Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionMarch 21st, 2020

Alors donc, finalement, j’ai changé de programme. Comme je le disais précédemment, ajuster mes plans, changer d’objectif, modifier mon demain, c’est loin d’être un problème. Il en faut plus pour me perturber. Et dans la situation actuelle, les choses évoluant assez vite (et très lentement en même temps, il faut bien le reconnaître) je ne suis pas particulièrement surpris de voir mes plans changer rapidement aussi. Cela a été clairement provoqué (accéléré ?) par mon troisième contrôle de la Guardia Civile de la journée. Trois, ça commence à faire beaucoup. Pourquoi ce troisième ? Parce que j’étais sorti marcher un peu. Pas beaucoup. Juste 20 minutes, le temps de me dégourdir les jambes. En ne croisant qu’une seule personne, saluée à distance respectueuse. Sauf que sur le chemin du retour, j’ai donc croisé un véhicule de la Guardia. En l’occurrence, c’est moi qui leur ai fait signe de s’arrêter. Je voulais juste être sûr du genre de promenade que l’on n’avait le droit de faire en sortant de chez soi. Réponse : “il est absolument interdit de sortir de chez soi pour se promener ; uniquement pour aller faire les courses”. Oui, même quand votre chez vous il ne fait que 7,5 mètres carrés. Un comportement sans risque d’un côté, une application du règlement à la lettre de l’autre. Quoi que les deux agents en face de moi ne soient pas agressif, je n’essaie pas d’expliquer ce que je pense. Ça ne servirait à rien. Je retourne me confiner.

Conclusion : si je veux m’offrir quelques pas dehors tous les jours pour pas virer fou, et accessoirement éviter d’avoir des problèmes de dos ou autre, il faut que j’aille tous les jours faire des courses à l’épicerie. Et c’est là que l’on commence à voir que certaines règles de ce confinement virent à l’absurde. En Espagne, comme en France. Je ne m’éterniserai pas sur la question pour le moment, même s’il est fort probable que dans un prochain article j’aborde le sujet plus en profondeur…

Me voilà donc dans 7,5 mètres carrés, avec interdiction de sortir, et un humain potentiellement dangereux qui se balade là où je voulais aller me cacher. Trois options s’offrent donc à moi :
– rester sur place et faire de la randonnée dans le Chamion
– aller me cacher ailleurs
– aller me confiner chez mes parents, avec un grand terrain et un atelier

L’option 1 est très vite écartée. Même si dans la catégorie défi stupide, j’ai lu le témoignage d’une personne ayant fait un marathon sur son balcon (7 m de long, c’est clairement plus grand que le Chamion, mais ça impliquait déjà 3000 aller/retour). Mais entre la 2 et la 3, je suis incapable de décider. L’endroit où aller me cacher, je le connais bien. C’était d’ailleurs une option envisagée avant de venir ici : retourner au parc national del Port. Suffisamment de randonnées programmables, loin de tout. Son principal défaut étant le besoin de devoir marcher une petite heure pour avoir un accès internet ; hors dans les circonstances actuelles, pouvoir rester régulièrement informé (et rassurer régulièrement mes proches) me parait important. Décision est prise : je pars demain -jeudi- en direction du nord. J’ai deux cent kilomètres pour me décider quand à ce que je fais.

Je pars le lendemain avec un petit regret à l’idée de quitter ce coin que j’aurais pourtant bien aimé découvrir. Le retour dans un avenir plus ou moins lointain reste heureusement envisageable jusqu’à nouvel ordre.

Sur la route, comme à l’aller, il n’y a quasiment personne. L’ambiance un peu fantomatique des paysages désertés a quand même un petit côté surréaliste. Je verrai essentiellement des camions. Clairement plus d’ambulances que d’habitude. Pas mal de camping-cars se dirigent encore vers le nord ; moins que dimanche. Presque plus de français ; surtout des allemands et des hollandais. Très peu de voitures.

Les deux cent kilomètres passent assez vite, compte tenu de la vitesse moyenne du Chamion. Vues les conditions idéales pour ce genre d’expérience au cours des prochains jours, j’en profite d’ailleurs pour faire des calculs de moyenne. Je peux donc confirmer que je roule à 66 km/h de moyenne sur une route libre de tout obstacle (rond point, feux rouges, ralentisseurs…). La route se passant sans problème et sans stress, c’est ce qui me décide finalement à rentrer. Dans les conditions actuelles, je me donne trois jours pour rentrer. Comme il n’y a aucune urgence, ça ne me dérange pas. Mais je réalise à quel point la perspective de ne pas avoir d’option « retour d’urgence » sur le Chamion se ferait sentir le cas échéant. Alors tant pis. Je décide finalement d’interrompre ce voyage ; au vue des circonstances, c’est ce qui me parait le plus raisonnable. Les presque 1000 kilomètres restants, je pourrais les parcourir sans problème et en toute quiétude en une journée avec une voiture et une autoroute. Sept heures de route. Mais même en prenant l’autoroute, quinze heures de Chamion d’affilé, c’est tout simplement pas envisageable. Ce sera donc l’option la plus rassurante et confortable qui sera choisie. Je laisse à grand regret le panneau « Tortosa » derrière moi. Par chance, le temps est un peu brumeux et je ne vois pas Mes montagnes.

