée haute

  1. February 14th, 2012 at 10:53 pm

    alexandra says:

    Quoi dire de plus… c’est tellement beau 🙂