Tête en bas

Down under wandering. Archipelagoes to islands; beaches to deserts; mountains to cities.

Ma première expérience comme « fund raiser »


« Hi, my nage is Ming. What is your name ? » Telle est la question que Ming répète sans cesse. C’est la seule chose qu’elle a appris à dire en anglais, et elle ne se lasse pas de le dire. Je me suis senti un peu comme elle au cours des deux derniers jours. L’impression que mon vocabulaire se limitait soudainement à quelques mots. « Hi, how are you ? », sans vraiment aller plus loin.

Inutile, évidemment, d’essayer de compter le nombre de visage que j’ai vu défiler. Tout aussi inutile d’essayer de compter le nombre de fois où les passants m’ont ignorer. « Si vous ne supportez pas que les gens passent devant vous sans vous voir, si vous n’aimez pas que l’on ne vous prête aucune attention, alors ce job n’est pas pour vous ». Quand Paul, notre formateur, nous a dit ça, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à mes quelques expériences à lever le pouce sur le bord de la route. C’était la théorie. Dans la pratique, il se trouve que l’exercice est quand même énormément ressemblant. On sourit à tout le monde, on essaie d’attirer le regard, de commencer une discussion. La très grande majorité des gens va vous ignorer, d’autres se contenteront de répondre à votre salut sans s’arrêter. Ça fait partie du jeu. Ça ne m’a pas poser le moindre problème. Pas plus que le fait de sauter sur des parfaits étrangers pour tenter d’amorcer la conversation.

La première journée dans la rue s’est très bien passée. L’exercice est relativement éprouvant, j’étais épuisé en fin de journée, mais le moral était là. La volonté de continuer aussi. Pour ce genre de choses, je sais être patient et entêté. Persuadé, donc, d’avoir la personnalité parfaite pour ça. J’avais réussi à parler un peu plus en détail à quelques personnes, à leur dire pourquoi on était là, et à bafouiller quelques mots au sujet de «Plan International », l’organisme pour lequel on essaie de lever des fonds. En fait, ce qui est amusant, c’est que l’on cherche tellement à entamer la discussion, et on se fait si souvent rembarrer, que quand la personne en face se montre intéressée, on ne sait plus comment continuer. Évidemment, c’est une question d’habitude. De répétition.

On nous a donné quelques exemples de speech à débiter. On nous a expliqué quoi dire, comment le dire, et à quel moment. Je me suis rendu compte que ça ne me convenait qu’à moitié. Ça n’allait pas avec ma façon de faire. J’ai fait à nouveau le parallèle avec une autre expérience que j’ai vécue. Un peu. Celle de conteur. On peut, bien évidemment, préparer l’histoire dans sa tête. La répéter, encore et encore, voir comment les mots s’enchaînent, se répondent les uns aux autres. L’exercice est assez facile. Ensuite, on le fait à voix haute, pour s’assurer que ça marche toujours bien. On ajuste encore un peu le rythme, on change quelques mots… et on se retrouve soudainement avec cinq, dix, ou quinze personnes en train d’écouter. Et on découvre que quand on parle à quelqu’un, même si la personne ne participe pas, il y a quand même une interaction. Les silences, les pauses, les regards deviennent soudainement extrêmement important. Le rythme de l’histoire change à nouveau. Et plus on raconte le même conte, plus celui-ci évolue. Je ne l’ai pas fait beaucoup. Je pense que le conte que j’ai présenté le plus souvent, je ne l’ai répété que 6 fois en public. Ça a largement suffit pour le faire évoluer. Sachant cela, il était hors de question que je prépare un pitch par coeur. J’avais besoin de le faire vivre. De le créer au fur et à mesure, en interagissant avec les personnes en face de moi. Prendre le temps de leur parler, mais aussi regarder tout ça de l’extérieur, afin de voir comment « l’histoire se construit ». Et à partir de là, les choses allaient se faire toute seule. Il me suffisait d’arrêter une vingtaine de personnes, et je savais qu’après ça, je commencerais à être rodé sur quoi dire. je saurais ce que les gens écoutent, et ce qui ne les intéressent pas.

