Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionJanuary 17th, 2016
  • « Quel type de pain pour accompagner l’omelette ? »

    Con tortillas. Soy un hombre de mais.

    Il s’appelait Joshua. Il n’y avait aucun mépris dans sa réponse. Seulement un mélange d’amusement, et peut être aussi d’incrédulité que je puisse poser la question alors que la réponse était si évidente. Méprisant, pourtant, il aurait pu l’être. Parce qu’après tout, ma question était digne d’un gringo.

    « Je suis un homme de mais ». Il l’a dit le plus naturellement du monde. Il y avait quelque chose de magique dans la simplicité de son affirmation. Je me suis souvenu de ce que j’avais lu dans un guide, à un moment, sur les mayas. Je ne sais plus quel guide. Je ne sais plus où. Je ne sais plus quand.

    Quand les dieux ont créé les hommes, ils ont d’abord essayé une première fois. Avec de la terre, je crois. Ça n’a pas marché. Ils ont essayé une deuxième fois. Avec de la pierre, si mes souvenirs sont bons. Sans plus de succès. Pour la troisième tentative, ils ont essayé avec du maïs. Le résultat était parfait. L’homme avait une belle couleur de peau, légèrement dorée. Un peu craquante. La création était réussi. Pour les mayas, le maïs est sacré. Ils en mangent à tous les repas. Et si une femme fait tomber un grain par terre alors qu’elle cuisine, elle le ramasse, s’excuse, et le lave avec précaution.

    Cette histoire d’homme à la peau dorée et parfaite me rappelle un autre mythe créateur.

    Quand Dieu a créé l’homme, il l’a façonné avec de la terre. Et puis il a construit un four pour le faire cuire. Il a démarré le feu, puis il s’est occupé de créer les animaux. Distrait, il a laissé cuire l’homme trop longtemps. Il est sorti tout noir, et les cheveux tout racornis. Alors il a façonné un deuxième homme avec de la terre, et il l’a mis à nouveau dans le four. Mais cette fois, il est resté à coté, pour ne pas se laisser distraire. Impatient, pourtant, il l’a sorti trop tôt. Il était tout blanc. Pale. Avec des cheveux lisses. Il a décidé d’essayer une troisième fois. Cette fois ci, il a attendu juste le temps qu’il fallait. Son troisième homme avait la peau dorée juste comme il faut, et les cheveux bouclés. Il était tellement fier de sa création, qu’il a décidé de lui donner en plus un savoir magnifique : celui de la musique. Et puisque son troisième homme était si réussi, il a décidé qu’il vivrait sur la route. Qu’il voyagerait, portant musique et histoires partout où il irait. Ainsi est né le peuple nomade de bohème.

    Je ne peux m’empêcher de voir un lien entre ces deux histoires. Entre ces deux mythes. Entre cette peau dorée et parfaite, et les deux premiers essais « ratés »…

    Voilà une dizaine de jours maintenant que j’ai quitté le Guatemala. Enfin… pas vraiment quitté. Je m’en suis simplement déconnecté. Je suis sur le bord du lac Atitlan. Un genre de non lieu qui, au final, ne me plait pas plus que ça. Le Guatemala a presque complètement disparu. J’ai perdu toute connexion avec lui. Je n’apprends plus rien sur sa culture ; je ne parle presque plus espagnol. À Hotelito Perdido, j’avais des contacts et des échanges avec les filles des cuisines. Sur les derniers jours, j’ai aussi créé des contacts avec Perico et Byron, pour organiser tous les transports. J’échangeais avec eux. Je n’ai pas eu le choix de les rejoindre dans leur monde. Dans leur univers. Pas eu le choix de m’habituer à leur façon de faire, à leur façon de vivre. Oui, à Hotelito Perdido, même si j’étais entouré de touristes, j’étais encore en contact avec le pays.

