Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionNovember 20th, 2015
  • Aujourd’hui, c’est jour off. Et oui ! Aujourd’hui, je ne travaille pas ! Vous savez, une des questions que l’on me pose le plus souvent, et que l’on pose le plus souvent aux gens qui voyagent longtemps, c’est le classique « mais où tu trouves l’argent » ? Je ne m’éterniserai pas dans le détail pour le moment. Mais un indice quand même : ça fait plus de trois semaines que je travaille. À Mahahual, je travaillais 5 h par jour, 6 jours par semaine. Ici, à Tulum, je viens de faire 7 jours de suite, à 6 heures par jour (et en profiter pour gagner trois francs et six sous). Demain, je ralentie. Je passe à 4 heures par jour. Parce que bon, quand même… mais tout ça pour dire que oui, une des raisons pour laquelle je peux voyager pendant longtemps, c’est que des fois, je m’arrête, et je fais du volontariat. Je ne suis pas 24 heures par jour à visiter des temples, à bronzer sur la plage, et à boire des bières. Je travaille.

    Mais pas aujourd’hui. Non. Aujourd’hui, je ne travaille pas.

    J’ai anticipé un peu : hier, je suis allé m’acheter des chaussures. Oui, vous avez bien lu. Je possède à nouveau des chaussures. J’en avais trouvé qui me plaisaient énormément (des chaussures de randonnées pour hippies) mais ils n’avaient pas plus grand que 43. En fait, je pense qu’ils avaient décidé de me vendre une paire précise, parce qu’ils ont voulu me faire essayer qu’une seule paire. Bon, c’était la première que j’avais demandé, et elle me plaisait quand même un peu. Enfin… ça sera du dépannage, en attendant.

    J’avais besoin d’une paire de chaussures, parce que mon objectif de la journée, c’est Coba. Coba, ce sont des ruines Mayas. Qui s’étalent jusque loin dans la jungle. À son apogée, la ville a compté plus de 55,000 habitants. Donc je savais que j’allais marcher.

    La ville est -entre autre- connue pour son important réseau de Sacbeoob (des routes) qui la reliaient à de nombreuses autres villes. La plus importante, Sacbé 1, relie Coba à Yaxuná, à une centaine de kilomètres d’ici. Pas aussi imposant que les réseaux romains, certes. Mais quand même des axes de circulation important (la plupart date de 600 – 800 après JC).

    La ville compte également de nombreuses stèles, disséminées un peu partout. Elles servaient à noter les événements importants en lien avec la classe dirigeante.

    Comme vous le constaterez aisément en regardant les photos, le style architectural de Coba se rapproche plus des bâtiments que l’on retrouve au Guatémala que ceux que l’on trouve habituellement dans le nord du Yucatan.

    Coba a perdu de son importance aux environs du 12e siècle, suite à la montée en puissance d’autres villes le long de la côte, comme Tulum (oui oui, j’irais visiter les ruines bientôt), Xcaret, Tanka ou El Rey.

    Les zones de la ville qui ont été récupérées sur la jungle se composent de quatre parties. La première partie, juste à côté de l’entrée. La deuxième se situe plus ou moins à un carrefour, à un kilomètre d’ici. Et de là, on peut atteindre deux autres groupes, chacun à un kilomètre, dans deux directions différentes. Oui, il faudra donc marcher.

    Grupo Coba

    Une fois l’entrée passée, et avoir refusé les services de quelques guides -pas insistants- on se retrouve à Grupo Coba. Là où se trouve la plus grande concentration de structures sur le site. Quarante trois au total, des cours, des salles voutées, une grande place, des stèles, etc… Le plus grand bâtiment de l’ensemble, Iglesia (l’église) est construit sur neufs étages, pour atteindre la hauteur de 24 mètres.

    Je fais cette première exploration en prenant mon temps. Je suis arrivé en même temps que plusieurs groupes, et il y a un peu trop de gens à mon goût. Ça parle italien, français, allemand, anglais… la tranquillité de Muyil me manque déjà ! Mais je me décide à prendre un peu mon temps. Je me dis que les groupes ne s’éterniseront pas. Et puis je n’a pas encore pris mon petit déjeuner. Alors je me pose sur une pyramide, mange tranquillement mon pain au chocolat. Et regarde autour de moi. Je ne me suis pas encore fait à la jungle. Ni au fait de visiter des ruines au milieu de tout ça. Ça me plait. Je suis bien. Tout cela est réconfortant. Reposant. Agréable. C’est un sentiment difficile à expliquer, en fait. En haut de ma petite pyramide, il n’y a personne. Cette tranquillité me plait.

