Voyager dans les traces d’un livre. Une expérience que j’ai toujours aimée. Marcher dans les pas du Chauffeur, sur les berges du St Laurent, en suivant l’itinéraire du bibliobus de « Tournée d’Automne » de Jacques Poulin. Ou se lancer sur la route des miles îles. Comme dans « Volkswagen Blues ». Toujours de Jacques Poulin. Bien sûr.
Mais qu’en est il quand je me mets à marcher dans les pas… de mon propre livre ? Quand je réalise que l’hostel dans lequel je suis à Portland, parce que j’assiste à une conférence sur les auberges de jeunesse, est à deux coins de rue de Couch Park ?
« Je ramène le van jusqu’à Couch Park. Je l’aime bien ce quartier. Alphabet District. Un passant m’a expliqué qu’il s’appelait comme ça à cause des rues. Du sud vers le nord, elles sont nommées suivant l’ordre alphabétique: Burnside, Couch, Davis, Everett, Flanders… il m’a aussi expliqué que le nom de certains personnages des Simpsons venait d’ici (…) Couch Park, là où j’ai garé le van, est entre la dix-neuvième et la vingtième. Juste après, c’est la vingt-et-unième. Un petit coeur de quartier. Un endroit agréable où déambuler. On y trouve quelques cafés sympas. Il y a aussi une petite boulangerie, un pub irlandais, un supermarché avec un bon choix de produits frais, quelques restaurants, et une épicerie fine avec un rayon fromagerie. »
Ce pub irlandais où, d’ailleurs, je suis supposé aller pour la soirée de clôture de la conférence. Demain, à l’heure où j’écris ces mots.
La trilogie du Pourquoi Pas ? est une auto fiction : ce n’est pas une autobiographie ; ce n’est pas une fiction. Certains événements sont vrais ; d’autres ne le sont pas. Je n’ai jamais garé mon Pourquoi Pas ? à côté de Couch Park. Pour autant, je sais exactement à quel endroit le narrateur a garé son Pourquoi Pas ? à lui. Oui, juste là où il y a cet utilitaire blanc…
Si je me souviens bien, j’avais choisi Couch Park pour son emplacement dans Alphabet. Pas loin de Pearl. Pas loin de la vingt-et-unième. À cause d’un café qui m’avait plu.
L’écriture de la trilogie m’a créé des souvenirs que je chérie aujourd’hui. Quand je suis repassé par Duluth, je suis allé m’installer sur le banc où le narrateur a mangé des frites avec Sally. Un peu comme si c’était moi qui avait eu ce privilège. Alors oui, par moment, j’ai l’impression d’avoir été là. Dans ce Pourquoi Pas ? ; sous la pluie.
« La musique est prenante. La voix délicate et fragile. Au début. Puis elle se fait de plus en plus battante. La chanson gagne en intensité.
L’habitacle est envahi par des nappes électroniques profondes et rythmées. Je sens des frissons parcourir mon corps. Mes poils se hérissent sur mes bras. Je me laisse posséder par les vibrations. Je ferme les yeux. Je m’abandonne.
Ma rage semble prendre vie autour de moi. La colère face à cette injustice inimaginable dont je suis victime monte en moi. J’augmente le volume. La musique est désormais palpable. Le Pourquoi Pas ? vibre. »
Après tout, c’est un peu un souvenir à moi ça aussi. Un autre moment, un autre lieu, un autre contexte… mais pourtant, oui, une injustice que j’ai vécue. Et que j’avais besoin de transcrire.
« Ignorant la pluie, je me dirige vers la vingt-et-unième où je tourne à droite. Hoyt. Irving. J’arrive devant le Coffee Time. Je rentre. J’étais déjà passé devant, sans m’arrêter, mais j’avais trouvé le lieu inspirant. La chaleur intérieure contraste agréablement avec l’humidité froide qui règne en dehors. Une douce odeur de cannelle flotte dans l’air. Accueillante, invitante. »
Tantôt, quand je suis allé marcher, j’ai voulu retrouver ce café. Mais je n’étais plus sûr de si je devais tourner à gauche ou à droite. J’ai tourné à gauche, pour rejoindre Burnside. Demain ; après demain ; dans les prochains jours, je retournerai sur la vingt-et-unième. Cette fois, je tournerais à droite. J’espère que le Coffee Time sera toujours là.