    Mais ici, à la Iguana Perdida, ce n’est plus le cas. La structure est trop grosse. Il y a trop de monde. Il n’est plus nécessaire d’aider à décharger les commissions depuis la lancha. Il n’est plus nécessaire de parler aux filles de la cuisine. Hormis pour éclairer un point de détails sur une commande de temps à autre. Ce n’est pas ce que je suis venu chercher au Guatemala. Ce n’est pas ce que je suis venu chercher ici. Je veux parler aux gens. M’approcher d’eux. Apprendre à les connaitre, à les comprendre. Comment ne pas être fasciné par des personnes qui sont toujours en train de sourire ? Aussi bien à la Iguana qu’à el Hotelito, les cuisines sont pleines de rires, donnant l’impression qu’il n’y a que joie et bonne humeur. Tout le monde semble heureux, tout le monde est souriant, agréable, sympathique, serviable.

    Le sourire des guatémaltèques déteint. Il déteint sur ceux qui en ont envie. Il déteint sur moi. Je m’abreuve de leur sourire et de leur joie de vivre. Quand on marche dans la rue, quand on fait une randonnée, le « buenos dias », le « buenas tardes » ou simplement « buenos » ou « holà » est toujours dit avec un sourire dans la voix que je rends à chaque fois. Je ne peux m’empêcher de me promener en souriant. Le monde est tellement beau, les gens sont tellement beaux… Je ne peux m’empêcher d’être comme eux. Enthousiastes. Avec l’envie de parler à tout le monde… mais pour ça, il faut sortir du cocon doré de la Iguana. Parce qu’à la Iguana, les locaux ne sortent pas des cuisines. Les managers gèrent la plupart des interactions et des contacts. Les invités ne voient jamais les employés. Les volontaires n’ont que de rares contacts.

    Mais qu’est ce que je fais ici ?

    J’ai envie d’apprendre la culture. J’ai envie de m’y confronter. De la comprendre. De la découvrir. Je ne deviendrais pas un homme de maïs. Ça ne m’intéresse pas. Et puis de toutes façons (honte à moi !) je ne suis vraiment pas fan de tortillas. Trop insipides à mon goût. Mais cela ne doit pas m’empêcher d’entrer en contact avec les gens, si ?

    Le lac Atitlan est un aimant à gringos friqués. Pour l’occasion, « gringos » désignent aussi bien l’américain que le canadien, l’allemand, le français ou le néerlandais. Les maisons se suivent et se ressemblent sur le bord du lac. Architecturalement différentes, certes, elles sont toutes construites par des gens qui ont envie d’investir dans cet endroit où rien n’est cher. Il est facile de vivre sur le lac. On n’a même pas besoin d’être en contact avec les locaux. On retrouve « les nôtres » partout. Et on engage une femme de ménage, un jardinier et une cuisinière, pour se donner bonne conscience en disant que l’on crée des emplois et que l’on aide l’économie locale. Mais si l’on injecte dans l’économie, on dilue de plus en plus la culture.

    Il en faut plus pour me décourager. Au contraire, je prends presque ça comme un challenge. Je veux trouver le Guatemala d’Atitlan. Je veux comprendre la culture d’ici. Les gens d’ici. Il m’a fallut un moment pour mettre le doigt sur ce qui me dérangeait. Maintenant que j’ai compris, je me dis qu’il sera peut etre plus facile de débloquer la situation. D’aller régulièrement au village de Santa Cruz, pour devenir un visage habituel, peut etre. Pour que les gens me reconnaissent, et que je puisse parler avec eux. Créer des liens. Créer des contacts. Peut etre…

    Je commence les cours d’espagnol demain. Ça fait un moment que ça me travaille. Il est temps que je m’y mette. Ce sera le cadeau de Arthur et April. Ils m’auront offert ça en partant. Leur cadeau n’aura que plus de valeur. Les cours d’espagnol se font en tête à tête ; j’espère pouvoir poser des questions sur la région, sur les gens, sur un peu tout. J’espère pouvoir commencer à satisfaire ma curiosité qui est en stand-by depuis un peu trop longtemps.

