Jill m’a conduit jusqu’en dehors de Bend, pour que ce soit plus facile pour moi. Elle m’a déposé à un carrefour, et a fait demi-tour, pendant que je reprenais ma position traditionnelle, sac devant moi, pouce en l’air. La première voiture ne s’est pas faite trop attendre. Une vingtaine de minutes plus tard, je roulais en direction de Sisters, découvrant une nouvelle portion de la 20 que je ne connaissais pas encore.
Rapidement, le paysage a changé. Nous nous sommes retrouvés dans une forêt. Sous les arbres. Sous des vrais arbres. Des vraiment beaux. Des magnifiques, comme je n’en avais pas vus depuis beaucoup trop longtemps. Les forêts de Yellowstone ne sont pas particulièrement belles. Mes derniers beaux arbres remontent sans doute au Dakota du Sud. Peut-être même avant. Ces derniers temps, j’ai beaucoup évolué dans des paysages désertiques… et je me suis rendu compte que ça me faisait du bien de retrouver ce genre de paysages.
Mon premier chauffeur m’a déposé à la sortie de Sister. Il m’a fallu au moins une dizaine de minutes avant que la deuxième voiture ne s’arrête. Un autre gars, super sympa, avec qui on a discuté randonnées et balades, alors que le paysage continuait de devenir de plus en plus beau, miles après miles. Je me suis fait déposer à la jonction de la 22 et de la 126. Avec cette magnifique impression d’être au milieu de nul part. À me demander si il y avait des voitures qui passaient par ici, parfois. J’ai grignoté la pomme que mon chauffeur m’a offert. J’ai levé le pouce quelques fois. Il y a donc bien des voitures. La huitième s’est arrêtée. Je n’étais pas là depuis dix minutes. Le stop, sur ce genre de route, dans ce genre d’endroit, et spécialement en Oregon, c’est du vrai bonheur…
J’ai embarqué avec un couple de petits vieux, qui dans un premier temps avait envisagé de me faire monter à l’arrière de leur pickup, avant de changer d’avis et de me faire monter avec eux à l’intérieur. L’idée d’être trimbalé à l’arrière ne me dérangeait pas, j’imaginais même le potentiel photographique de la chose, mais d’un point de vue confort, l’avant m’allait bien aussi. Et puis eux aussi étaient absolument adorables. Ils m’ont demandé à deux reprises s’ils me déposaient au bon endroit. Parce que c’est vrai que la route 19, elle donne l’impression de mener nul part. Heureusement que le panneau « Cougar Reservoir » était là pour confirmer la direction générale.
Je les ai remerciés, et j’ai commencé à marcher. Parce que ma destination se trouvant à dix kilomètres, n’ayant aucune idée de la fréquentation de la route, il était tout à fait possible que j’ai a marché trois heures sans que personne ne s’arrête. Il y aura bien eu six ou sept voitures dans la première heure. Les gens me regardent, mais ne s’arrêtent pas. Alors je continue, même si mon sac à dos est trop lourd. Et puis finalement, après un peu plus d’heure, une voiture s’arrête. Il s’en va au même endroit que moi, ce qui n’est pas trop surprenant par ici.
Je négocie une petite pause, en chemin, pour faire quelques photos du barrage et du réservoir, parce que l’endroit est de toute beauté. Et puis finalement, nous arrivons. Il est midi et demi. J’ai mis deux heures et demi pour faire ce qui m’aurait pris un peu plus d’une heure en voiture. Je suis plutôt content.
Cougar Hot Springs
Il ne reste qu’un petit chemin à marcher pour arriver à Cougar Hot Springs. Et une mauvaise surprise au début du chemin : une dame est là. L’accès aux sources est payant. Six dollars par personne. Dans l’idée, le tarif reste raisonnable, mais ça me dérange quand même. Ça me dérange d’autant plus que depuis deux ou trois semaines, je n’ai plus que deux dollars dans ma poche, en pièce de vingt cinq cents. Puisque je peux payer partout avec ma carte, je ne vois pas l’intérêt de me promener avec du liquide. Bon, là, je reconnais, ça aurait été pratique…
Je négocie un moment, expliquant que je n’ai pas d’argent, parce que je voyage en stop, et que je trouve ça plus prudent de ne pas avoir de liquide sur soit. Comme de toutes façons il n’y a pas de solutions, et qu’elle est quand même gentille, elle me laisse entrer, en me rappelant que les sources sont fermées de huit heures du soir à huit heures du matin. J’avais lu que la zone était pour usage diurne uniquement, mais j’espérais quand même bien pouvoir y passer la nuit. C’est pas gagné… j’aurais peut être besoin de trouver une voiture pour me ramener à un camping… mais l’idée de dormir ici me tentait quand même beaucoup…
Je marche jusqu’aux chutes, admirant la beauté des lieux. Et découvrant que les arbres, ici, sont absolument énormes. Je retrouve mes géants que j’aime tant, et leur majesté. Surprise oh combien agréable ! Je me sens au paradis avant même d’arriver aux sources. Et puis soudain, elles sont là… Deux petites cabanes ouvertes accueillent les baigneurs juste au dessus des bassins.
