Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionOctober 15th, 2014
  • J’ai parié avec Laurie que nous aurions moins de dix minutes à attendre avant qu’une voiture ne s’arrête. J’ai parié un repas dans un restaurant chinois à Ashland. Non pas que je me sentais d’humeur particulièrement hyper optimiste à ce moment là, mais plutôt que j’avais bien envie d’aller manger au restaurant, et qu’inviter Laurie me convenait tout à fait. Il n’empêche… quand une voiture s’est arrêtée après 12 minutes, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ça n’était pas passé loin. Laurie, qui est une demoiselle avec beaucoup de savoir-vivre, m’a dit que comme ça n’était pas passé loin, elle m’offrait une bière en retour. Moi je trouve que c’est une très bonne compagne de voyage pour proposer des choses pareilles.

    Nos nouveaux chauffeurs, deux gars très sympas, se rendent à Grands Pass. Dommage ; ça sera sûrement sur notre chemin aussi, mais sans doute demain. Mais déjà, nous pouvons faire un bon bout de chemin avec eux.

    Alors que nous avançons, le temps commence à virer à la pluie. De plus en plus violente. Sûrement de la neige tout là haut où nous étions. Nous avons pris la bonne décision de partir. Et puis sans trop se justifier, à part sans doute parce que le temps est pourri et qu’ils nous trouvent sympathiques, nos deux chauffeurs décident de faire le détour par Ashland pour nous déposer directement en ville. Difficile de ne pas leur être reconnaissant, vu que sinon ils nous auraient déposé dans une zone pas pratique pour faire du stop, et sous la pluie… plus que serviable, ils repèrent sur leur iPad des adresses de campings -un peu trop décentrés- et d’une auberge de jeunesse, en plein centre-ville. Le tarif est très raisonnable, et l’idée de dormir au sec plutôt que sous la pluie, nous convient parfaitement. C’est donc là qu’ils nous déposeront. Nous leur disons au-revoir, avant de nous diriger vers une porte qui, nous le découvrons alors, arbore un panneau « complet ». Gasp…

    N’ayant pas vraiment le choix, nous décidons de prendre la direction du centre-ville, nous arrêtant dans le premier hôtel que nous trouvons pour demander les tarifs. Je ne pensais pas que les Best Western pouvaient être aussi chers… par contre, la demoiselle de l’accueil est adorable. Elle propose de baisser les prix au plus bas possible, mais ça reste beaucoup trop cher pour nous. Alors on lui demande si elle sait quelque chose à propos de « Jackson Hot Springs ». Nous avons vu un panneau en arrivant, mais le fait que cela semble être un resort avec spa et autres petits plaisirs, nous laissent supposer que même si on peut y planter une tente, le tarif ne sera pas non plus dans notre budget. Elle appelle, nous annonce le prix pour une nuit en tipi… encore moins cher que l’auberge de jeunesse. On n’hésite pas trop longtemps. Un peu de marche à pied, de nuit, sous la pluie, mais bon… marche pas très agréable, sur le bord de la route, avec un trottoir qui finit par disparaître. Avec des sacs à dos sur les épaules. Et des camions qui passent vite… mais nous survivrons et finirons par arriver.

     

    Jackson Hot Springs

    J’ai entendu beaucoup de choses sur Ashland. J’avais notamment entendu parler d’une source chaude avec un camping de hippies à côté. Je pensais à une source un peu sauvage, et un camping encore plus sauvage… je découvre en arrivant à « Jackson Hot Springs » que c’était de cet endroit dont on m’a parlé… les tarifs pour une nuit en tipi sont tout à fait acceptables, et surtout, ils incluent l’accès libre aux sources chaudes, et au spa. On regrette un peu notre restaurant chinois… mais en fait… pas tant que ça. Là tout de suite, après avoir beaucoup marché toute la journée, une bonne partie avec les sacs à dos, le mot « douche chaude » aurait suffit à lui tout seul à évoquer le paradis. Attelez lui « spa » et « sources chaudes » et vous comprendrez dans quel état de béatitude nous pouvions être. Quand on découvre que les précédents occupant ont laissé du bois, et que nous pourrons donc même faire un feu pour réchauffer le tipi, nous sommes presque au summum de l’extase. Un petit repas rapide avant d’attraper les serviettes et les maillots de bains, puis de se diriger vers ce qui finira par rendre l’extase complète.