    Conjunto Pinturas 

    Grupo Coba est facile d’accès. Juste à côté de l’entrée. Tout le monde peut y aller à pied, sans aucun soucis. Mais pour la suite, ça se complique un peu. Les distances augmentent. Il y a trois options pour se déplacer sur le site. À pied, bien évidemment, si vous n’êtes pas pressés (je ne le suis presque jamais). Sinon, vous pouvez louer un vélo, pour vous déplacer plus facilement d’un point à un autre. Ou alors, louer un « rickshaw ». Un petit vélo trois places, propulsés par les jambes d’un autochtones. Deux tarifs possibles : celui où il vous amène à un endroit, et celui où il vous amène à deux endroits. L’option n’est pas forcément une mauvaise idée. Mais moi, j’aime bien marcher.

    Au moment où je m’engage sur le chemin, je vois une horde de rickshaws revenir. Je commence à m’inquiéter sur la quantité de monde que je vais croiser plus loin, mais ça se calme assez rapidement, et je m’enfonce tranquillement dans la jungle, en suivant un petit chemin bien aménagé, et en me faisant régulièrement dépassé par des vélos.

    Un petit kilomètre plus tard, j’arrive donc à Conjunto Pinturas (le complexe peint). Plusieurs petites structures disséminées un peu partout, et un temple, un peu plus imposant que le reste, avec treize petits autels à son pied. Et encore, un peu partout, des stèles. Cette zone correspond à la dernière période d’occupation de Coba. Le style ? « côte est » (12e – 15e siècle) qui fait suite au Post Classique (of course !).

    Comme à Muyil, la nature a repris contrôle des lieux. En dehors des chemins aménagés et des bâtiments dégagés, c’est la jungle. Au premier sens du terme. On devine encore des structures, partiellement effondrées voir complètement détruites. Et quand on marche, on ne découvre les bâtiments qu’en tombant dessus. Ce dévoillage progressif continue à me plaire énormément. On commence par voir quelque chose entre les arbres. Les couleurs ne sont plus les mêmes. Ce n’est plus le vert des arbres ou le bleu du ciel. C’est gris. On sait que quelque chose s’en vient. On ne sait simplement pas quoi ! Et ce groupe là n’ayant aucun panneau, je n’ai en effet aucune idée de ce dont il s’agit. Si ce n’est le parallèle que je peux faire avec les bâtiments à l’entrée : deux pyramides, formant une cours rectangulaire entre elles. Et sur chaque pyramide, un anneau en pierre destiné à… destiné à quoi, d’ailleurs ?

    Nohoch Mul 

    Le groupe le plus célèbre de Coba, Nohoch Mul, m’attend un peu après. Par respect pour un lecteur qui continue à avoir du mal avec le maya, je rappelle donc que « nohoch » ça veut dire « grand » et que « mul » veut dire « monticule ». Nohoch Mul s’étale sur 2400 mètres carrés, et a été construit en hauteur. Il s’agit de la plus haute structure dans le nord du Yucatan, avec ses 42 mètres. Donc forcément, tout le monde vient lui rendre visite.

    Construit en sept étages aux coins ronds, complétés par deux escaliers sur la face sud, et avec un temple au sommet (période post classic : 1100/1450 ). Malgré son côté imposant (c’est la structure la plus volumineuse de Coba) il semblerait que le bâtiment n’ai jamais été terminé. Devant le bâtiment, une autre stèle. La mieux conservée de tout Coba. Une date est inscrite dessus : 30 novembre 780.

    Je savais que la pyramide m’attendait. Je savais qu’elle serait là, et qu’elle serait haute. J’ai commencé à la deviner entre les arbres. À voir que oui, en effet, elle semblait monter loin là haut. J’ai avancé en prenant mon temps, en regardant tout autour de moi pour ne rien rater. Et soudain, elle était là. Magnifique, comme prévu.

