Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionAugust 28th, 2014
  • J’ai sorti la couverture de survie. Et là, forcément, ça sonne dramatique. Le blog de voyage devient un récit d’aventure. Mon éditeur prévient immédiatement les médias. Les journaux se ruent sur l’information, eux qui n’ont rien d’autres à se mettre sous la dent en ce moment. Ils en profitent. De l’information cruciale. Un français en perdition en Amérique du Nord ? Évidemment, tout le monde parle du jour au lendemain de ce jeune auteur, qui a écrit les deux premiers tomes d’une trilogie, et qui est sur la route pour finaliser le troisième. Les livres se vendent comme des petits pains, et Bruce Willis rachète les droits pour le cinéma. Il pense faire un film avec Georges Clooney dans le rôle principal et remplacer le Pourquoi Pas ? par Air Force One. Barack Obama achète le livre, mais n’a pas le temps de le lire. Sa fille, par contre, adore. Elle rêve de rencontrer l’écrivain en arrière, et souhaite lui demander de devenir son biographe personnel. Les deux premiers tomes de la trilogie sont traduits en 29 langues, et tout le monde se demande quand le troisième sortira enfin…

    Si j’avais un éditeur, je pense que je lui aurai suggéré… l’idée est pas mal bonne quand même, et a du potentiel. Mais il n’y a rien de bien aventureux dans tout cela. Je n’ai juste pas pensé que la température serait beaucoup plus froide sur le bord du lac. Et comme ma veste me sert d’oreiller, j’ai préféré tester ma couverture de survie plutôt que de dormir sans oreiller. Au moins, je sais qu’elle fonctionne super bien. Et j’ai pu dormir avec un oreiller. Et jeter quelques coups d’oeil par la fenêtre, pendant la nuit, pour admirer les étoiles, magnifiques, comme prévu.

    Prévu, également, le magnifique paysage au réveil. Le grand ciel bleu et le beau soleil. Je me lève tranquillement, je défais mes affaires, range mon sac à dos. Mange ma dernière tortilla. Et reviens sur mes pas. Je ne rentrerais pas jusqu’à Grand Marais. J’ai repéré en m’en venant le bout d’une petite balade, qui longe le ruisseau de Sand Creek. Il y a là des petites chûtes. Elles sont toutes belles.

    De retour au parking, je vois un panneau qui m’informe que d’ici, il y a un chemin de randonnée qui relie Munising, ma prochaine étape. Je calcule, je réfléchis, j’hésite. Mais il y a quand même 60 kilomètres. Je dois retrouver Kelly à Ironwood samedi midi… je serais malheureusement trop juste dans le temps. Je privilégierais le stop, donc. Avec un petit pincement au coeur quand même. J’imagine à quel point la ballade peut être magnifique…

    Je rentre donc tranquillement jusqu’à Grand Marais, content de ma petite boucle et de mon petit sentier. Levant le pouce quand je vois des voitures, mais sans trop y croire. De toutes façons, je ne vais pas loin. Le paysage est magnifique, et il y a même quelques framboises sur le bord de la route. Je suis heureux de marcher, ça me va parfaitement.

    Je me dirige vers la sortie de la ville, le pouce toujours levé. Toujours la même inquiétude. Je devrais attendre combien de temps avant qu’une voiture s’arrête ? Je suis encore à longer des maisons. Les gens me parlent, me demandent d’où je viens, où je vais. Je trouve les gens d’ici extrêmement sympathiques. Très souriants. Agréables. Mais peu enclin à vous faire monter dans leur voiture. Quand vous marchez, vous êtes un jeune homme sympathique et souriant. Mais depuis leur voiture, ils vous voient soudainement comme un fou dangereux… c’est vrai, je suis dangereux pour leur mode de vie. Je ne rentre pas dans le moule. Je suis trop différent…

    Une voiture me double. Ça doit être la dixième à peu prêt. Un peu après, je la vois qui s’arrête. Puis qui fait marche arrière. Il me faut un moment pour comprendre que c’est bien pour moi. Je cours. Une dame toute souriante, avec des cheveux blancs, m’invite à monter. Je lui dis que je vais à Munising. Elle me dit que elle aussi. Besoin d’un seul chauffeur aujourd’hui ? Je suis tout heureux.