    Nous ne sommes pas dans des sources naturelles… mais nous sommes en Oregon. Après la tombée du soleil, les mineurs ne sont plus autorisés, et les maillots de bain ne sont plus obligatoires… l’ambiance est à la détente et à la bonne humeur. À l’échange et au partage. À passer du bassin (un peu trop) chaud au hammam puis à la piscine. Froide. Et là… oui… là… à ma grande stupeur, je me suis mis à l’eau. Complètement. Pendant un moment. À nager. À savourer le froid. À l’apprécier. À découvrir que oui mon corps peut aimer passer du bain de vapeur à la piscine glaciale. Que m’arrive-t-il ? Aucune idée ! Étrangement (ou non) je reste incapable de passer du spa (hyper sec) à la piscine froide. Du coup, je privilégie l’option hammam. Le fait que certains participants se retrouvent là pour faire du chant de gorge, dont un chanteur avec une voix absolument magnifique -mais loin d’égaler celle de mon barbare mongol – nous encourage aussi à y passer pas mal de temps.

    Nous sortirons de l’eau un peu avant minuit. Sachant que les lieux sont sensés fermer à 23h, le temps supplémentaire est d’autant plus apprécié. Nous nous retrouvons dans notre tipi, ou une bière nous attend (nous avons fait les stocks avant de venir) ainsi qu’un bon feu de bois. Laurie partage la même passion que moi pour les flammes. Je l’ai laissée allumer les premiers feux pour le plaisir de la regarder faire ; mais je finis par avoir envie de jouer moi aussi, et nous passerons donc la soirée à l’alimenter chacun à notre tour.

    Laurie cherche depuis un moment un moyen de faire rentrer la chaleur du feu dans la tente. Il n’est pas facile, en camping, de quitter la chaleur d’un bon feu de bois, pour aller dans une tente un peu froide. Je plussoie Laurie dans l’absolue nécessité d’une telle invention. J’ai essayé d’y réfléchir un peu, mais sans succès… et nous voilà qui venons de trouver une solution qui existe déjà : pour avoir la chaleur du feu dans la tente, il suffit de faire une tente un peu plus grande, et de faire le feu à l’intérieur ! Bon, par contre, quand je regarde la structure et la toile du tipi, je me dis que ça n’est sans doute pas l’idéal en backpack… enfin… on peut pas tout avoir !

    Nous découvrons que notre tipi, aussi sympathique et accueillant soit il, commence à prendre un peu de l’âge. Et beaucoup l’eau. Il pleut fort et sans discontinuer dehors, et pas mal de gouttes se retrouvent à l’intérieur. Nous commençons par un premier bricolage, utilisant les couvertures de survie comme des bâches, pour nous protéger, mais ça n’est pas complètement suffisant. Alors on se décide à monter la tente. Dans le tipi. Il y a juste la place, à côté du feu. Et en laissant la porte ouverte pour le moment, la chaleur peut même y entrer ! On finira par aller se coucher dans une installation un peu complexe, mais qui nous fait mourir de rire par son improbabilité !

    Je continue à être le premier réveillé le matin. J’ai l’habitude de prendre ça tranquille, de prendre mon temps, de ne pas me presser, alors ça me va bien. Je traine pendant un moment, perdu dans mes pensées, perdu dans les idées pour mon livre (le narrateur n’a pas fini de sillonner les routes de l’Oregon !). Et puis au bout d’un moment, j’attrape ma flûte et j’en joue quelques minutes, pour réveiller Laurie. Je me sens toujours un peu mal de réveiller une personne qui dort, mais elle semble supporter ce traitement inhumain que je lui fais subir. Le temps de finir de se réveiller, et nous nous préparons à partir pour le centre-ville, et explorer Ashland. Nous avons dors et déjà convenu que nous ne voulons pas être pressés, et que si nous voulons vraiment voir la ville, il faut absolument y consacrer toute la journée, ce qui nous oblige à dormir à nouveau ici le soir. Décision difficile à prendre… mais qui fut prise.