    Poser des questions sur la région… à la Iguana, il y a des soirées quizz tous les vendredis soirs. Avant hier, j’ai assisté à la deuxième soirée Quiz. La première était animée par Georges, originaire de New Zealand. Il a posé des questions sur son pays, sur la science, sur la musique… la deuxième était animée par Anja, Canadienne. Elle a posé des questions sur le Canada, sur l’alcool, sur les vacances à travers le monde et sur la musique… le but de ces soirées quiz est évidemment de s’amuser. Mais aussi, tout le monde le dit, d’apprendre quelques « fun fact ». Mais alors pourquoi personne ne pose de question sur le Guatemala ? Les gens semblent si heureux, ici, entre eux. Entre blancs. Entre occidentaux. J’ai envie de bouleverser un peu tout ça. De bouleverser un peu leur confort. De leur rappeler qu’ils sont dans un autre pays. Qu’ils ont le droit (le devoir ?) d’être curieux.

    Je suis allé à deux reprises à San Marcos, voir Laurie et Céline. Je pense que je n’y retournerai pas. San Marcos me donne mal au coeur (quasi littéralement). San Marcos est un repère à hippies. À hippies plein de frics. Irrespectueux. Je n’aime pas ce qu’ils dégagent. Je n’aime pas leur façon d’être. Ils me font penser à ceux que j’avais rencontré en Australie, à ce festival dont tout le monde disait du bien (aka Confest), et qui m’avait profondément énervé au final. Ils me font penser à ces personnes dont mes parents m’ont parlé en Inde. Persuadés d’avoir les réponses, la vérité, le savoir absolu. Méprisant de toutes personnes différentes. Ne portant aucune attention à ce qui les entoure. Je ne peux m’empêcher de penser à la chanson « petit rasta » à chaque fois que je les vois. Ils se sont tous donnés rendez vous à San Marcos. Une ville qu’ils détruisent avec autant d’efficacité qu’un cancer, en la rongeant de l’intérieur. À San Marcos, vous trouverez des séances de méditation, des cours de yoga, des séances pour aligner vos shakras. Bienvenue au club med des hippies. Céline m’a fait rire en me parlant de cette personne qui était pressée d’avoir son chaï parce qu’elle était en retard à son cour de méditation. C’est toute l’absurdité de leur approche qui est mise en évidence…

    Tout cela, évidemment, est complexe. J’aime la méditation, j’ai beaucoup de respect pour beaucoup de personnes qui font du yoga, je pense que l’équilibre des shakras est important, et j’aime beaucoup le chaï. Ce sont quasiment les mêmes gens qui vont peupler le Rêve de l’Aborigène ou le Wide Open Space. Quasiment. La différence est minime, et je ne suis même pas sur de pouvoir l’expliciter. On rentre plus dans le domaine du ressenti. Il me semble quand même que la principale différence se fait au niveau du plafond de la carte de crédit que chacun à dans sa poche. Max (prénom changé), par exemple, qui se revendique « backpacker ». Qui va régulièrement à San Marcos, parce qu’il aime l’atmosphère là bas. Max, qui est arrivé à la Iguana avant moi. Il n’est pas volontaire. Il dort en chambre privée depuis qu’il est là. Consomme au moins trois ou quatre bières par jour, les petites journées. N’hésitera pas à cumuler sept ou huit cocktails en une soirée. Il dépense en une journée et demi mon budget d’une semaine… mais oui, c’est un backpacker et un hippie. Nous vivons juste dans deux mondes qui n’ont rien à voir. Suivant deux réalités différentes…

    J’ai rayé San Marcos de ma carte, mais il reste encore pas mal de villages autour du lac. Je vais voir Bethany à Panajachel dans quelques jours. On verra ce que la ville à offrir. Je vais continuer à grimper à Santa Cruz et au café Cecap. Je vais aller regarder les coopératives de femmes de San Juan. J’éviterais peut etre Santiago qui, parait il, est l’endroit où aller si on veut faire la fete. Il y a aussi San Pedro, dont je ne sais rien. Et quelques autres petits villages.