    Sandy, puisque c’est ainsi qu’elle s’appelle, est une personne avec qui j’ai beaucoup de plaisir à discuter. Je rate certaines choses de la conversation à cause du bruit du moteur et de mon anglais parfois défaillant, mais ça reste agréable. Elle vit la moitié de l’année dans la région, l’autre moitié dans le sud (quand on sait qu’il peut y avoir jusqu’à quatre mètres de neige cumulés sur une saison, on comprend un peu. Enfin tant qu’on n’a pas passé quelques hivers au Québec). Elle a grandit sur une ferme, est très fier de son camion (pick-up en bon français). « Ici, si tu veux un homme, il te faut un camion. C’est pas toi qu’il épousera, ça sera ton camion, mais comme ça, tu auras quelqu’un ». Et puis la discussion évolue un peu. Elle m’explique que dans le sud, ils ont de plus en plus de problèmes avec les immigrants. C’est pour ça que depuis quelques temps elle a un port d’armes. Elle est allée une fois en Allemagne et une fois en Autriche, mais a surtout voyagé en Amérique du Nord, où il y a tellement de choses à voir (bien d’accord avec elle). De toutes façons, elle n’a plus envie de prendre l’avion, quand on voit ce qu’il se passe de nos jours…  je trouve ça triste d’entendre ce genre de discours. D’autant plus que je la trouve relativement ouverte d’esprit. Ne serait-ce que parce qu’elle s’est arrêtée pour me ramasser, contrairement à tant d’autres qui préfèrent passer de l’autre côté de la double bande jaune pour s’approcher le moins possible de moi. Elle accepte même mon style de vie. « Are you a gipsy ? » « Well, sort of, I guess » « That’s good ». Tout cela me rappelle une vieille grand mère, dans un gite, au fin fond de la Gaspésie. Très polie, très respectueuse, très bien sur elle… jusqu’à ce qu’elle commence à parler des « Étrangers » et de tout le mal qu’ils apportent avec eux. C’était intéressant de la voir dire du mal des étrangers, québécoise s’adressant à mes parents et moi même… mais nous, nous ne sommes pas des étrangers, nous sommes blancs. Qui plus est francophone… j’ai eu cette même impression avec Sandy… le discours que ces vieilles dames tiennent ne sont pas les leurs. Elles répètent, encore, et encore, et encore, ce qu’elles entendent à la télévision. Pas vraiment de libre arbitre à ce niveau là. La télévision est la seule source d’informations, et tout ce que la boîte à images dit est vrai.

    Je pourrais me souvenir de Sandy comme une vieille conservatrice, pour le droit de se protéger soit même, membre de l’American Riffle Association, bornée et répétant un discours qui n’est pas le sien. Ou comme d’une vieille dame souriante, avec qui j’ai passé un moment des plus agréables. Avec qui j’ai eu plaisir à discuter. Elle m’a parlé de ses conserves maisons, je lui ai parlé des confitures de mes parents, et de ma bière. On a parlé du beau temps. On a parlé de plein de choses…

    Alors si un jour vous passez par Grand Marais, allez à la station service. Demandez où vous pouvez trouver « Sandy by the beach », et aller lui dire bonjour, de la part de Sébastien, le backpacker français qui a passé un si bon moment avec elle…

    Sandy m’a déposé à l’entrée de Munising, à un centre d’information touristique. J’ai commencé par me renseigner sur les campings. Il y en a un, de l’autre côté de la ville. Je me suis aussi renseigné sur les cascades. Ils en ont beaucoup dans le coin. Et puis une information m’a accroché l’oeil, alors je me suis renseigné sur les croisières en bateau. Parce que le truc, à Munising, c’est que l’on est au début des « Painted Rocks » un parc qui longe les rives du lac Supérieur… jusqu’à Grand Marais. J’envisageais de partir en randonnée… mais en même temps, des falaises qui tombent sur l’eau, c’est pas mal plus beau vu depuis un bateau. J’ai réservé un billet pour 17h.

    J’ai posé mon sac, le temps d’aller dire bonjour à deux petites cascades pas loin d’ici. Alger Falls et Wagner Falls.

    J’ai retiré de l’argent (oui, je n’avais toujours pas d’argent US en liquide sur moi…). J’ai récupéré mon sac, et j’ai commencé à marcher vers le camping. J’avais tout mon temps, et une petite carte du coin, me montrant que le camping n’était pas trop loin. Je pouvais y aller, monter ma tente, poser mon sac, manger (toujours rien dans le ventre depuis mon petit petit déjeuner) et revenir prendre le bateau. Vue la faible distance à parcourir, je ne voyais pas l’intérêt de faire du stop.

    J’ai commencé à trouver ça louche à un moment quand mon environnement ne correspondait plus vraiment à la carte. J’ai fini par comprendre que ma carte n’était pas à l’échelle. Dommage, ça n’était pas écrit dessus. J’ai continué à marcher. Je ne pouvais plus faire de stop : j’étais sur le bord d’une deux voies, où les voitures ne pouvaient pas s’arrêter. Et moi, à peine marcher. J’ai continué, en me posant des questions. Ça faisait quand même un peu plus d’une heure déjà… j’ai vu un point de repère, un hôtel, qui m’a donné le courage de continuer. Puis un panneau, en forme bizarre, qui pouvait être le camping. Rendu là, j’ai vu que ça n’était pas ça. L’heure tournait de plus en plus. Je commençais à être fatigué, frustré, et avoir un petit creux. J’avais déjà payé pour le bateau… j’ai pris une décision : faire demi-tour. Oui, admettre que j’ai marché tout ça pour rien… c’est ce que j’ai fait. Je suis retourné de l’autre côté de la route. Je n’avais ni le temps ni le courage de faire la marche retour, alors j’ai attendu. Énervé contre ma carte pas à l’échelle. Et contre ces voitures qui refusent de s’arrêter. Je commençais à envisager que j’allais rater mon bateau, mais je n’ai pas voulu perdre espoir. J’ai donc décidé de sacrifier un point de karma. Un accord que j’ai, avec le Maître du Jeu qui là haut s’occupe de tout. De temps en temps, je peux sacrifier des points de karmas pour me sortir de certaines situations. Je sais pas combien il m’en reste. J’ai refait les stocks récemment.