    En arrivant à l’entrée du camping, je vois deux personnes qui se préparent à monter dans leur voiture. Je les approche avec un grand sourire. Il y a des endroits où je n’ai absolument aucun problème à aborder des gens pour demander des rides… et n’importe quel parking de sources chaudes en fait partie ! Ils acceptent de nous embarquer, et de nous déposer à la co-op.

    Nous sommes le 10 juin 2011. Je suis à Douglas Hot Springs, et je dis « au-revoir » à Mara qui s’en va pour l’aéroport de Darwin, dans le nord de l’Australie. Elle s’envole pour la côte ouest. Elle s’envole pour l’Oregon. Elle s’envole pour Ashland. Je n’ai pas vraiment gardé contact avec elle depuis. J’ai une adresse postale, mais qui n’est sans doute plus à jour. C’est le problème avec les voyageurs… ils sont difficiles à suivre parfois… j’essaie de garder une adresse email constante, un site web toujours au même endroit, et je compte sur mes parents pour ne pas déménager au cours des quarante prochaines années… comme ça, je reste encore un peu retrouvable pour les gens qui le souhaitent… mais ce n’est pas toujours simple de garder contact avec des esprits volatiles…

    Nous sommes le 8 novembre 2009. Je fais la rencontre de Jane à San Francisco. Depuis, je l’ai revue un peu partout. À Las Vegas, À Burning Man… à croire que je m’entoure beaucoup de gens qui ont la bougeotte ! Sans doute parce qu’ils me comprennent… et que je les comprends. Jane a vécu à Ashland pendant quelques temps. Elle m’a affirmé « si jamais tu veux retrouver ton amie, elle sera sûrement à la co-op.

    Mara n’était pas à la co-op. Par contre, nous avons découvert un magasin vraiment sympa, avec un choix de produit agréable. S’il y a des régions dans le monde où il n’est pas facile d’être végétarien, l’Oregon n’en est pas une. Je pense qu’un végétalien crudiste allergique au lactose et au gluten pourrait survivre ici sans problème ! Les choix de produits sont vraiment intéressants. Et oui : je voyage à nouveau avec une végétarienne ! Je ne prévois toujours pas le devenir moi-même (sauf peut-être si je me retrouve sur une île déserte et que je dois chasser ma propre nourriture) parce que j’aime bien la viande, et j’ai plaisir à en manger de temps en temps. Mais je me rends bien compte qu’un régime végétarien avec de la viande une ou deux fois maximum par semaine me convient très bien. Je n’ai mangé que très peu de viande pendant tout ce voyage, et je ne m’en porte que mieux. De la quinoa, de l’humus, des sushis… c’est fou comme ça fait du bien !

    Nous sommes partis à la découverte d’Ashland. Petite ville des plus sympas, dans la lignée d’Eugène et de Bend. Entre les deux, en fait, je dirais. Moins folle que la première, plus originale que la deuxième. On y retrouve la même ouverture d’esprit. Ce même côté tranquille. Cette même sensation que l’on peut être absolument qui on veut, faire ce que l’on veut, on sera accepté de toutes façons. J’explique aussi à Laurie que l’une des choses que j’aime en Oregon, c’est cette impression que personne ne travaille vraiment. Ou, tout du moins, que personne n’est vendu corps et âme à son travail. En Oregon, on travaille parce qu’il le faut. Mais vivre est bien plus important. Tout le pays (oui, vraiment, comme pour le Québec, j’ai envie de parler de pays, plutôt que de province ou d’état) incite à prendre la vie avec légèreté, joie et bonne humeur. Je me sens tellement bien ici… je sais que le retour à la réalité sera difficile. Laurie parle de « sa vie entre parenthèse » quand elle n’est pas sur la route. Je comprends très bien ce qu’elle veut dire.

