Je reprendrai bientôt le cours normal de ce blog, mais j’ai envie de continuer avec une autre parenthèse émotionnelle. Un texte qui a croisé mon chemin il y a quelques temps. Un texte qui m’a fortement touché (genre « claque dans la gueule ») ; autant par sa qualité d’écriture que par le témoignage qu’il porte…
Les jeunes sont probablement ceux qui ont le plus souffert du Covid. Ce sont aussi celleux pour qui le moins de choses ont été faites. J’ai demandé l’autorisation à son autrice de partager son texte ici ; je trouve qu’il mérite d’être lu… c’est un témoignage poignant sur ce que vivent encore et beaucoup trop souvent les jeunes LGBTQP+. Je sais qu’il touchera certain.e.s lecteur.ice.s de mon blog ; je sais aussi qu’il parlera à d’autres. Si vous souhaitez y réagir, je ferai évidemment suivre vos commentaires.
Ce n’est pas un texte léger ; c’est un texte d’une grande profondeur émotionnelle. Du genre qui chamboule quand même vraiment beaucoup… je n’ai évidemment pas retouché au texte, que je partage tel que je l’ai reçu.
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« Macron a parlé, les écoles vont fermer »
Je dois avouer, je ne l’avais pas vu venir. J’étais dans un restaurant au coin de ma rue, avec ma mère, ma sœur, et Sylvie notre colloque qui venait de Paris, quand une de mes meilleures amies m’a envoyé ce message. Je suis restée là, un peu perdue dans cette atmosphère bruyante, entre les étudiants venus prendre un verre après les cours, la radio qui diffusait les dernières musiques à la mode, les serveurs qui slalomaient entre les tables, chargés de plusieurs commandes supplémentaires, et ma tartine aux trois fromages. Ma mère et son amie discutaient toujours de la super année qui se terminait, des projets de bébé et de bibliothèque de Sylvie. J’ai répété le contenu du message. À voix basse d’abord, puis plus haut, car le bruit des rires et des verres qui se vidaient couvraient le bruit de ma voix : ” Les écoles vont fermer !”. Maman a acquiescé, puis elle a répondu qu’elle n’était pas inquiète pour nous, que tout se passerait bien scolairement. Je le savais déjà ça, je suis en troisième avec 18 de moyenne générale et ma petite sœur Ana entame le collège avec 17 ! Non moi c’était autre chose qui m’inquiétait, ou plutôt quelqu’un d’autre : Axel.
Axel, ou Caroline comme s’obstinent à l’appeler ses parents. C’est ma petite amie depuis la fin de la 4eme. Depuis toujours elle a des problèmes avec ses parents. Elle côtoie régulièrement rabaissement psychologique, scarification et idées suicidaires. Mais vu que le destin n’avait apparemment pas décidé de lui faciliter la tâche, il y a quelques temps, elle est venue me voir. Je m’en souviens on était dans la cour, elle m’a demandé un câlin avant de commencer : « Lily, j’ai peur de ce que tu vas répondre mais… Je ne suis pas une fille, je ne suis pas un garçon non plus, je suis non-binaire, quelque part entre les deux. Ça fait un moment que je voulais te le dire et… Voilà j’avais peur que tu ne veuilles plus de moi. Peut-être que c’est le cas, mais sinon je, enfin si tu veux bien, je voudrais que tu m’accorde au masculin, et, toujours si tu es d’accord, que tu m’appelles Axel maintenant. »
Je lui ai dit que je l’aimais et j’ai embrassé mon petit ami.
Ses parents, eux, ont crié sur leur fille.
J’ai du mal à comprendre les parents d’Axel. Leur enfant sait ce qu’il veut faire plus tard, il a de bonnes notes, il est attentif à autrui, et il a le courage de leur dire en face qui il est. Mais ses parents, quand ils lui parlent, on dirait qu’ils ne voient que l’insolence dont il fait preuve quand quelque chose le contrarie, le fait qu’il aime s’amuser… parfois en cours. Ils prennent le fait qu’il s’affirme comme une provocation.