    Et malgré le panneau, j’ai décidé de monter sous mon propre risque. Intéressant de noter que la traduction anglaise est bien faite, mais que la traduction française est littérale. Mais au moins, maintenant, je sais. En espagnol, ce n’est pas « à notre risque » mais « sous notre risque ».

    Et donc, j’ai grimpé. Mais il m’a semblé que ça ne se faisait pas de monter en chaussure. Il m’a semblé que je devais le faire pieds nus. Parce que ça faisait un moment, après tout, que je ne m’étais pas promené pieds nus. Alors j’ai enlevé mes chaussures, et j’ai attaqué l’ascension. En gardant les yeux le plus possible sur la pyramide. En me gardant la surprise du paysage pour plus tard. Pour en haut. Pour que tout m’arrive d’un seul coup dans les yeux. Et j’ai réussi.

    J’ai monté en prenant mon temps. Calmement. Lentement. Je suis arrivé sur la plateforme d’en haut, j’ai attendu quelques secondes, et je me suis retourné.

    pano_coba

    Une image vaut parfois mille mots. Sur ce coup là, je ne sais pas. Je me demande si j’arriverai à pleinement décrire ce que j’ai ressenti avec seulement mille mots. Seulement avec les mots que je connais… seulement avec les langues que je connais… ce tapis vert, qui s’étend à perte de vue. Cette pyramide, à mes pieds. Cette sensation de voler. De ne pas être à 42 mètres au dessus du sol. Mais plutôt à à trois cent. Ou à trois mille. Ou à je ne sais pas combien.

    Je suis resté un moment. D’abord à regarder. Puis à faire quelques photos. Elle a chanté pendant un petit moment. J’ai entendu quelques commentaires, du coin de l’oreille. Des gens ont apprécié.

    Et puis je me suis assis un moment. J’ai grignoté un peu. J’ai eu envie de sortir mon livre. De me poser un moment, et de bouquiner. Oui, j’étais bien ici. J’ai laissé mon livre dans mon sac, mais j’ai pris mon temps. Regardant les gens monter, et redescendre. Passant à deux doigts d’avoir la plateforme pour moi tout seul à un moment… je suis allé me poser sur le bord, j’ai mis mon appareil photo en mode « time lapse ». Et je suis resté un moment, au soleil, à le laisser faire des photos.

    Et j’ai compris.

    Je me promène presque tout le temps avec Elle, ma flûte, parce qu’elle est facile à transporter (grâce au super étui de ma tata !). Pourtant, aujourd’hui, ce n’est pas Elle que j’aurai du emmener aujourd’hui. Aujourd’hui, j’aurai du amener mon didgeridoo. Est-ce à cause de la jungle tout autour ? Est-ce à cause de la pierre ? Ou est-ce à cause du lieu ? La terre est partout présente. Elle me donne envie de me poser, de m’installer. Sur la pyramide où je m’étais installé pour grignoter un petit déjeuner rapide, j’ai eu envie de prendre tout mon temps. De ralentir. De m’arrêter. Ici, plus nettement encore, cette envie de s’enraciner. De se poser. De ne plus bouger. Et oui, quand il y a de la terre tout autour, j’ai envie de jouer du didgeridoo. Si Elle est la fille de l’eau, mon didgeridoo est le fils de la terre. Et non, étrangement, il n’a toujours pas été nommé…

    Quoi qu’il en soit, j’aurais presque envie de revenir ici, juste pour jouer du didge. Dans tous les cas, j’essaierai de penser à le transporter un peu plus avec moi… en plus, il tient plutôt bien dans mon sac, donc je n’aurai peut être même pas besoin d’un étui pour lui !

    Xaibe

    Et j’ai attaqué la descente. Le temps de m’arrêter un peu, pour refaire un petit time lapse, et de continuer ma route. Pour une autre petite pause rapide, devant un bâtiment intriguant. Sans aucune explication. Juste un panneau. Xaibe.

    Grupo Macanxoc 

    J’ai refait le chemin retour, jusqu’au carrefour de Conjuncto Pinturas. Et là, j’ai pris l’autre chemin. À Nohoch Mul, il y avait du monde. De plus en plus, d’ailleurs. Les gens commençaient à arriver en gros groupes, et j’ai plutôt bien réussi mon timing pour arriver et repartir au bon moment. Mais une fois sur le chemin de Macanxoc, il n’y a plus personne. Forcément, les gens n’ont jamais le temps pour aller voir les attractions « secondaires ». Il faut aller voir la plus haute pyramide du nord Yucatan. Mais le reste, pas le temps.

