Rien n’arrive sans raison. C’est quand même une affirmation classique chez moi, même si j’ai parfois tendance à l’oublier. Par exemple, quand mes plans pour me rendre à un camping ne se déroulent pas comme il faut. Si tout c’était bien passé hier, j’aurais été au camping, je serais revenu, j’aurais profité de mon temps libre pour aller rapidement à Munising Falls, et je serais revenu juste à temps pour monter sur le bateau. Ce matin, je serais sorti du camping, et je serais parti vers l’ouest, sans me poser de questions.
Je n’ai pas vu Munising Falls hier, et je trouve ça dommage. J’ai quand même du temps de libre aujourd’hui, avant d’attaquer la route pour Ironwood, j’ai donc décidé de faire demi-tour. Retourner au village. Encore une fois. Puis aller à Munising Falls. Et partir pour de bon. Un premier saut de puce en stop m’a amené à Munising. Un deuxième m’a amené aux chutes. Et je me suis dit que j’ai eu vraiment raison de faire ce détour. Parce qu’elles sont belles, elles aussi. Elles auraient manqué à ma collection.
Et dans mon plan initial, j’aurais vu ce que j’avais à voir. Je suis rentré dans la boutique de l’accueil, en me disant que je trouverais peut être des cartes postales. Je n’en ai pas trouvé. Mais il y avait des belles photos du parc. Alors j’ai regardé. J’étais justement en train de regarder les photos des Minners Falls quand j’ai entendu la personne à l’accueil expliquer le chemin à un couple qui était là. Les photos étaient belles. J’ai donc saisi l’occasion. Je suis allé dire bonjour à ce petit couple, et je leur ai demandé s’ils allaient bien là bas, et s’ils avaient une place pour moi. Ils ont accepté avec plaisir, me confirmant que parfois, le stop ça marche juste beaucoup mieux en abordant directement les personnes. On a discuté de tout et de rien, avec légèreté et bonne humeur. J’ai vu qu’on s’enfonçait de plus en plus dans des endroits perdus, que l’on ne croisait aucune voiture, et j’ai commencé à me demander comment j’allais rentrer… C’est l’homme qui m’a donné la solution, quand nous sommes arrivés au parking. « Si vous voulez, nous allons ensuite à Minners Castle, puis nous revenons à Munising. Vous pouvez faire la boucle avec nous ». J’ai évidemment accepté, avec un immense sourire.
Nous sommes allés voir Minners Falls. Et j’ai compris que j’avais eu raison de venir leur parler. Parce que ça en valait vraiment la peine. J’aurais trouvé dommage de ne pas les voir…
Je les ai remercié de m’avoir amené ici. Je leur ai expliqué que je “collectionnais” les cascades. Alors la dame m’a demandé si j’étais allé à Niagara Falls. Je lui ai dit que j’avais été déçu. Trop d’hôtels, de gens, de bâtiments. Elle a acquiescé. « C’est plus joli ici ». Ça fait toujours plaisir de voir ses opinions partagées…
Et nous avons repris la route, jusqu’à Minners Castle. Que j’avais vu la veille, depuis le bateau. Et que je n’avais pas pensé pouvoir voir de la terre…
Ils m’ont ramené à Munising, me déposant à la sortie de la ville, pour que ce soit plus facile pour moi de trouver une voiture. Je les ai remercié, encore, et encore, et encore. Et ça m’a rappelé, une fois de plus, à quel point j’arrive à trouver les américains généreux et sympathiques. Et paradoxales…
Il a commencé à pleuvoir un peu. Il a plu un peu cette nuit aussi. Juste assez pour mouiller la tente, et pour me montrer que mon plan hors-sec fonctionne plutôt bien mais pas totalement (comprendre : les coutures de la tente ne sont plus du tout étanche). J’ai attendu sagement sur le bord de la route. Moins de dix minutes, je pense. Avant qu’une première voiture s’arrête. Il s’en allait à Marquette, à un festival de blues. On a discuté un peu, parlé un peu musique aussi. Il m’a posé quarante miles plus loin. Je devais traverser la banlieue de Marquette, et ses zones commerciales à n’en plus finir, qui sont des casses-têtes pour les auto-stoppeurs, vu que tout le monde va partout et nul part. Cinq minutes après, c’était une charmante étudiante, qui me proposait d’avancer de quelques miles. Puis ça a été un gars un peu étrange. Puis un autre, bizarre aussi, qui s’en allait cueillir des bleuets. En trois sauts de puce, j’étais sorti de la zone commerciale laide et pas pratique. Encore un peu après, c’était une jeune prof, qui rentrait chez elle pour le week-end, et avec qui on a beaucoup rigolé. Elle a fait un long détour, pour me poser à un endroit où je n’aurais pas de problèmes à trouver quelqu’un d’autre. Il y a eu ensuite ce chimiste retraité, qui n’était pas pressé, et qui m’a fait prendre les chemins de traverses, et qui a accepté de s’arrêter à Agathe Falls pour que je puisse admirer les cascades. Lui parlait beaucoup, et ça m’arrangeait. C’était déjà ma neuvième voiture de la journée, et c’est vrai qu’en stop, on finit parfois par se répéter… il m’a parlé de ce vieux fermier de 70 ans, qui a refusé de vendre son ranch pour 11,5 millions de dollars, parce qu’il aimait ça avoir un ranch (et que son ranch lui permettait de vendre 3000 têtes de bétels par an, donc il devait être en effet assez immense, et lui rapporter pas mal d’argent). Il m’a dit qu’il ne comprenait pas les gens qui s’achetaient des immenses camping car qui coûtent une fortune. Et puis finalement, il s’est arrêté, parce qu’il voulait manger une soupe. Il m’a posé sur le bord de la route, me disant que si j’étais encore là après, il me reprendrait. Mais le temps qu’il mange sa soupe, un camionneur s’était déjà arrêté, me faisant faire les 50 derniers miles à toute vitesse dans son énorme camion, en écoutant du reggae à fond, et en se plaignant que la police, dans le Michigan, mettait des amandes. Cinq minutes après être monté dans le camion, une tempête nous est tombé dessus. Il n’a pas arrêté de pleuvoir jusqu’à Ironwood. Je pensais à ma tente, sans doute encore mouillée. Au sol complètement détrempée, à ma tente pas étanche… j’ai craqué, j’ai loué une chambre de motel. Du confort, de l’électricité, une connexion wifi (aléatoire) et une baignoire. Je pense que je vais en profiter.
Pour moi, il est 22h. Mais je viens de changer de fuseau horaire. Il n’est donc que 21h. Il n’empêche. Ça fait 24 heures que je n’ai pas mangé. Je vais me préparer un petit quelque chose, quand même. Avant de prendre mon bain. J’aime mon rythme alimentaire, en voyage, qui consiste à ne quasiment plus rien manger. C’est bête, mais je pense que c’est une des raisons pour lesquelles je préfère parfois voyager seul. Je n’ai encore jamais rencontré de gens qui ne faisait qu’un seul repas par jour, composé uniquement de deux sachets de ramen… non, je ne me laisse pas mourir de faim. C’est juste que ça me convient parfaitement.
Demain, entre 10 heures et midi, Kelly me rejoint ici. J’ai hâte de la revoir. Oui, le nom sera sans doute familier à certains. Je lui ai volé son nom. Et une partie de sa personnalité aussi.