Depuis son coming out, il fait de la dysphorie, un mal-être profond dû au genre de la personne*. J’ai déjà vu cette expression de dégoût sur son visage lorsqu’il pensait à son corps. J’ai déjà observé les coupures qu’il s’infligeait pour se punir d’être une fille. Je l’ai écouté. Je l’ai consolé. Consolé de ne pas être né dans le bon corps. Consolé de ne pas rentrer dans des cases. Consolé de ne pas être né, aussi, dans la bonne famille.
Mais j’ai beau le consoler du plus fort que je peux, il se mutile, il parle de se suicider.
Voilà.
Voilà à quoi je pensais dans notre restaurant à Lyon, alors qu’on venait juste de nous apporter l’entrée.
Le lendemain j’ai revu Axel et son sweat à capuche bleu trop grand pour lui. On a passé notre journée le plus normalement du monde jusqu’au midi, lorsqu’il m’a emmenée dans ce recoin du collège où on allait lorsqu’on voulait être tranquille —sans une foule d’élèves qui nous pose des questions. On s’est promis les yeux dans les yeux qu’on se verrait, qu’on s’aiderait à faire nos devoirs, qu’on ne laisserait pas plusieurs mois passer sans qu’on puisse se voir. Je crois que c’est depuis que j’ai trahi celle-ci que je n’aime plus faire de promesses.
Bien sûr pendant le confinement on a continué à se parler, à rigoler, à pleurer parfois ensemble. On a continué à s’aimer, à s’imaginer dans les bras de l’autre, mais ce n’était pas pareil. Comment ça pouvait être pareil ? Et Axel souvent affichait des rictus, des airs abattus, ou revenait avec de nouvelles coupures. Je lui disais que j’étais là, que ça s’arrangerai. On comptait les jours qu’il restait, et on se disait : « Ça fait un mois, ça ne peut plus durer longtemps ! ». Mais l’humeur d’Axel se dégradait à l’usure des paroles indifférentes de ses parents.
Et un jour.
Parmi tous les autres qui se répétaient inlassablement depuis le début du confinement.
« De toute façon je serai parti la semaine prochaine.»
Pas de « Adieu », de « Je t’aime jusqu’à la fin ». Non. « De toute façon je serai parti la semaine prochaine ». Cette phrase, elle est laide. Elle est lâche. Elle laisse de l’espoir tout en condamnant la personne qui la prononce. C’était la semaine prochaine, ce n’était pas sûr ! Mais en même temps le sous-entendu me glaçait le sang. Je suis restée plantée là, sans savoir quoi faire, à regarder son visage, son beau visage, au travers de l’écran qui nous séparait. Il n’affichait aucune émotion sinon l’indifférence, et certainement pas de la rigolade ou je ne sais quelle forme d’humour. Je voulais y croire pourtant, que c’était une blague. Même si son humeur dégringolait dernièrement, c’était beaucoup trop soudain pour que ce soit sérieux. Et comme je ne pouvais pas imaginer ce qu’il venait de m’avouer, et qu’il n’éclatait toujours pas de rire, j’ai fait la seule chose que je pouvais encore faire.
J’ai nié. J’ai répondu que je ne comprenais pas. Il m’a expliqué. Il m’a dit que vendredi il sauterait de sa fenêtre ou qu’il prendrait son cutter et qu’il se le planterait dans le cou, ou dans les côtes. Le même cutter qu’il utilisait pour se tatouer au travers du bras des malédictions contre son corps. Mon chat. Il a dit que ce n’était pas de ma faute, que la vie ce n’était pas pour lui. Mon cœur. Il a dit qu’il m’aimait mais que lorsque la seule chose qu’il te reste pour vivre c’est ta petite amie, il faut passer le pas. Mon amour.