Aujourd’hui, nous sommes retournés sur le terrain, pour la deuxième journée. Cette fois-ci, accompagné par quelqu’un de plus expérimenté. Quelqu’un qui fait ça depuis presque une année. Après quelques temps, j’ai pu le voir aller. J’ai pu voir comment il interagissait avec la fille à qui il essayait de vendre un parrainage. J’ai pu comprendre son approché et ses manoeuvres. Et c’est ce qui m’a convaincu d’arrêter.

J’avais le profil presque parfait. Patient, assez imperturbable face à l’indifférence des gens ; j’aime interagir avec les inconnus. J’aime créer des interactions. J’aime parler. J’aime sourire. J’aime raconter des histoires. Mais tout ça, j’aime le faire pour le plaisir. J’aime le faire sans raison particulier. « Complimentez les ; vous verrez, les gens adorent les compliments, c’est une bonne façon de les approcher ». C’est là que j’ai commencé à comprendre que tout cela était artificiel. J’ai vu une fille approcher. Elle avait des cheveux vraiment magnifiques. Je l’ai pensé. Je me suis dit que si, ce jour là, je m’étais promené en anonyme dans le centre commercial, je l’aurais peut être complimenté. Sans raison particulière. Gratuitement. Pour le plaisir. Aujourd’hui, avec mon t-shirt bleu et son logo blanc, même en ayant pensé le compliment, celui-ci serait devenu artificiel. J’ai compris que les (quelques) échanges que j’ai eu au cours des 24 dernières heures étaient tous entièrement factices. Ce que je peux faire sans aucun problème pour le plaisir d’échanger un sourire, ou juste quelques phrases avec un ou une inconnue, je me rends compte qu’il est hors de question que je le fasse avec une intention cachée en arrière. Il est hors de question que mes sourires, mon enthousiasme, ma bonne humeur et le plaisir que j’ai à parler avec des gens deviennent soudainement artificiel. J’ai plié mes affaires, remercié tout le monde, et je suis parti.

Il y a deux ou trois ans, alors que j’étais à Montréal, j’ai entendu parlé de cet étudiant qui s’était lancé dans un projet très simple. Étude générale finie, il n’avait aucune idée de ce qu’il voulait faire. Aucune idée de la direction dans laquelle il voulait orienter sa vie. Il a décidé de se donner une année. Une année pour savoir. Il a trouvé 52 entreprises/artisans prêts à le prendre en stage pendant une semaine chacun. Je n’ai aucune idée de ce que le projet a donné, où tout cela a abouti. J’ai juste trouvé l’idée plutôt intelligente, et vraiment intéressante. « Je ne sais pas ce que je veux faire, parfait, je vais tout essayer, et on verra ».

Ce n’est pas vraiment ma situation. Ce n’est pas que je ne sais pas ce que je veux faire. C’est plus qu’il y a beaucoup d’opportunités différentes. Je suis dans un moment de ma vie où j’ai l’occasion assez unique et exceptionnelle de faire de nombreuses expériences. J’ai déjà passé quelques heures dans une cuisine, et ça va continuer. Je peux maintenant dire que j’ai aussi essayé de faire des levées de fond. Je ne regrette aucune l’expérience, qui est loin d’être un échec, mais une autre occasion d’en apprendre d’avantage sur moi. Sans compter que je trouve très intéressant le lien qu’il peut y avoir entre l’auto-stoppeur, le conteur et le vendeur fatiguant dans la rue. Bref, très belle expérience, aucun regret, mais pas pour moi !

Demain, je retourne nettoyer des assiettes.

One Response to “Ma première expérience comme « fund raiser »

  1. March 15th, 2012 at 3:47 pm

    Kaly says:

    Je te comprends.

    Tu devrais te faire conteur de rue. Tu raconterais l’histoire d’un mec qui arrête les passants pour faire des levées de fond. Et au moment où ton public se sent trahi, tu dis “non non, c’est une histoire, juste une histoire !”

    Bisous