Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionMarch 18th, 2020
  • Par où commencer… peut-être par le plus logique : je suis en sécurité. J’ai pris le temps, ces derniers jours, de contacter une grande partie de mon entourage. Prendre des nouvelles, et en donner. S’assurer que tout va bien. Et dans l’ensemble, tout va bien.

    J’ai aussi pris beaucoup de temps pour m’informer ; pour essayer de comprendre au mieux la situation et essayer d’avoir une réaction réfléchie et rationnelle. Certes, il y a les consignes officielles, mais je continue à avoir du mal à appliquer des consignes sans prendre le temps de réfléchir. Surtout quand les consignes sont aussi liberticides. Surtout à une période où les États, partout dans le monde, cherchent de plus en plus à tout contrôler. Ordre de priorités assez primaires : s’assurer que l’on est à l’abri, puis s’assurer que ses proches sont à l’abri, et enfin s’intéresser au reste du monde.

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    J’avais aussi besoin de savoir à quoi m’attendre. Ce n’est pas la question la plus fréquente que l’on pose à un voyageur, mais elle revient de temps en temps. Que faire en cas de problème ? C’est également une question que l’on se pose régulièrement à soit même. On ne réagit pas à une urgence de la même façon si on est à deux heures de voitures, dix heures de train, ou quinze heures d’avion.

    Je rentre, où je rentre pas ? Et surtout, je rentre où ? Parce qu’après tout, mon chez moi, je lui ai mis des roues, et il m’accompagne partout où je vais. Donc rentrer chez moi ne fait plus beaucoup de sens. La question devient donc : « est-ce que je rentre à un endroit où je me sentirai à même d’affronter la crise à venir ». Et là, la réponse à « où » est évidente : chez mes parents. Une grande maison, à la campagne, avec de la place, un jardin, plusieurs milliers de livres, plein d’outils, un bon stock de bois et quelques milliers de projets en attente. Ou bien l’autre alternative : un endroit un peu loin de tout, mais pas trop, avec un chouette paysage à découvrir. La possibilité de sortir, de m’aérer, de me dégourdir les jambes. Le Chamion a été pensé pour avoir deux semaines d’autonomie sans se priver. La situation actuelle pourrait être l’occasion de tester cette autonomie théorique, et de voir jusqu’à combien je peux la pousser ? L’expérience, après tout, a un certains charme !

    Alors j’ai pesé le pour et le contre. J’ai réfléchi, j’ai hésité. « Rentrer » présente un gros avantage : une fois que c’est fait, on n’a plus à se poser la question « est-ce que je rentre ». Et surtout « sera-t-il toujours possible de rentrer ? ». Mais ça présente aussi un gros désavantage : faire un peu plus de mille kilomètres dans un sens… qu’il faudra éventuellement refaire dans l’autre à un moment. Deux mille kilomètres en Chamion, ça n’est quand même pas n’importe quoi. En terme de fatigue de conduite, de consommation d’essence… et ça présente aussi un risque : puisque je décide de prendre la situation très au sérieux, je dois aussi considérer que j’ai passé les dix derniers jours préconfinement dans une grande ville. En assistant notamment à des rassemblements avec beaucoup de monde. De façon rétroactive, le nombre de personnes potentiellement contaminées lors de ces rassemblements reste faible. Les probabilités d’être moi même contaminé sont donc extrêmement basses. Mais non nulles. Et dans ce contexte, puisqu’il est possible pour moi de m’isoler de façon assez simple, et dans un contexte plutôt confortable, pourquoi ne pas le faire ? Par simple mesure de précaution.