J’ai discuté avec lui et je l’ai fait rire. Ana avait préparé le repas avec papa, j’ai passé une bonne soirée. Et lorsque je me suis couchée je me suis dis que tout cela n’était qu’une vaste blague et que tous ce passerait bien.
On était lundi.
Le lendemain matin j’ai pensé à mon petit déjeuner, à ma séance de sport, aux devoirs que je devais faire. Encore aujourd’hui je me demande comment j’ai pu refouler quelque chose aussi fort. Comment c’est possible d’être aveugle comme ça. Ce n’est que lors de notre appel habituel, après avoir mangé, que je me suis tout pris dans la gueule, les souvenirs de la veille, la tristesse, la peur, l’angoisse, le désespoir que j’avais refoulé… je commençais juste à comprendre.
« Tu peux pas faire ça, j’ai dis. Tu peux pas partir !
– Lily…
– Dis-moi pourquoi tu penses à ça, dis moi pourquoi tu veux partir…
– Parce que. Parce que j’y pense depuis tellement longtemps que ça va arriver à un moment ? Par ce que je peux pas continuer à vivre avec mes parents ? Parce que de toute façon tout le monde s’en fiche de moi ? Je suis pas venu ici pour souffrir OK ? »
Pourquoi il continuait de rigoler alors qu’on parlait de quelque chose d’aussi grave ?
« Il y a d’autres personnes que tes parents tu sais ? Des personnes qui tiennent beaucoup à toi ! » Je lui ai dit.
Il m’a dit que nos amis l’appréciaient seulement quand il était “bien”. Quand il ne faisait pas rire tout le monde personne ne faisait attention à lui. Personne ne tenait réellement à lui.
« Même toi, tu verras ce sera dur au début puis au final tu seras soulagée ». C’était, c’est, tellement faux…
« – Tu sais très bien que ce n’est pas vrai !
-Mmm…
-N’empêche que tes parents tiennent quand même à toi, tu vas voir je vais les appeler et ils comprendront. Tout ira mieux ils prendront soin de toi ! ». Il n’était pas de mon avis.
« Lily, je te jure que si tu préviens qui que ce soit comme adultes, dès que je l’apprends je me tue. Et tant pis si c’est pas vendredi, j’aurais qu’à le faire avec quelques jours d’avance ! De toute façon qu’est-ce que ça change ?
– Tu peux pas faire ça, c’est du chantage ! Moi j’essaye juste de t’aider et toi tu me cries dessus !
– Mon cœur si tu essayais vraiment de m’aider tu me laisserais partir sans rien dire, et tu ne me ferais pas culpabiliser comme ça ! »
Je ne me souviens plus très précisément de ce qu’on s’est dit après. Je l’ai sûrement insulté, ou au moins je me suis énervée. Parce que je sors tout le temps de mes gonds. Il a sûrement gardé son calme. Parce qu’il est habitué.
Je fais quoi, moi ? J’ai quand même écrit des messages à Gaya, Marie et Nathalie. J’ai cherché les droits qu’on avait sur notre identité à 14 ans, et sur les risques d’infections d’une plaie faite avec une lame rouillée. Mais ça ne suffirait pas… Que faire lorsque la personne à qui vous tenez le plus au monde vous dit ça ? Que ressentir lorsque vous ne l’avez pas pris au sérieux dès le début ? Quand vous lui avez donné une sensation d’indifférence pure et dure ? Qu’auriez-vous fait à ma place ? Bien sûr que ça ne suffirait pas ! Je suis incapable de l’aider, incapable. Il va mourir. Je me suis couchée avec l’impression qu’un vampire avait sucé toute mon énergie. Il va mourir. Je n’avais plus envie de m’imaginer ma journée du lendemain pour m’endormir. Je ne voulais plus rire. Plus voir le bon côté de la vie. Plus me rappeler les choses chouettes qui s’étaient passées dans la journée comme je le faisais tous les soirs depuis que je suis toute petite. Il va mourir. Je voulais juste que le sommeil m’emporte et ne me relâche que lorsque tout serait terminé. Il va mourir.