L’eau sort d’une petite grotte dans la montagne, et coule dans un mini vallon. Des bassins ont été construits, tout en pierre. Ils sont au nombre de cinq, mais le premier est fermé d’accès. Tout autour, les arbres s’élancent vers le ciel. Le bruit de l’eau qui coule se mélange au chant des oiseaux. Je suis en effet arrivé au paradis…
Il y a pas mal de baigneurs. La plupart profite de la non-obligation de porter des maillots de bain. Étrangement, je me pose aucune question. Autant je m’étais senti gêné à Umqua, autant tout cela me parait totalement naturel aujourd’hui. J’ai bien un maillot de bain, mais à quoi bon le mouiller inutilement ?
Je choisis instinctivement le quatrième bassin, qui se trouve être à la température idéale. Je me laisse glisser dans l’eau chaude, ferme les yeux, souriant bêtement. Il n’est pas encore deux heures de l’après-midi, et mes projets pour le reste de la journée sont on ne peut plus simples…
Après être resté un très long moment dans l’eau, je sors pour aller récupérer ma flûte. C’est un endroit parfait pour elle. Je vais m’installer dans le dernier bassin, pour ne déranger personne. Je reste un moment à jouer. Et puis un gars me rejoint dans le bassin. Il me pose deux ou trois questions sur la flûte, avant de dire, dans un parfait français, avec un parfait accent québécois « je devine à ton accent que tu es français ».
Il s’appelle Jérémie. Il est originaire de Montréal, en voyage en ce moment. Depuis combien de temps ? Longtemps, semble-t-il. Il se déplace exclusivement en stop. Il arrive de l’Alaska, a fait un aller retour Vancouver – Montréal (toujours en stop) et se dirige tranquillement vers le sud. Objectif : l’Argentine. Je m’entends bien avec lui. On discute un bon moment. Puisqu’il est en stop, je lui demande où il a prévu de dormir cette nuit. « Ici ». Sa réponse me convient parfaitement. Parce que je n’ai pas l’impression que personne d’autre n’a prévu de passer la nuit ici. Et fidèle à mon habitude, je suis bien content à l’idée d’avoir un peu de compagnie et de ne pas dormir tout seul au milieu de nul part !
L’après-midi passera tranquillement, à mariner dans le quatrième bassin. La plupart du temps, perdu dans mes pensées. Parfois à échanger quelques mots avec Jérémie, ou un autre baigneur. Trois filles de Eugène débarquent à un moment, et nous resterons un long moment à discuter. Je ne peux pas m’empêcher de continuer à trouver surréaliste ce genre d’endroits où la moitié des gens sont nus, les autres sont habillés, et tout ce beau monde discute le plus naturellement du monde…
Le soleil commençant à décliner, on se rhabille, le temps de partir faire un peu de repérage, sur où nous pourrons installer les tentes, hors de vue des sources, si des gens viennent vérifier. L’exploration des environs révèlent une forêt de toute beauté. Et un magnifique endroit, bien plat, où les tentes se plairont.
Les sources se vident de leurs baigneurs, mais pas de leur eau. Il est 19h45, il commence à faire sombre. Tout le monde s’en va. Avec Jérémie, nous partons dans l’autre direction. Comme nous ne sommes finalement pas très loin des sources, nous attendrons une petite demi heure, tranquillement, avant d’installer nos affaires. Jérémie propose de préparer des pâtes. On lui a donné des chanterelles, il a aussi un oignon et de la sauce tomate. Tout cela s’annonce plutôt bien. Nous commençons à préparer à manger, essayant de garder l’éclairage au minimum. Petit moment d’inquiétude quand on voit deux lumières arriver aux sources avant de réaliser que ce sont des baigneurs tardifs, bien décidé à ne pas respecter les horaires de la source.
D’autres groupes de lumières arriveront pendant que nous mangeons tranquillement nos pâtes. Et comme l’idée est quand même de profiter des sources la nuit, nous y retournons. Le deuxième bassin est envahi par un groupe d’une dizaine d’asiatiques. Un peu bruyant, smartphones en main, lumières dans tous les sens, et canettes de bières.
Moi je retourne dans mon quatrième bassin, beaucoup plus calme, où je resterais plusieurs heures, dans un état oscillant entre la somnolence et la méditation, allongé sur le dos, une pierre comme oreiller, bien au chaud, à admirer les étoiles, au travers des branches des arbres…
La température a chuté en dehors de l’eau, pourtant je n’ai aucun problème à en sortir, à me rhabiller, et à retourner à la tente. Sans doute parce que j’ai du passer six ou sept heures, aujourd’hui, à emmagasiner de la chaleur…
Je m’installe dans ma tente que je trouve encore plus confortable que d’habitude. Et puis surtout, pour faire changement, je suis bien. Et je suis heureux.
C’est vrai que le paysage me plait beaucoup plus à partir de la fin de la première série de photo. Le désert m’intrigue d’autant que je n’en ai jamais vraiment visité d’important, mais la forêt m’attire beaucoup plus. En fait ce qui compte en premier ce sont les vallonnements plutôt que les paysages immensément plats qui s’étirent vers l’infini. C’est une drôle d’idée de mettre des péages une peu partout dans la nature… On a vu ça une ou deux fois en Sardaigne…