    Cinq minutes après, une voiture s’arrêtait. Un gars très sympa m’a embarqué. Je lui ai expliqué mes mésaventures, il m’a déposé à l’embarcadère. Je suis arrivé juste à temps. J’avais déjà arrêté de maudire l’humanité presque toute entière (la part de l’humanité constituée des gens qui ne s’arrêtent jamais pour prendre des stoppeurs). J’avais retrouvé mon grand sourire. J’aimais à nouveau tout le monde. La vie était belle.

    Alors que le bateau quittait le port, j’ai eu une idée. Griffonner rapidement « Campground » sur une feuille de papier, posée sur mon sac à dos. Des fois, c’est une bonne méthode pour faire du stop. Une dame m’a demandé ce que je cherchais. Ils m’avaient vu faire du stop quand j’allais dans l’autre sens, et ne comprenaient pas trop ma manoeuvre. Je lui ai expliqué, glissant à la fin un petit « et donc, si jamais par hasard vous allez par là bas… ». Elle m’a répondu « malheureusement, nous allons de l’autre côté. Mais nous verrons ce que nous pouvons faire.

    Et le bateau est parti. Pour trois heures. À admirer des falaises absolument magnifiques. Avec cette impression, parfois, de visiter un musée d’art contemporain. À d’autres moments, le sentiment d’être de retour en Australie, à Marya Island. À me faire complètement oublier mes mésaventures. À me dire que j’étais heureux d’être ici. Que j’étais extrêmement chanceux, et que j’avais passé vingt minutes à me plaindre aujourd’hui, ce qui était beaucoup trop. J’ai passé le reste du voyage à avoir un sourire béa. Et à user de la pellicule.

    J’ai vu tant de choses magnifiques… j’ai vu des arbres hallucinants. Des vieux, des grands, des immenses, des tordus. Des qui poussaient sur les souches d’autres… je n’en avais jamais vu qui poussait sur la pierre. Je l’ai repéré de loin, cet arbre majestueux, sur son promontoire. Ce n’est qu’après que j’ai vu les racines… parce qu’il n’y a pas de terre là où il pousse, ses racines vont chercher les nutriments plus loin. Depuis que les racines ont poussées, le sol s’est effondré. Les racines sont restées… Je n’avais jamais vu ça. Nul part. Cet arbre, sur son piédestal, avec ses racines volantes, et rentré instantanément dans mon top 5 de mes arbres préférés de part le monde…

    Le bateau a fini par revenir au port. Je suis sorti, en tenant mon petit panneau. La petite famille est venue me voir, me demandant si j’avais trouvé quelqu’un. Réponse négative. Alors ils m’ont proposé de m’amener. Ils se sont tous présentés. Les deux parents, les trois enfants, absolument adorables. Image parfaite, de la parfaite petite famille en vacances. Je leur ai dit. « Vous avez l’air tellement bien, tellement heureux ». Et je les ai remercié, encore et encore et encore. Sans oublier, évidemment, de craquer sous le sourire ravageur de la fille, qui devait avoir une dizaine d’années, le visage souriant, constellé de tâches de rousseur.

    On a discuté un peu. De où je venais, de où j’allais. On a parlé des chûtes de Tahquamenon. Ils y étaient eux aussi. Il y a deux jours ? oui, il y a deux jours. « Mais, ta tente, c’était pas une petite tente dôme, grise et verte, pas loin du bloc sanitaire ? ». Et oui, par ici, ça se remarque un backpacker. Faut dire que les tentes sont gigantesques, avec des tonnes d’excroissances dans tout les sens, et une voiture énorme garée devant. Alors moi, avec ma tente toute simple, sans rien, sans voiture, ils m’avaient remarqué. Et ils étaient content d’avoir pu me parler. De savoir qui j’étais.

    Je suis arrivé au camping. Je leur ai dit au revoir à regret. J’aurais aimé passer la soirée à discuter avec eux. Chaque année, ils partent tout les cinq en vacances camping, pour une semaine, avant la reprise scolaire. Là, ils ne sont pas en camping pour cette nuit, mais l’idée reste la même.

    Je suis allé m’installé sur le bord de l’eau. J’ai monté la tente. Je me suis installé en mode « il va peut être pleuvoir cette nuit, et ma tente n’est pas vraiment étanche ». Je verrais bien ce que ça va donner.

    Au programme de demain, si tout se passe bien, retourner en ville voir deux chutes que je n’ai pas vu. Puis prendre la route pour Ironwood. Un peu plus de deux cent kilomètres à faire. Et aucune inquiétude sur le fait que j’y arriverais sans problème. Il faut juste être un peu patient, mais il y a toujours une voiture qui finit par s’arrêter !

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