Mais mercredi je me suis quand même réveillée, et je m’en suis vraiment voulu. Pourquoi je n’avais rien fait hier ? Pourquoi j’avais continué à faire comme si de rien n’était ? Maintenant il fallait que je me bouge, mais bouger pour quoi faire ? J’ai cordialement envoyé se faire foutre mes professeurs et les six heures de devoirs qu’ils nous donnaient par jour, et je me suis plongée dans les études de droit, la géolocalisation des refuges sur Lyon, et bien sûr, dans la recherche de messages de soutien de la part de nos amis. Bilan : on a besoin d’être majeur pour changer de prénom sans accord parental. On peut demander la majorité à 16 ans. Il y a un refuge qui aide les adolescents LGBT+ à Lyon. Et tout le monde a répondu qu’ils enverraient un message, ce qui, honnêtement, veut tout et rien dire.
Après, j’ai angoissé. C’est sympa comme programme vous savez. Presque autant que de se poser cette question : « Pourquoi moi ? ». Certes c’est égoïste, mais j’y ai tout de même pensé : « Pourquoi c’est moi qui dois le sauver — seule ? Pourquoi moi je ne dois pas voir mon amoureux alors que tous les adultes le peuvent ? Pourquoi moi je dois gérer ça pendant cette purée de période de confinement ? Pourquoi moi, moi, une ado de 15ans, je dois rattraper la bêtise de ses parents ? Pourquoi moi j’ai le cœur qui fait mal et qui se tord pendant que sa famille l’ignore ?… Pourquoi c’est moi qui l’aime ? Pourquoi c’est moi qui doit le regarder souffrir sans pouvoir rien faire ? »… Quand l’appel vidéo a commencé je pleurais. Quand l’appel vidéo a commencé je pleurais et Axel, mon cœur, mon amour, m’a dit de ne pas le faire devant lui. Il ne voulait pas avoir de remords lorsqu’il le ferait. En fait il devait sûrement penser que s’il partait c’était pour le soulagement commun, mais ça je ne l’avais pas encore compris. Alors j’ai séché mes larmes. J’ai enfermé mes sentiments à double tour. Et quand je lui ai dit ce que j’avais trouvé sur internet, il m’a répondu :
« Lily, si tu voulais arranger la situation il fallait le faire avant. » Bam. Uppercut dans la poitrine.
« Mon cœur je te jure que je me rendais pas compte… » Parade ratée.
« Si tu t’en rendais pas compte c’est que ça ne devait pas être si important. » Projection au sol.
« Babe… » Adversaire sonné.
« Mais c’est pas de ta faute, t’es pas la seule. » Coup de grâce.
« … Je t’aime.
– Moi aussi je t’aime mon cœur.
– Les scarifications que tu t’es fait avec le cutteur ne sont pas infectées tant que tu ne vois pas de ligne blanche autour. » C’est tout ce que j’ai trouvé à dire. Et ça faisait mal.
Une fois la nuit tombée, et moi cachée sous ma couette, j’ai pensé à Axel, à ses yeux gris, à son sweat bleu. À son sourire qu’il te donnait quand tu n’allais pas bien. J’ai pensé à son rêve de mangaka, on en rigolait bien parce qu’il allait se retrouver dans le lycée où mon père enseignait. J’ai réécouté dans ma tête cette chanson dont on était tous les deux fan, « Démons » de Imagine Dragons. Il faut dire que c’était assez rare qu’on s’entende sur des groupes ou des musiques, vu que j’étais fan de rap et lui de pop. Axel, mon bel Axel et sa passion pour le bleu… Quand je le cherchais dans la cour, je disais : « Quelqu’un a vu un petit lutin habillé en bleu ? ». Un lutin habillé avec un sweat bleu trop grand pour lui qu’il utilisait pour cacher sa poitrine. Pour cacher son corps. Pour cacher sa honte. Le même sweat qu’il portait quand on s’est dit au revoir de la main sans même s’embrasser car j’étais pressée et qu’on pensait se revoir. Ça serait con tout de même que se soit le dernier souvenir qu’il me reste, de nous, ensemble. Un au revoir hâté parce que j’avais peur de rater mon cours ! Un au revoir hâté parce que comme d’habitude je faisais passer l’école avant lui, et parce que je n’osais pas être affective en public ! Un au revoir raté comme dernier souvenir, parce que je n’ai pas été capable de le sauver. Parce que je n’ai pas compris à temps les messages qu’il m’envoyait. Et maintenant il va le faire. Il va se suicider puisque qu’il faut prononcer le mot.