« Il y a une première salle, avec quelques tables et le bar. Je commande un chocolat chaud. «Avec énormément de crème fouettée s’il vous plaît ». Le sourire compréhensif du serveur me fait du bien. Il ne dit rien, mais ma douleur se lit sans doute sur mon visage. »
Oui, ça me parait un bon projet, si le Coffee Time existe toujours.
« Je récupère mon chocolat chaud, et me dirige vers le fond du café. J’ai repéré une grande ouverture ronde, digne d’une maison de hobbit, et un grand canapé en cuir brun. (…) Même s’il m’attire, je n’ose m’octroyer le fauteuil. Je choisis plutôt une table toute simple et une chaise ordinaire. Je m’installe. Je ferme les yeux quelques secondes. »
Et cette fois, je n’hésiterai pas. J’oserai. Me voilà rendu bien sans gêne !
J’ai continué ma promenade. J’ai retrouvé Burnside, qui sépare la ville d’est en ouest. Si je tournais à droite, m’éloignant du centre ville, je pourrais peut être retrouver ce garage où j’avais fait réparer les feux arrières du Pourquoi Pas ?. Ça m’avait coûté cher. Depuis, j’ai appris à changer les fusibles tout seul. Ça me coûte beaucoup moins cher… si je continuais après le garage, il y aurait une montée. Même un tunnel, si mes souvenirs sont bons. Puis à un moment, je pourrais tourner à gauche. Sur une petite rue qui mène dans une zone résidentielle. C’est là qu’habitait Danielle quand je l’ai rencontrée. Des blocs appartements qui ressemblaient à celui où habitait Isabelle, la soeur de Marie-Noëlle, quand elle m’a hébergé lors de mon deuxième voyage au Québec. Celui qui m’a confirmé ma volonté de chambouler complètement ma vie. Étrange comment les souvenirs se mêlent ; se mélangent ; se confondent. Étrange comme la vie n’est que boucle, spirale, répétition. Toujours pareil, chaque fois différent.
Danielle… alors que je descends Burnside en direction de la Willamette (River) je pense à mes pantalons. Ceux que Matt a faits pour moi. Danielle qui m’appelait Francy Pants. Contraction de « Fancy Pants » (qui était déjà une référence à « Smarty Pants ») et de Frenchy. Parce que quand on s’est rencontré, elle aimait bien mon accent, et j’étais tout de noir vêtu. Avec mes bottes plateformes. Et mes pantalons plein de chaînes (que j’ai donnés à Matt il y a quelques temps maintenant ; vous suivez ? Quand je parle de spirales et de répétitions…). Elle serait fière de moi, Danielle, aujourd’hui, en voyant ma collection de pantalons…
Je reconnais les lieux. Portland ne semble pas avoir changé tant que ça. En tout cas, la skyline a moins été chamboulé que celle de Montréal. Je reconnais encore cette ville. Danielle revient marcher un peu à mes côtés. Comme elle l’a fait plus tôt dans la journée. Elle me prend par la main. Cette fois, je suis moins surpris. Le chamboulement émotionnel est là, à nouveau, mais moins « overwhelming ».
Je passe devant le Fred Meyer. Une épicerie qui continue de m’inspirer… pour le moment, je suis nourri par la conférence. Si je reste sur Portland une fois la conférence terminée et en attendant mon vol suivant, je sais où j’irai faire mes courses. Je n’arrive toujours pas à me décider. J’aurai trois jours à meubler. Qu’en ferais-je ?
Peu après, c’est Powells Book. Cette librairie gigantesque où il est si plaisant de déambuler…
Je continue à marcher. Je passe à côté d’un de mes « Mc Menamins » préféré. Puis soudain, un flash. Je tourne la tête. Si le Saphir et le Passeport ne font plus partis du paysage montréalais, le Star Theater est toujours là, à Portland.