    Il est hors de question que je réduise ce lac magnifique à un village contaminé et à un hôtel déconnecté du monde… il est temps que je retrouve le Guatemala ! Je suis persuadé que le pays est là, quelque part, à m’attendre.

    4 commentaires

    1. Commentaire de Boulette

      Bah tiens, toi aussi t’en as ras le pompon des hippies friqués… Et encore là ça va, ils se sont tirés, restent les indécrottables mais ils sont bien moins chiants que le convoi post-festival de la semaine dernière. Vais tenter un p’tit tour à San Juan la semaine prochaine pour des tofs dans une coopé de travail, j’te tiens au jus !

    2. Commentaire de La Feuille

      Beau billet qui me fait plaisir… Je partage ta philosophie sur ce coup là. J’aurais tant à dire sur ces gens qui pourrissent tout avec leur fric. Je vois tous ces contrastes saisissants dans la petite épicerie bio, à la ferme où je fais nos courses, à 8 km de la maison. Mais là le brassage se fait pas trop mal… Je ne suis pas sûr qu’un hôtel soit le bon endroit pour rencontrer la population locale, bien qu’en Calabre dans l’agriturismo des parents de notre amie Sarah, on aurait pu discuter tant qu’on voulait avec qui on voulait et que le mixage touristes/personnel local/helpers ait eu lieu de fonctionner. Compliqué tout ça. Je crois que les responsables du lieu d’accueil ont aussi leur responsabilité dans tout ça.

    3. Commentaire de Kaly

      Je me rappelle en Inde comme c’était zen, par exemple quand notre chauffeur tentait de doubler cinquante fois, et se rabattait cinquante fois, tout en restant d’humeur égale. Tous les gens étaient d’humeur égale même dans les embouteillages les plus incroyables. Et je me demandais si nous distillions haine, stress ou colère, si nos caractères de cochon se voyaient. Même si je ne m’identifie pas au Français lambda !!!

      Le caractère des gens était un des éléments (hyper positifs !) les plus dépaysants pour des étrangers comme nous.

      Je me rappelle, c’est bien plus ancien, comme j’ai été choquée, au Guatémala, en entendant crier, car les Guatémaltèques ne crient jamais.

      Je me rappelle aussi (non, rassure-toi, je retrouve ça dans mon journal de voyage), de nouveau en Inde, combien je me méfiais de tout ce qui est parachuté, que ce soit la pratique du yoga en France, qui n’est qu’une toute petite partie du mode de vie des Indiens, ou les vagues de touristes consultant des gourous au Kérala.

      L’acculturation n’est pas loin, et j’écrivais dans ce fameux journal qu’«arracher des humains à leurs racines est autant criminel que les tuer». Bon, à la réflexion peut-être pas autant, mais c’est réellement un crime grave et presque aussi irréparable que le meurtre. Lire Lévi Strauss.

      Lis sur wikipédia ce qui est dit sur Rigoberta Menchu, j’ai lu son livre il y a très longtemps et le sujet de l’acculturation y tenait une place importante.

      Si tu continues je vais aussi relire mon journal sur le Guatémala, moi !

      Je me rappelle que tu as traversé la ciudad de Guatemala sans lui accorder un grand intérêt. Fais attention : ce n’est peut-être pas une ville très touristiques, c’est peut-être une ville très guatémaltèque, et, en tant que telle, plus intéressante que San Marcos.

      Je regretterais moi-même que ton séjour continue “hors du Guatemala” comme tu l’expliques. Essaie de retrouver ce pays : je pense que c’est pour lui que tu es allé là-bas, pas pour rencontrer des gringos friqués. Ni pour des soirées “culturelles” où le Guatemala n’existe pas. Cette négation d’un pays au sein même de ce pays est quelque chose de très inquiétant. Il n’y a pas que par les armes qu’on fait disparaître les gens.

    4. Commentaire de pascale

      C’est tout de même génial de vous retrouver tous les 3 autour de ce lac, après avoir fait un bout de route chacun de votre côté………….chacun aura ses expériences à raconter.

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