Et c’est de ma faute.
Demain. Demain, aujourd’hui, hier, quelle importance ça a ? À part pour comprendre que demain il part ? À part pour comprendre qu’hier je n’ai rien fais ? À part pour comprendre qu’aujourd’hui je ne peux rien faire ? Moi je ne veux plus comprendre. Je veux faire comme les héros dans les films. Sortir de chez moi en courant au premier appel, et sauver la personne en la prenant dans mes bras. Lui dire que je suis là. Mais je comprends, moi. Je comprends que je ne peux pas faire ça. Je comprends que je dois être adulte. Je n’aime pas comprendre. Je l’appelle, lui. L’ambiance de cette discutions est lourde, trop lourde pour moi. Je pars sans m’être excusée. Sans m’être réconciliée avec lui. Lui mon beau… Je dois le rappeler. Je le sais, mais je ne peux pas réentendre cette voie morbide dans le téléphone. Lui, il ne comprend rien. Il ne comprend pas combien il compte. Que je serai inconsolable. Qu’il nous manquera. Qu’il manquera. Comment je fais pour qu’il comprenne ?
Idée. Je demande de l’aide à Anissa. Son ex, certes, mais surtout une de mes plus grandes amies.
« Je suis désolée, je ne peux pas t’aider. »
Ça a fait « plouf » quand mon espoir est tombé à l’eau. Je ne pouvais pas lui en vouloir, elle devait s’occuper d’un de ses amis qui n’allait pas bien à ce moment. Mais, vers qui ? Vers qui je peux me tourner ? Je me sentais tellement seule. J’étais tellement seule. Seule à devoir endosser une responsabilité dont je ne savais pas m’occuper. J’ai pensé : « Si j’échoue, ce sera de ma faute et entièrement de ma faute » car j’étais la seule à m’inquiéter pour lui. Je n’avais aucun adulte avec qui partager cette tâche, aucun adulte pour m’expliquer comment faire, pour me dire si je m’y prenait mal. Ma poitrine se creusait, se tordait, s’explosait à l’idée des conséquences de mes erreurs. J’avais l’impression d’être un nouveau-né à qui on apprenait à marcher, sur un fil suspendu à plusieurs mètres au dessus du vide.
J’ai réfléchi à m’en abîmer les méninges toute la matinée. Pourquoi on ne nous apprend pas à régler ce genre de situation à l’école au lieu de faire des problèmes de maths ? Moi je m’en fiche des soucis que les chiffres peuvent avoir. C’est évident qu’il fallait que je l’appelle. Mais j’y pensais en boucle et en boucle : je n’avais pas le droit à l’erreur, pas le droit de dire de bêtises, pas le droit de faire un mauvais pas. Pas le droit d’avoir peur. Pourtant j’étais terrifiée. Je me suis décidée sur un coup de tête. N’y tenant plus j’ai pris mon téléphone. Je l’ai appelé. Je ne savais toujours pas quoi lui dire.
« Tu m’a appelé ? » dit-il avec sa voix, sa voix qui résonnait en moi comme pour me dire « tout va bien, il est encore en vie ». Ça m’a aidé.