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    L’avantage de m’isoler, c’est que je peux continuer d’explorer un peu. Parce qu’il est clair pour moi que si je suis en pleine nature, avec personne autour, je ne vois absolument pas où est le risque d’aller marcher. Me promener. Admirer. Découvrir de nouveaux paysages. Un peu comme je l’ai fait en Terra Alta. Mais cette fois, sans aucune interaction sociale. Ça, c’est le gros désavantage de l’isolation : j’accepte de potentiellement ne parler à aucun être humain pendant deux semaines ou plus (hors interactions via internet, cela va de soit). Et comme à la base je voyage pour rencontrer des gens, et que je suis une créature sociale… bref, ne rencontrer personne pendant plusieurs semaines, ne tisser aucun lien social, j’ai testé (après tout, mon expérience à Hotelito Perdido au Guatemala était aussi une forme d’isolement social !) et je sais que ça ne me réussi… que moyennement. Autre désavantage, enfin : garder cette petite inquiétude, dans un coin de ma tête ; « et si, à un moment, il n’est plus possible de rentrer ». Si je voyageais en train, en avion, ou en stop, je verrai les choses autrement. Mais je suis motorisé. Les gens sont confinés chez eux, les approvisionnements ont toujours lieu, donc je n’aurai aucun problème à me procurer de l’essence. Je n’ai qu’une seule frontière à traverser, celle qui me ramène dans « mon pays » (faudra juste pas que je leur montre le mauvais passeport !) et je n’aurais donc pas de soucis à ce niveau là. De même que je n’imagine pas les autorités espagnoles m’empêcher de quitter l’Espagne (quitte à prendre contact avec les services consulaires avant de prendre la route).

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    Donc voilà. Dans un premier temps, j’ai décidé de rester en Espagne. Je continue de regarder la situation évoluer ; je reste en contact avec plein de gens, et je me pose beaucoup de questions sur le « après ». Même une fois la crise terminée (ou au moins calmée) je ne suis pas sûr que mon objectif « trouver un boulot dans l’hôtellerie ou la restauration » soit toujours envisageable… pour autant, ce n’est pas cet après là qui m’intrigue et m’intéresse. Mon avenir personnel, je peux l’improviser, l’adapter, le modifier ; j’ai l’habitude. Ne pas savoir ce que sera ma vie au quotidien « après » ne m’intrigue pas. Non, ce qui m’intrigue, c’est comment notre (nos) société va évoluer après tout cela.

    Les grandes catastrophes que nous (sociétés occidentales) avons pu connaître ces dernières années ne nous ont jamais vraiment directement impactés. Si ce n’est par l’application de nouvelles lois, toujours plus liberticides. Les catastrophes humanitaires, c’était chez les autres. Les attentats, ça nous faisait dire « je suis Charlie » ou mettre des drapeaux bleu-blanc-rouge sur nos photos de profil. Cela conscientisait sans doute quelques personnes. Il y avait quelques réactions, mais oh combien minimes… et surtout pas dans la durée. Mais nous voilà heurtés de plein fouet par une vraie crise, qui nous touche directement, et que l’on ne peut pas éviter. Il ne s’agit pas simplement de changer sa photo de profil pour dire « je reste à la maison ». Il faut, cette fois, rester à la maison… pour la première fois, beaucoup de gens vont conscientiser ce que cela représente vraiment le mot « crise ». Alors que rester confiné à la maison pendant deux ou trois semaines, avec l’eau, l’électricité, le chauffage et surtout internet… quand on n’y pense, ça pourrait être bien pire (comme être chassé de son pays à cause de la guerre, risquer de mourir en traversant la mer sur une coquille de noix, et se faire rejeter partout).

    L’optimiste en moi prend encore et toujours le dessus. Je ne suis pas de nature pessimiste à la base (même s’il est vrai que des pensées un peu plus pessimiste se sont glissées dans certains de mes posts) et en période de crise, je tends encore plus facilement vers l’optimisme. Je fais abstraction de ce qui se passe, pour me projeter dans tout le positif qui pourrait (qui va !) en sortir. Les gens vont faire un pas de plus vers la solidarité (en restant à un mètre de distance l’un de l’autre), vont réinventer leur quotidien. Pas juste parce que les gens découvrent qu’ils peuvent faire du télétravail ; ils découvrent également qu’ils peuvent avoir du temps. En Italie, les ventes de farine ont augmenté de plus de 80% ; au Japon, les gens redécouvrent une recette de fromage à faire à la maison qui avait été oubliée. Deux exemples, anecdotiques, parmi tant d’autres… une fois de plus, des voisins vont faire connaissance. Vont s’entraider. Les gens redécouvrent l’importance des systèmes de santé… et tout cela se fait de façon beaucoup plus collective qu’avant.

