J’étais assis dans un bateau. Je mangeais des pringles. Le plus naturellement du monde. Un geste d’une banalité affligeante. Un geste du quotidien, sans la moindre conséquence. Sans la moindre signification. C’est la vacuité de ce geste, le fait de manger des pringles, qui m’a fait prendre conscience que j’avais adopté le lac et ses lanchas (le mot employé au Guatemala pour désigner les bateaux, aussi bien sur le Rio Dulce que sur le lac Attitlan).
Prendre le bateau était devenu un geste banal et ordinaire. Je n’en étais pas pour autant blasé. Il n’y a pas eu une fois où je ne me suis pas émerveillé d’être sur le lac Atitlan. Pas une fois où je n’ai pas fermé les yeux pour savourer au maximum la beauté -et l’intensité- du moment présent.
Je venais de redescendre du San pedro. Je venais de monter et descendre un volcan avec Carly, et je mangeais des pringles. La vie est magnifique. Telle a été ma conclusion, en sautant quelques étapes…
Après un mois sur le lac, après deux mois à ne me déplacer qu’en bateau (sur le Rio Dulce puis sur le lac), prendre le bateau me plait toujours autant. Il faut dire que le lac Atitlan, comme le Rio Dulce, rayonne d’amour. Et que prendre la bateau, c’est être au première loge pour s’immerger dans cet amour.
J’aurais passé cinq semaines et demi à la Iguana. Et j’en ressors avec un bilan mitigé. J’ai adoré mon expérience. J’ai adoré ce que j’y ai vécu, les rencontres que j’ai faites, mais je n’aurais pas du y rester. Je suis allé contre mes principe. J’ai permis à des gens qui ne le méritaient pas, selon moi, de profiter de mon temps et de mon énergie. J’ai travaillé à temps plein pendant cinq semaines et demi, pour des gens que je n’apprécie pas. Je l’ai fait par simplicité, Lilou arrivant à la fin de mon séjour à la Iguana. Il était plus simple de rester et d’attendre. Je l’ai aussi fait parce que j’ai adoré les clients de la Iguana et que j’ai créé des liens magnifiques avec certains. Je l’ai fait, enfin, parce que j’avais envie de faire de la Iguana mon terrain de jeu. Mais si je n’avais pas eu à attendre Lilou, je n’aurai pas joué Je ne me serai pas arrêté. Je serai parti.
Tout compris, on nous demandait de travailler 35 heures par semaine. Sans doute même un peu plus. Avec seulement une journée de repos. Nouri, logé, les consommations sur place moins chères, mais aucun autre avantage. Aucun bonus. Aucun signe de reconnaissance. Le t-shirt gratuit de la Iguana se mérite. Il faut rester un minimum de 6 semaines. Les cinq semaines et demi ne suffisent pas. Mesquins, les proprios ? Selon moi, oui. Quand Eva est venue me rendre visite, j’ai demandé si les amis des volontaires avaient le droit à un des réductions. La réponse a été « tu comprends, on reçoit beaucoup de volontaires chaque année. On ne peut pas se permettre de faire ça ». J’aime les chiffres. Ils disent beaucoup de choses, parfois. Alors j’ai fait le calcul. En comptant large (5 volontaires en même temps, chacun restant six semaines) on arrive à une cinquantaine de volontaires par an. Si chaque volontaire était visité par deux amis, et que l’accord était que la deuxième nuit était offerte dans le dortoir le moins cher (celui à 35Q la nuit), on aurait 100 nuits gratuites pour un total de 3500Q. Soit 450 euros. Comprendre que les recettes brut d’un lieu comme la Iguana sont sans doute au dessus des 120000 euros annuel, et les chiffres parleront d’eux mêmes.
Si j’ajoute que de tous les volontaires, je suis le seul à avoir eu de la visite en six semaines, et juste une seule amie, et vous verrez que les 450 euros sont bien au dessus du coût réel. Quand aux volontaires qui repassent plus tard, ils paient plein tarif, comme tout le monde. Aucun avantage, aucun tarif, rien. Aska m’a dit que je ne paierai rien quand je retournerai à Hotelito…
Et pourtant, tout le monde est en admiration devant les propriétaires de la Iguana. Je suis le seul, il me semble, à avoir un regard critique. À analyser. À observer. À remettre en cause la situation actuelle. Enfin non. Je ne suis pas le seule. Elle s’appelait Audrey. Elle venait d’Irlande. Elle était supposée me remplacer. Elle est repartie après une semaine, trouvant que l’on travaillait beaucoup trop. J’ai beaucoup apprécié mes quelques échanges avec Audrey !
Paradoxalement, j’ai adoré ma vie à la Iguana. Même si pendant cinq semaines et demi j’ai été en déconnexion complète avec le Guatemala. J’étais dans un lieu pour les gringos, par les gringos. Un lieu déconnecté des environs. Un lieu où, lors des soirées quizz, on pose des questions sur la Nouvelle Zélande, le Canada et l’Angleterre. Je suis le seul à avoir posé des questions sur le Guatemala… la musique qui joue à longueur de journée est un enchainement de pop insipide, et de variété internationale sans intérêt. Une musique qui efface complètement la culture Guatemalteque. Qui fait complètement oublier on l’on se trouve.
Mais oui, j’ai adoré travailler ici. Paradoxe quand tu nous tiens… ce n’est pas à cause des propriétaires. Ou à cause de l’immersion culturelle. C’est grâce aux gens que j’ai rencontrés ici, aux amitiés que j’ai liées. Grâce à l’énergie des lieux, et grâce à ces deux volcans. Et à ce lac. Grâce à tout ce qu’il est possible de ressentir ici.
En écrivant tout cela, un mot me vient à l’esprit. « Imposture ». J’ai l’impression que le lieu n’est pas ce qu’il est à cause de ce qui a été construit. Le lieu est ce qu’il est car les propriétaires profitent de ce qu’il y a autour. L’énergie du lac, l’énergie des volcans, l’amour de Gaïa. Les gens sont fascinés par la Iguana, alors qu’ils devraient être fascinés par le lac. Qu’il me manque mon Hotelito…