    Ma compagne de voyage est d’humeur à faire du magasinage. Voilà bien longtemps que je n’ai pas fait ça. Les boutiques ici sont invitantes, et je l’accompagne avec plaisir. Elle craque pour une robe magnifique. Un jour, peut être, y’aura-t-il autant de choix de vêtements pour les hommes que pour les femmes… tellement de choses dont j’aime l’apparence, dont j’aime la texture ou le motif… mais dont la coupe est si évidemment féminine que je sais très bien que ça n’est pas pour moi. Je passe à deux doigts de craquer, pourtant, pour un magnifique pendentif… un fragment de météorite, encastré dans une magnifique griffe en métal… c’est mon banquier qui me rappelle dans mon oreillette que « non non, vraiment, faut pas ». Alors je laisse le météore continuer son chemin sans moi…

    Nos errances nous amène jusqu’à Lithia Park. À l’entrée du parc, sur un petit banc sur le bord d’une marre, deux musiciens sont assis. Deux hommes, débordant de joie, de bonne humeur, et d’amour l’un pour l’autre. Ils chantent les yeux brillants de bonheur. Nous resterons un moment à les écouter, partageant un peu leur bonheur. Puis nous partons explorer le parc. Celui-ci part du centre-ville, et s’en va se perdre dans les immensités abandonnées du sud de l’Oregon, rejoignant un peu plus loin d’ici le PCT. Pacific Crest Trail. Cette immense itinéraire de randonnée, qui relie la frontière canadienne à la frontière mexicaine. Six mois de marche à pied pour aller d’un bout à l’autre. J’en rêve depuis la première fois que j’en ai entendu parlé, à Yosemite. Laurie en rêve aussi…

    Nous revenons vers le centre-ville, pour faire un petit détour pour voir si Mara habite toujours à la même adresse. Sans surprise, elle n’habite plus là. Mais c’est un ami à elle qui y habite. Il ne connait pas sa nouvelle adresse, mais il connait son numéro de téléphone. J’essaie de l’appeler… au cas où. Laisse un message sur son répondeur. On verra bien…

    Nous finirons par nous poser à Oberon Tavern. Parce que la décoration a l’air sympa, parce qu’ils ont un joli choix de bières à la pression, et parce qu’il y a de la musique live. Nous resterons jusqu’à aussi tard que nous le permettent les horaires de bus. Car oui, il y a un bus qui passe par Jackson Hot Springs. Et l’idée de ne pas avoir à remarcher de nuit sur cette route sans trottoir nous convient bien.

    Non sans surprise, nous finissons la soirée à faire des aller retour entre le bassin chaud, le hamman, et la piscine froide. Si la veille, je n’étais pas forcément d’humeur social -j’étais heureux d’être un peu dans ma bulle, en échangeant un peu de temps en temps avec Laurie- ce soir, au contraire, j’ai envie de parler. Je trouve assez magique à quel point il est parfois possible de projeter certaines choses. J’ai passé la soirée de la veille à sourire et à être de bonne humeur. Je ne me montrais pas ouvertement fermé, mais personne ne m’a parlé. Ce soir, j’ai le même sourire, la même bonne humeur. Je ne me montre pas fermement ouvert, et pourtant je me suis retrouvé à discuter avec plusieurs personnes. De tout et de rien. De choses et d’autres. Pour le simple plaisir de discuter. De rencontrer des personnes sensibles et ouvertes d’esprit. Je recroise aussi nos deux musiciens de l’après-midi, toujours aussi heureux, toujours aussi souriant. J’échange quelques mots avec eux, surtout pour les remercier de propager tant de joie et de bonne humeur autour d’eux.

    Économes que nous sommes, il nous restait deux buches de la veille. Et nous avons réussi à compléter avec un peu de bois sec, récupéré au hasard du camping. Et comme tout les soirs, nos discussions au coin du feu s’étireront jusque tard dans la nuit…

    Un commentaire

    1. […] endroit qui s’appelle « Oberon », j’ai du mal à dire non. Parce que ça me rappelle l’Oberon Tavern, découverte à Ashland avec Laurie. Parce que ça me rappelle aussi le Cercle des Poètes Disparus (oui, la pièce de […]

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