    À un autre niveau, de plus en plus d’informations circulent sur la baisse de la pollution un peu partout dans le monde. D’abord sur l’amélioration de la qualité de l’air en Chine. Puis dans le nord de l’Italie. Des photos montrent l’eau des canaux de Venise complètement transparente. Avec des poissons qui nagent dedans. Et si la lutte pour sauver le climat et la planète n’était pas aussi complexe, aussi privatif que ce que collectivement nous avons tendance à croire ? Sans arrêter complètement la planète, comme on peut avoir l’impression que c’est le cas en ce moment, mais simplement en ralentissant un peu. En découvrant qu’avoir du temps pour soit, c’est quand même bien. Qu’en cas de crise, tous nos gadgets ne nous servent finalement pas à grand chose. Que faire du pain, c’est quand même chouette…

    Bref, comme d’habitude, je reste très optimiste pour la suite !

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    J’ai terminé l’écriture de ce post mardi, vers 22h. Par flemme, je me suis dit que je le posterai le lendemain. La situation ayant légèrement évolué en l’espace d’une nuit (ou plutôt d’une matinée), je l’allonge un peu.

    Tout a commencé par un TOC TOC TOC à la porte du Chamion, accompagné d’un « Guarda Civil, ouvrez s’il vous plait ». Il y eu une époque où je m’étais habitué au « Park Ranger, sortez s’il vous plait ». Guarda Civil, c’est une première pour moi. Je dois bien reconnaître que sortir de son lit, en pyjama, à moitié réveillé, pour trouver trois personnes, fusils mitrailleurs en bandoulière, devant chez soit, c’est pas forcément le réveil le plus agréable. Surtout quand ils insistent sur le fait de « montrez bien vos mains s’il vous plait ».

    Ils me demandent mes papiers d’identité. Je leur sors donc mon passeport. Fais tomber mon livre par terre. Ils me disent de prendre mon temps et de rester calme. Je suis très calme. Juste un peu stressé. C’est pas pareil. Mon passeport en main, ils me posent quelques questions. Date de naissance, le nom de ma rue, la préfecture de délivrance du passeport. J’vous dis, c’est pas très facile en Espagnol après une nuit d’à peine 6h interrompue soudainement. Dans un sommeil profond, a priori, vu que je n’ai pas entendu un 4×4 de la Guarda Civil se garer à côté du Chamion. [Non, ils ne sont pas arrivés à l’aube ; il était 9h30, mais l’inspiration étant au rendez-vous, j’avais écris la veille jusqu’à 3h30 du matin. Bref, je reprends].

    Après avoir confirmé mon identité, j’ai quand même l’impression -rétrospectivement- qu’ils s’apaisent un peu. L’un deux prend même la peine de s’excuser de ne pas parler français. Ils me demandent ce que je fais ici. Je leur explique : « bin vous savez, quarantaine, restez loin des gens, tout ça tout ça ». Ils m’expliquent qu’ils sont à la recherche d’une personne qui est peut être armée, et qui est peut-être dangereuse. Que dans ce contexte, si le lieu était en effet adapté à la quarantaine, il n’était pas sécuritaire. Il me fallait donc aller m’installer dans le village. On échange encore quelques mots ; je demande surtout confirmation que j’ai bien compris.

    Au moment de partir, l’un d’eux montre la plaque d’immatriculation du Chamion. « Alby ? » Je suis surpris et impressionné. Je lui explique que le camion vient de là-bas en effet, mais que moi j’habite à côté de Lyon. Je les regarde partir.

    Je ne suis toujours pas complètement réveillé. Je grommelle surtout dans ma barbe, parce que moi j’aimais bien être confiné là où j’étais. Mais bon, il est vrai qu’il y a un point que je n’avais pas pris en compte dans ma réflexion sur l’isolement : la possibilité de rencontrer une personne dangereuse. Je l’aurais sans doute plus facilement conscientiser aux États-Unis (où les ventes d’armes ont augmenté presque autant que les ventes de papier toilette). Il est vrai qu’en situation de crise, tout est possible.

    Je replie le Chamion, reprends la route, et quelques kilomètres plus tard, refais la démarche en mode inverse, dans un parc sur le bord de la rivière, dans le village de Calles. Peu de temps après, sans surprise, un autre véhicule de la Guarda Civil vient se garer pas très loin du Chamion. Je m’installe à la porte tandis qu’eux même gardent leurs distances. Et leurs armes sont rangées, c’est quand même plus agréable.