À partir de là, l’objectif est simple. Rouler. Tout en continuant les mathématiques. Sur des routes espagnoles classiques (avec un rond point au 50 kilomètres, un peu plus de relief, et un carrefour de temps en temps) ma moyenne diminue un peu. Je tourne dans les 62 km/h environ. Je ferai au final un peu plus de quatre cent kilomètre la première journée. Presque sept heures de conduite… j’ai dépassé Barcelone ; je suis de retour sur la côte. Je m’arrête juste à la fin du crépuscule. J’ai réussi (non sans mal) à trouver à me garer sur le bord de la plage. Je sais que je n’irai pas me balader -l’accès aux plages est interdit de toutes façons- mais juste voir la mer, le matin au réveil, ça fait du bien. Ça détend.

Je verrai mon premier contrôle routier ce deuxième jour, peu après mon départ. On me laisse passer sans me poser de question. Véhicule type camping-cars immatriculé en France et roulant plein nord, inutile pour eux de perdre leur temps je pense. Il n’y a pas grand monde dans les rues. Principalement des gens qui promènent leurs chiens. Je me dis que la population de canidés européens doit se demander pourquoi ils se promènent autant depuis quelques jours…

Ma moyenne tombe à 56 km/h. Plus on s’approche de la frontière, plus la contamination des rond-points se fait ressentir. Je ne comprends vraiment pas ce que les gens leurs trouvent… la plupart du temps, il existe tellement d’alternatives plus simples, plus efficaces, et moins dangereuses… à partir du sud de la Catalogne, on en trouve beaucoup moins, et c’est beaucoup mieux !

Une seule inquiétude quand au programme de la journée : le passage de la frontière. J’ai tous mes papiers à portée de main. Passeport, carte grise, attestation de transformation du véhicule, et surtout la sacro-sainte autorisation de sortie qui précise que je m’autorise moi même à rentrer chez moi en mon âme et conscience.

À la frontière, les douaniers n’ont aucune protection. Ni gant, ni masque. On me demande simplement de montrer mon passeport. À distance. Hors de question pour eux de simplement le toucher. Contrôle de passeport à 1m50 de distance. Cela me parait une mesure efficace… personne ne demande non plus à vérifier l’intérieur du véhicule (et les 12 passagers clandestins que j’y ai caché). Le passage de la frontière m’aura donc pris moins d’une minute… et je peux reprendre la route.

C’est un sentiment étrange de faire le voyage aller, en version courte et rapide. Au lieu de prendre les chemins de traverse, je prends les grands axes. Et je ne m’arrête pas. Perpignan. Je vois passer un panneau « Salles d’Aude ». Je regrette de ne pas refaire le détour… Narbonne. Béziers. Je ne regrette pas de ne pas refaire le détour. La journée touche à sa fin quand je dépasse Montpelier. L’avantage de refaire un trajet, c’est que je connais le coin. Je sais donc où dormir. Me voilà de retour à côté de la forêt « Perrier » pas loin de l’usine.

Dernière journée de route. Avant de partir, je décide d’alléger le Chamion : je vide les cuves à eau. J’avais gardé mes stocks au départ, notamment en me disant « si y a le moindre soucis à la frontière, je veux bien garder de quoi boire pendant une potentielle quarantaine ». Mais rendu là, faire perdre 100 kilos au Chamion pour la dernière étape ne lui fera pas de mal.

Finalement prêt à partir, je monte dans la cabine. Tourne la clé. Rien. Euh… comment ça, rien ? Comme si plus de batterie. Pourtant j’ai bien laissé les feux éteints pour la nuit. Il n’y a pas de raison… par curiosité, je réessaie de tourner la clé. Ah ! Ça remarche. Petit moment de soulagement, il faut bien le dire !

J’aurai le droit à mon premier contrôle de police en entrant dans Nîmes. Je montre mon attestation du jour (j’ai bien compris qu’il en fallait une par jour). L’opération est expédiée en deux minutes, et je repars. Un dernier plein d’essence pour la route. Une petite séance de course chez Biocoop, aussi. Surtout, je crois, pour me confronter pour la première fois depuis quelques jours, au monde réel. Juste voir à quoi tout cela ressemble. Et en fait, tout est normal. Tout est calme. La caissière a un masque ; les employés sont mieux protégés que les douaniers de la veille ou que les policiers de ce matin. J’en suis ravis pour eux !

J’ai désormais assez d’essence pour la dernière étape. Le nombre de rond point augmente ; ma moyenne baisse. Je suis désormais rendu à 55 km/h. Mais je continue d’avancer.

