Enfin posé. Assis. Relaxe. Plus rien à faire, à préparer, à gérer. Il est 22h22, à Tucson, en Arizona. Il y a deux semaines, je savais que la ville de Tucson existait, mais j’aurais été bien incapable de la placer sur une carte. J’aurais jamais pensé non plus y aller un jour. Franchement, vous, vous avez entendu parler de Tucson ? Vous vous êtes déjà dit « un jour, j’irais à Tucson » ? Moi, en tout cas, non.
Et puis voilà. Il y a David ; David, il gère un service de livraison de voitures pour les particuliers. Vous savez, parfois vous devez aller d’un endroit à un autre, vous avez besoin de votre voiture à l’arrivée, mais vous ne pouvez/voulez faire le trajet. David m’a parlé de Fran, enseignante retraitée qui vit à Halifax, en Nouvelle Écosse. Fran passe l’hiver à Tucson, en Arizona. Fran avait besoin de quelqu’un pour conduire sa voiture. Elle paie le gaz, plus un petit bonus. De Halifax, en haut à droite, à Tucson, en bas presque à gauche. Magnifique diagonale de 5500 kilomètres. En Amérique du Nord, les distances sont des chiffres qui ne veulent plus dire grand chose. Je revenais de France, j’avais le goût de me reposer ; j’ai changé d’avis. J’avais une occasion, j’ai décidé de me faire larron. Trop de choses, d’images, d’opportunités, de possibilités. Sur la route, des noms mythiques ; des concepts qui résonnent sans vraiment créer d’images : Tennessee, Nashville, Memphis, Dallas, Texas, Nouveau-Mexique, El Paso, Arizona… des noms que j’imagine ; des noms qui ont toujours sonné comme des « peut-être » et des « un jour » dans ma tête. Sans aucune assurance. On se dit que oui oui, c’est sûr qu’un jour… on le fait jamais, évidemment. C’est pour ça que j’ai décidé de le faire. J’ai regardé la météo à Tucson. Alors qu’ils annonçaient +2 à Montréal, ils annonçaient +28 à Tucson. Un dernier souffle de soleil avant de passer l’hiver.
Et c’est comme ça qu’il y a quelques jours à peine, le 28 octobre, un avion m’a amené de Montréal jusqu’à Halifax. Arrivée là bas à 14h30. La voiture a besoin d’être à Tucson le 5 novembre à 13h. Si on compte bien, ce n’est pas 9 jours, mais bien 8 qui sont disponibles. Ce n’est pas du tourisme, c’est de la route. C’est du kilomètres par paquet de quelques centaines. Des kilomètres qu’on appelle miles, ici. Ils sont plus grands, pour faire des chiffres plus petits, qui font moins peur.
Je rencontre Fran à l’aéroport. Très sympathique. On signe quelques papiers, on discute un peu, elle me donne les clés de la voiture. Le démarrage est intense. J’ai dessiné quelques étapes dans ma tête ; j’ai un ordre d’idées de où je dois aller, et à quelle vitesse. Je sais que la première étape commence un peu raide : 800 kilomètres. Je découvre très vite que faire la route avec la Buick de Fran sera un vrai bonheur. Délicatement posée à 140 km/h sur le cruise-control, elle donne très clairement l’impression qu’elle ne s’arrêtera jamais, ne ralentira jamais, ira jusqu’où je le voudrais.
La Nouvelle-Écosse se retrouve vite en arrière. Le Nouveau-Brunswick enchaîne assez rapidement. J’ai déjà trouvé un rythme de croisière qui me plaît.
Confortable, rapide, avec pause régulière de courte durée, le temps de faire une photo, d’acheter une carte postale, de remettre de l’essence. Je roule un peu vite, parce que je veux passer la frontière dès le premier jour pour me rendre au parc Acadia, dans le Maine. Qualifions ça de petit pèlerinage personnel. Et puis aussi, le passage de la frontière m’inquiète un peu ; entrer aux états au volant d’une voiture qui ne m’appartient pas m’inquiète un peu. David a l’habitude ; il a rempli tout les papiers nécessaires, il m’a bien briefé. Ça prendra quand même 45 minutes, au cours des quelles je devrais expliquer comment je gagne ma vie, prouver que je suis bien graphiste (une chance que j’ai un site web et que les coordonnées dessus sont à jour !), leur raconter mon voyage, parler de mon trisailleul dauphinois, etc… mais bon, une fois qu’ils connaissent toute ma vie dans les moindres détails, ils me laissent repartir.
La combinaison magique, c’est « transport gratuit » parce que voiture fournie et « hébergement gratuit » parce que couchsurfing existe. Je suis donc attendu le premier soir à Bar Harbor, par Jack. Je débarquerais vers 22h30, un peu fatigué, mais j’ai quand même le droit à un accueil des plus sympa, une petite discussion tranquille, et une bonne nuit de sommeil sur le canapé du coin.
Debout à l’aube, le lendemain, pour faire une petite randonnée dans le parc avec deux autres couchsurfeurs des environs. C’est que l’on en retrouve de partout de ces tites bêtes ! Magnifique randonnée, conversation agréable, et mon premier « c’est sûr que je reviendrais » d’une longue série. Je sais déjà que ça sera le problème avec ce concept : il va falloir aller vite, les pauses seront brèves, et les rencontres beaucoup trop courtes. C’est l’idée. Je préviens tout le monde dans mes requêtes sur CS. On fait dans le concentré d’intensité.
Mais quand même… ce parc, en automne, avec toutes ces belles couleurs… il fait envie…