    Je leur explique ce qui vient de se passer, pourquoi je suis là. Ils comprennent très bien. L’un d’eux me demande si j’étais à Valencia, il y a quelques jours, à côté du cimetière. Je suis plutôt saisi par la question. Coïncidence ? Ils étaient là bas et ils m’ont vu ? Ou bien le Chamion a été repéré et enregistré par une autre patrouille ? Aucune idée. Toujours est-il qu’ils me confirment que le mieux est que je reste ici. Ils insistent fortement sur le fait que je ne dois pas changer de village, pour éviter tout risque de propagation. Ce avec quoi je suis tout à fait d’accord, et que je n’avais de toutes façons pas prévu de faire. Nous discutons encore un peu. À un moment, l’un d’eux fait un signe de la main assez explicite pour parler du comportement des gens. « locos ? » (fous). Il confirme.

    Pour finir, ils me demandent si j’ai internet. Si j’ai moyen de me tenir informé sur la situation. Si je suis au courant pour les mesures de sécurité, la distance avec les gens et le reste. Je confirme que j’ai accès à internet et que je surveille la situation de près. Ils me demandent enfin si j’ai tout ce qu’il me faut, si j’ai besoin de rien, si je me sens en sécurité.

    En l’occurrence, oui, je me sens en sécurité. Leur comportement rationnel et raisonné me rassure. Aussi bien dans le cas de la première visite du matin que de la deuxième. À aucun moment ils ont été agressifs. Ils ne sont pas dans l’intimidation ou dans la menace. Ils sont rassurants. Ils ne se la jouent pas cowboys. Ils n’ont pas cherché à m’emmerder ou à me déstabiliser, moi l’étranger qui n’a pas grand chose à faire ici. Au contraire, ils se montrent compréhensifs face à ma situation.

    Je reste donc sur mon projet initial de rester en Espagne pour le moment -avec l’autorisation de la Guarda Civile- en continuant de regarder la situation évoluer.Je me sens parfaitement en sécurité ici, et je préfère pour le moment éviter de me déplacer.

    Quelques personnes, solitaires à chaque fois, marchent dans les rues. Quand deux marcheurs se croisent -à distance- ils échangent quelques mots. Je n’aurai peut être pas mes balades en montagnes, mais j’aurai peut être quelques contacts sociaux finalement (en dehors de ceux avec la Guarda Civile) !

    Dehors, un voisin joue du saxophone, la fenêtre ouverte.

    [et oui, les photos sont celles de l’endroits que j’ai du quitter]

    6 commentaires

    1. Commentaire de La Feuille

      Bien d’accord avec toutes ces réflexions et les conclusions que tu en tires. Laissons venir et trouvons d’autres formes pour maintenir les réseaux de solidarité, d’échanges, d’amitié, que tant de gens s’acharnent à vouloir détruire. Derrière cette histoire de virus se cache aussi la progression fulgurante aussi d’un pouvoir d’état, d’une dictature économique de plus en plus oppressants et aliénants.

    2. Commentaire de Lavande

      Peut-être que les gens comprendront un peu mieux la situation des réfugiés et feront preuve d’un peu plus d’empathie.

    3. Commentaire de Patrice GEORGES

      Je pense aussi que tu as pris la bonne (ou moins mauvaise !!) décision. Confiné pour confiné, tu es aussi bien là bas. Et puis rentrer, n’est pas la possibilité de revenir avec ce virus? Puisqu’il parait qu’on peux être porteur sain.

      Quant à l’empathie envers les réfugiés après la crise, je reste pessimiste. La peur de l’autre reprendra le dessus. La seule chose qui me laisse un peu d’espoir est les mauvais scores du RN aux dernières élections.

    4. Commentaire de Dieu

      C’est bien beau ça, mais le fromage japonais nécessite de touiller le lait pendant UNE heure…
      Ils auraient quand même pu trouver plutôt une manière simple de faire de la bière !

    5. Commentaire de Javier

      Hola, lo k escuchavas esta mañana desde tu casa camión no era un saxofón, se llama bombardino, espero te gustara el sonido y lo que tocaba

    6. Commentaire de Lavande

      Hola,Javier, Buenos dias desde Grenoble.

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