« Entrer dans le Star Theater me donna le sentiment d’être de retour à Montréal. Salle de spectacle à l’ancienne, avec une scène, un parterre et un balcon. L’ensemble réaménagé à la mode cabaret : petites tables rondes, et un bar à chacun des deux étages.
L’ensemble a un look vieillot. Vintage bien entretenu. L’atmosphère est la même qu’au Saphir. Dehors, une immense terrasse. Un autre bar. Un petit stand de nourriture. Un feu. Autour, des gens discutent. C’est invitant. J’aurais presque envie de me poser, pour discuter avec eux.
La plupart ont de la classe et de la prestance. Non pas le look des jeunes gothiques pour qui il s’agit d’un jeu provocateur ou d’une façon de revendiquer une identité et une appartenance à un groupe. Ce sont surtout des adultes dans la quarantaine, pour qui être gothique est devenu un mode de vie. Habillés avec élégance, ils sont parfaits dans ces rôles qu’ils ont assimilés depuis longtemps. C’est un plaisir de les regarder discuter, de les regarder être. Hauts de forme, corsets, plumes, vestons, gilets… les styles se mélangent. Véritable ravissement pour les yeux. Steam punk, néo classique, victorien, cyber goth… il y en a pour tous les goûts. »
Je regarde de loin. Je ne m’approche pas. J’ai un autre projet en tête. Mais de loin, la population ne semble pas avoir changé.
Je rejoins la Willamette. J’ai une hésitation. Mais non, je pense bien que c’est ce pont là bas. Je tourne donc à gauche. Même si la promenade suit l’autoroute, ça reste bien aménagé. Confortable. Je m’approche du Steel Bridge. Je reconnais. Je suis à peu prêt sûr du cadrage. Dans le doute, je fais des photos depuis plusieurs points de vues différents. Mais je sais que je vais retrouver la photo que je cherche. Je reconnais les lieux.
Je traverse le pont. Je suis de retour dans Pearl District. Décrire Portland, c’est comme décrire Montréal. Ça n’est pas possible. Trop de changements. Trop de quartiers. J’ai l’impression d’avoir descendu le boulevard Saint Laurent, m’être promené dans… peut être pointe Saint Charles, un peu ? Pearl District, c’est le Mile End. Avec peut être un peu moins d’hipsteritude. Et en plus étalé. Portland est plus étalée. La ville n’est pas densément peuplé. Elle est calme. Tranquille. Plaisante.
J’aime marcher dans ses rues. Je me sens… chez moi. Ça fait partie des choses qui sont compliquées. Trop d’endroits qui sont chez moi, en fait. Trop d’endroits où il y a des morceaux de moi qui trainent à tous les carrefours. Une de mes collègues part pour un mois au Guatemala… que dire…
Je reviens à mon hostel. Retourne dans ma chambre. Récupère mon ordinateur. Copie les photos. Ouvre l’ordinateur pour écrire. Assis à une table, avec mon ordinateur, mon appareil photo, à jongler entre les souvenirs, Google Maps, les anciens articles de mon blog… Je me sens… en voyage. Certaines habitudes reviennent vite. Écrire. Évacuer une partie du trop plein d’émotions. Et surtout, essayer de mettre des mots sur tout ça. Pour m’y retrouver.
Danielle. Maison. Solitude. Voyage. La maison que je me cherche, ça n’est pas un lieu. C’est une personne.
Sur mon ordinateur, je vais chercher une image de la couverture de « À Portland, tourne la page ». Peut-on parler d’un effet Mandela quand on est la seule personne concernée ? Finalement, c’est sur Hawthorne Bridge que je vais devoir aller marcher moi…
T’as bien raison de voyager, t’as bien raison d’en profiter !
Ça fait beaucoup de bien d’écrire, continue !
Paul est un peu jaloux.
À bientôt
Kaly et Paul
Voilà qui fait plaisir de te lire!
Très prenant et très poignant ce texte. On ne sait plus ce qui est présent ou passé, fiction ou réalité. Je vais relire ton livre avec plaisir. On se sent à Portland et on partage tes émotions.
Trop d’endroits qui sont chez toi….
Cool ! une vraie richesse !