    C’est dommage pour eux. Ils ont raté une chouette balade en forêt. Le chemin continue d’être agréable (j’ai eu la flemme de remettre mes chaussures, d’ailleurs). Et on finit par arriver à Macanxoc. En fait, il s’agit surtout d’un endroit où il y a beaucoup de stèles. Pourquoi ici ? On ne sait pas trop. A priori, c’était un endroit important, avec beaucoup de cérémonies civiles organisées. Mais on ne peut pas dire grand chose de plus.

    La simplicité de l’endroit me plait. Toute comme sa tranquillité.

    J’attaque finalement le chemin du retour. Le nombre de touristes augmente rapidement quand on se rapproche de l’entrée. J’ai eu raison de venir assez tôt. L’endroit était tranquille, je ne me suis pas fait mangé par les moustiques (même pas dix piqûres, ça ne compte même pas).

    De retour à l’entrée -toujours pieds nus, les chaussures accrochées au sac- j’ai attendu sagement le bus, j’ai embarqué, et je suis rentré à Tulum. Ces derniers jours, j’ai croisé plusieurs personnes qui disaient « ouais, les ruines c’est pas mal, mais une fois que t’en as fait quelques unes, c’est pas la peine d’en faire plus ». Je n’en suis qu’à trois, pour le moment. Aucune des trois ne se ressemblaient. Complètement différentes l’une de l’autre. Des énergies différentes. Des sentiments différents. Des bâtiments différents. J’ai fait la liste des ruines que j’ai envie de voir dans la région, et elles sont encore nombreuses. Et aucun doute que je ne m’en lasserai pas ! J’ai hâte à la suite !

    2 commentaires

    1. Commentaire de Kaly

      Si mes informations et ma mémoire sont bonnes – et là, ça fait beaucoup de si ! – les anneaux de pierre sont des “buts”, un peu comme au foot, sachant que le ballon était en cuir plein et qu’on shootait, je crois, avec ses hanches.

      Et j’ai entendu parler aussi de la mise à mort des perdants. Ils faisaient pas dans la dentelle, les Mayas !

      Chez nous on plaint les Cathares parce qu’ils ont été exterminés, et ça c’est toujours triste, de perdre sa vie. Mais c’est pas mal qu’on ait perdu le catharisme.

      Dommage que les Mayas et tant d’autres aient été exterminés, mais qu’ils ne puissent plus dominer est sans doute une bonne chose. Vu leur mode de domination.

      Ceci n’excusant en rien les traitements que tous les habitants du nouveau monde ont eu à subir.

    2. Commentaire de Sébastien Chion

      @Kaly : bon point. Il s’agit très probablement de ça en effet. Sur le panneau anglais, ils parlaient de « ball court » dont j’étais pas sûr de la traduction. Il s’agit donc bien d’un terrain de « balle ». Et oui, ça me revient, j’ai lu ça quelque part. Ballon en cuir, et on joue avec les hanches. Faudra que je regarde ça un peu plus en détail pour comprendre.

      Lors des grands événements sportifs, ce n’est pas le perdant mais bien le gagnant qui était mis à mort. Sisi. Et pourtant, les gens étaient motivés à gagner. Pourquoi ? Parce que lors de ces sacrifices, les gagnants étaient envoyés directement au paradis, sans avoir à passer par tout un parcours compliqué. Donc oui, c’était une belle opportunité. « Avancez jusqu’à la case paradis ».

      Je me faisais la réflexion, l’autre jour, en repensant à mon commentaire sur les mayas « civilisés » parce qu’ils ne tuaient pas leurs ennemis à la guerre. Ils les faisaient prisonnier, pour les sacrifier plus tard. Et n’empêche, quand j’y repense, je trouve qu’il y a là quelque chose de « civilisé » en effet : on ne tue pas son adversaire sur le champ de bataille, sans raison, ou juste pour le plaisir. Tuer sur le champ de bataille est une mort inutile. On préfère garder l’adversaire pour le sacrifier plus tard, dans un contexte plus utile. Évidemment, c’est plus compliqué comme façon de voir les choses, mais il n’empêche que ça me parait plus positif que simplement massacrer la personne en face de soit, sans raison particulière.

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