« Oui, j’ai besoin de ton aide.
– Qu’est-ce que je peux faire mon cœur ?
– … Je veux pas que tu partes. » Ces mots, ces mots qui me cognaient la poitrine encore et encore depuis des jours, des mois. Depuis qu’il parlait plus ou moins sérieusement de se tuer, c’était la première fois que je les ai laissé sortir. Et croyez-moi ou non, c’est comme si toutes les tensions s’en allaient. Ça faisait tellement de bien.
Il a pleuré, je l’ai consolé, je lui ai dit que je l’aimais, que je serai toujours là pour l’aider. Et je ne sais pas pourquoi, je ne saurai jamais pourquoi, mais par un concours de circonstances à la fin de la discussion il m’a dit : « J’essayerai de ne pas le faire ». Axel, mon cœur, mon amour.
Vendredi : je n’ai pas été très productive. Activité principale, attendre de parler avec Axel, parfois en stressant, parfois en voulant pleurer, sans y arriver. Nous avons discuté une grande partie de la journée. Mélange des conversations précédentes.
Encore, toujours la même question « Qu’est-ce que je dois faire ? ». Me tromper ? Faire un faux pas ? C’était inenvisageable. Le voir mourir ? Vivre sans lui ? Et en plus savoir que, quelque part, c’était moi qui l’avais tué ? C’était inenvisageable. Et pourtant, pourtant c’était très probable.
Voici donc la dernière discussion que j’ai eu, le soir à 21h, avec Axel :
« – Hey ?
– Hey. » Il a répondu.
« – Tu sais ce que tu vas faire ?
– Mon cœur… On peut parler d’autre chose ? Je veux dire, j’aimerais bien profiter un peu de toi.
Mon cœur s’est serré. Surtout, ne pas pleurer, lui montrer que je suis forte et fiable, qu’il peut s’appuyer sur moi sans craintes, qu’il peut rester en vie. Même si je ne suis qu’une loque à l’intérieur. Surtout si je ne suis qu’une loque à l’intérieur.
« – Si tu veux, tu as fait quoi aujourd’hui ?»
Et on a reparlé de ses dessins, de nos goûts musicaux, de sa passion pour le bleu et de la mienne pour le rouge. Plus le temps passait, plus je voulais raccrocher, plus je voulais lui demander de rester, plus je voulais pleurer, plus je voulais l’aimer, plus je voulais crier. Plus je voulais qu’il vive. Et puis j’ai repensé à comment ça avait commencé, notre histoire je veux dire. Le pauvre, il s’était pris deux râteaux avant que j’aille le voir pour lui dire que je l’aimais. « Et encore avec l’assurance que j’avais ça aurait pu durer longtemps comme ça », ai-je pensé en rigolant. Je me suis rappelée les voyages scolaires qu’on avait fait, aux moments de rigolade qui pouvaient durer des heures avec nos amis, aux petites disputes insignifiantes qu’on avait… Alors j’ai repensé à comment ça avait commencé, la semaine.
Avec cette phrase : « De toute façon je serai parti la semaine prochaine »
Cette phrase vous ne la trouverez jamais dans une histoire inventée. Elle est trop laide. Elle est trop lâche. Croyez-moi.