Nouveau contrôle, à l’entrée de Montélimar. Cette fois, c’est la gendarmerie. Deux motards, qui me font signe de s’arrêter. Sauf que eux m’arrêtent parce qu’ils n’aiment pas le Chamion. Leur objectif est clair, et annoncé dès le début : il est impossible que j’ai le droit de conduire un véhicule pareil. C’est n’importe quoi. En mode agressif et dominant. Le but est de montrer leur supériorité. De me faire comprendre qu’ils ont tous les pouvoirs. Et que moi je ne suis rien. Je ne me laisse pas démonter. Je ne réagis pas non plus à leurs provocations. Je garde le sourire, et je ne m’énerve pas. Même si intérieurement, le stress augmente petit à petit ; en même temps que la colère. Celui qui m’a pris le plus en grippe parle avec autorité ; il énonce, avec son ton supérieur, des conneries. Je ne cherche pas à le contredire, même si a priori il n’y connait rien à l’homologation des véhicules. À chaque question, je donne les réponses et les papiers qui vont avec. Mais le certificat d’homologation émis par la DREAL -difficile de faire mieux comme papier officiel… – ne lui convient pas. Il a décrété que je suis en surpoids. Car il ne connait pas les règles d’homologation. Et il n’aime pas que je lui réponde, parce qu’il n’arrive pas à me déstabiliser. Ou à me prendre en tord. Sa dernière tentative sera de contrôler mon autorisation de circulation. Que je peux lui présenter également. « Comment ça, elle est signée à Nîmes, je croyais que vous arriviez d’Espagne ». « Vous voulez voir celle d’hier ? Il faut faire une attestation par jour, voilà celle d’hier, signé au poste frontière ». Sa dernière tentative ayant elle aussi échoué, ne pouvant pas me mettre la moindre amende, il finira par me dire « bon allez, repartez ; je sais pas quoi faire de vous de toutes façons ». Petite victoire personnelle devant sa défaite et son abandon. Mon seul regret sera pour les gens qui passeront après moi. J’ai bien peur qu’il ai besoin de passer sa frustration sur d’autres que moi après ça… tout ça parce que je ne rentre pas dans le cadre de son univers à lui. Tout ça parce que je suis différent, et que lui, ça ne lui plait pas.

Je repars. Roule une dizaine de kilomètres pour m’éloigner, avant de m’arrêter sur le bord de la route pour ventiler un peu, et laisser échapper le reste du stress et de la colère.

Je continue, de temps en temps, à croiser des gens qui font des grands sourires en voyant passer le Chamion. Ou des signes. Il me faudra quand même pas mal de sourires pour commencer à me faire oublier la haine (quel autre mot choisir ? ) de ce gendarme et de son complexe de l’uniforme…

J’arrive à Valence (dans la Drôme ; malgré tout, je n’ai pas décidé de faire demi-tour à la dernière minute). Je quitte alors les axes principaux pour des axes secondaires. Je suis bientôt arrivé, mais la fin s’éternise. Je descends à 42 km/h de moyenne.

Mais finalement, après 1170 kilomètres, une vingtaine d’heure de conduite, et pas loin de 200 litres de diesel plus tard… me voilà arrivé. Animé d’un sentiment étrange. Après tout, c’est la première fois que j’interromps un voyage. Il faut un début à tout, j’imagine…

3 commentaires

  1. Commentaire de Lavande

    Ça me rappelle, à une échelle beaucoup plus modeste dans mon cas, la gendarmette bornée qui m’a engueulée parce que je roulait trop lentement dans un brouillard à couper au couteau et qui était si déçue que mon alcotest soit à 0,0 !

  2. Commentaire de Kaly

    En ce qui concerne les ronds-points, la France a plus de 50 % des ronds-points de la planète. Parce que l’ingénieur ou le je ne sais quoi touche un pourcentage. Autrefois, c’étaient les châteaux d’eau, mais comme on en a posé partout on ne peut plus vraiment en rajouter. Alors on rajoute des ronds-points pour faire du fric.

    En ce qui concerne la maréchaussée et la relation dominant-dominé, cela me rappelle un passage du livre “là où chantent les écrevisses” de Delia Owens. Quand l’héroïne passe au tribunal, elle examine les avocats, le juge, les jurés, et elle estime en fonction de comment ils sont bien dans leur peau si elle sera écoutée ou pas, si elle aura affaire à des types comme ton gendarme qui brille par son incompétence et veut à tout prix faire son malin, ou à des types cool, bien dans leur peau, qui vont simplement l’interroger et tenter de communiquer avec elle sans a priori, sans que leur conviction soit faite à l’avance.

    (Oups, une phrase un peu longue, désolée !)

  3. Commentaire de Patrice GEORGES

    Bon retour parmi nous. C’est bien dommage que tu ais dû interrompre ton voyage. Mais ce foutu virus chamboule tout.
    Quant à la maréchaussée elle a aussi son lot de cons à l’esprit étroit et quand on à a faire à eux il est difficile de rester calme. Je t’admire car je ne sais pas si j’y serai arrivé.

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