Et à 21h 30 :
“Écoute Lily, il va falloir que tu me laisses parler…”
Avant de clôturer ce récit, j’aimerais vous remercier, vous qui lisez cette histoire. J’avais besoin d’en parler, de me confier. J’avais besoin de crier mon désespoir, mon sentiment d’injustice, mon impuissance, mes espoirs, mes erreurs, mes découvertes, mes colères, mon amour, ma tristesse, mes interrogations. J’avais besoin de quitter ce moment d’abandon. Ça a été dur de l’écrire, très dur. J’ai pleuré tellement de fois en cherchant une tournure de phrase, j’ai failli tant de fois supprimer ce que j’avais écrit. Mais je me disais que ça pourrait aider des gens, leur montrer que ce qui leur arrive, c’est dur, c’est très dur, mais qu’ils ne sont pas seuls. On a beau croire ce qu’on veut, on est jamais vraiment seul. Et contre toutes attentes ça m’a aidé moi aussi. J’avais besoin de me débarrasser d’un poids, et l’écrire ça m’a soulagé, comme si je me disais «Ne t’inquiètes plus, il est écrit, il est sauvegardé ce moment de ta vie. Maintenant tu peux arrêter de ressasser, d’y penser en boucle. Maintenant tu peux recommencer à respirer, à t’amuser, à vivre. Bien sûr que ça peut arriver une deuxième fois, bien sûr que la vie elle va te rejouer des tours. Mais arrête d’avoir peur et d’anticiper sans cesse. Vis ta vie et profite de chaque instant ! Une solution existe à chaque problème, tu arriveras à te relever chaque fois si tu restes avec tes amis et ta famille. Et réciproquement aide chaque personne que tu peux aider. Et diffuse ce message, cette volonté de vivre maintenant. ».
2020 a mis le monde à l’arrêt, et depuis il y a eu des humeurs et des coups bas. Mais aussi des remontées de pentes, des combats gagnés, des sourires et des moments partagés. Je sais que cette histoire marquerait plus les esprits si le personnage principal mourait à la fin. Les gens se poseraient plus de questions. Seulement voilà c’est mon histoire, c’est ce que j’ai vécu pendant le confinement. Et l’histoire se termine bien.
Marie
*La dysphorie (du grec dus « difficile » et phéro « à supporter »), ou humeur dysphorique, généralement labile, désigne une perturbation de l’humeur caractérisée par un sentiment déplaisant et dérangeant d’inconfort émotionnel ou mental, symptôme de la tristesse, de l’anxiété, de l’insatisfaction, de la tension, de l’irritabilité, ou de l’indifférence.
Claque dans la gueule en effet.
Pas un texte léger en effet.
À diffuser sans modération. Merci Marie, je ne te remercierai jamais assez au nom de tous ceux que ton récit peut aider. Et remercie Axel de ma part : remercie-le d’exister.
Ses parents sont dans le déni. Ils sont d’une génération qui n’a pas encore compris ce que c’est que faire partie des LGBTQP+ (je reprends de Séb la formulation qui n’est pas toujours identique, à d’autres occasions j’y ai trouvé le i des intersexes).
Bisous chaleureux.
Bon sang, ça c’est de la claque. Je sais ce qu’est la culpabilité lorsqu’un être cher est parti et qu’on se dit:”si seulement j’avais fais ci ou ça”. Dernièrement un neveu a décidé de mettre fin à ces jours après de longues années de souffrances morales. Comme Marie je me suis demandé souvent ce que je pouvais faire?
Comment des parents, jeunes, peuvent ne pas respecter son enfant? La tolérance et l’altruisme sont les deux choses qui peuvent sauver l’humanité. Quoi? Que dites vous? Utopie?…
Utopie ? Non, pas d’accord :) Avenir tout à fait envisageable je pense… je reste persuadé que la gentillesse sauvera le monde. La gentillesse est bien plus contagieuse sur le long terme que l’égoïsme… et les générations qui s’en viennent sont d’une ouverture d’esprit et d’une tolérance que je trouve vraiment impressionnantes. Et rassurantes :)
C’est un récit glaçant.
N’empêche, elle a du cran cette ado et à ce que je comprends de la fin du récit, Axel lui doit la vie.
Je ne suis pas psy, mais je constate que cet écorché vif est renfermé sur lui-même. Il faudrait que des proches l’aident à s’en sortir, avec la pratique d’activités qui l’amèneraient à fréquenter d’autres personnes (randonnées, sport, théâtre,…)
Histoire qu’ils puisse (re)découvrir les bons côtés de la vie…