Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionFebruary 23rd, 2016
  • Nous sommes dix. Dix personnes à se regarder un peu bizarrement. Il est 22 heures. Dans un peu plus d’une heure, nous partons tous ensemble pour attaquer l’ascension du Santa Maria. Nous sommes lundi 22 février, soir de pleine lune. L’idée est de monter de nuit, dormir à la belle étoile quelques heures au sommet, regarder le soleil se lever, et redescendre. Oui, nous sommes bizarres. Sans doute un peu fous aussi. Et ça, c’est chouette. Trois guides pour nous accompagner. Jamie, Andrew et Ben. Je retrouve le tiercé de la rando Xela – Lago. Ça me fait bien plaisir !

    Il est près de minuit quand nous partons dans un mini bus spécialement pour nous. Nous nous arrêtons le temps de récupérer deux policiers. Il n’y a pas eu d’incidents depuis plusieurs années. Mais par principe, il est toujours mieux d’être accompagné. La « police touristique » est là pour ça.

    Après une petite demi heure de route, nous attaquons l’ascension. Je suis dans un état d’esprit très spécial. Lilou aussi. Nos attentes sont différentes. Nous grimpons pour des raisons différentes également, je pense. Mais nous sommes tous les deux sensibles à la présence de la lune, là haut, qui nous regarde. L’ascension commence tranquille. Seule une ou deux lampes sont allumées. Il n’y en a pas besoin. Nous continuons de monter. D’autres lampes s’allument. Les gens parlent beaucoup. Nous nous faisons volontairement distancer par les plus rapides. Nous allons volontairement plus vite que les plus lents. Nous arrivons à nous créer un espace juste à nous deux. Nous montons sans lumière. J’ai ma lampe dans ma poche, mais elle est inutile. Le ciel est magnifique. Les silhouettes des arbres se découpent à la lumière de la lune. On devine un paysage de toute beauté. Mes jambes grimpent sans problème. Elles ont déjà oublié le Tajumulco.

    La vallée se dévoile de plus en plus à nous. Quelques silhouettes de montagnes, et surtout les lumières de la ville. Xela est la deuxième plus grande ville du Guatemala, et on commence à s’en rendre compte quand on voit les lumières qui s’étalent vers le lointain. Les villes d’ici, la nuit, n’ont rien à voir avec les villes d’Europe ou d’Amérique du Nord. Les lumières sont désordonnées. Impossible de deviner la moindre rue, le moindre alignement. Pas de haut bâtiments. Juste des points lumineux qui semblent disperser au hasard.

    La température baisse de plus en plus. On devine même du givre à certains endroits. Cette fois, je suis mieux équipé que pour le Tajumulco. J’ai emprunté un manteau de randonnée, et je n’ai pas peur du froid !

    Plus on avance, plus la montée est raide. Grimper parfois à quatre pattes dans les cailloux, seulement guidés par la lumière de la lune est tout simplement magique. Les jambes finissent par fatiguer, le souffle se fait un peu plus court… mais nous devinons enfin le sommet. Nous finirons en solitaire, chacun dans notre bulle. Je monte tout droit vers le rocher le plus imposant. Celui qui montre très clairement le sommet. Je m’installe debout. Le vent souffle de toutes ses forces. Glacé. Je ne suis que peu vêtu, suite à la montée. Le vent traverse mes vêtements. Je suis gelé, et à la fois brulant. Le volcan me soutient. La lune m’éclaire. Le vent m’énergise. Je reste là un long moment, à discuter avec l’Univers. Une sensation d’une puissance infinie. Une sensation plus forte encore qu’au sommet des différentes pyramides mayas que j’ai pu escalader au Yucatan. Une pyramide dispose d’une force énorme. Mais qui n’a rien de comparable avec un volcan.

    La seule métaphore qui me vient, c’est de dire que jusqu’à présent, je laissais des messages sur la boite vocale de l’Univers. Pour la première fois, il m’a répondu. Peut il y avoir sensation plus puissante, plus grisante, que l’Univers tout entier s’exprimant au travers d’une bourrasque de vent glacial, pour dire « tu avances dans la bonne direction, tu fais les bons choix, continue » ? J’ai l’impression d’avoir terminé cette transition commencé au début de ce voyage, aux sources chaudes d’Umquat…

    Je descends de mon rocher. Me mets à l’abris du vent. Je suis gelé. Incapable de me réchauffer. Je rajoute un deuxième pantalon, le manteau. Je tremble sans pouvoir me contrôler. Mais je l’ignore, ce n’est tellement pas important ! Pas ce soir. Pas après ce que j’ai vécu…

    Je sors mon bâton du sac. Commence à le monter. Combien de fois dans ma vie aurais-je l’occasion de faire du feu, au sommet d’un volcan, à 3800 mètres d’altitude, sous la pleine lune ? Peut être plus souvent que je ne le pense. Mais si j’ai laissé passer l’occasion sur le Taju, je la saisi ici. Il me faut une éternité pour réussir à enflammer le kérosène qui est glacé. La flamme est froide. L’altitude ? Sans doute. Je passe ma main au travers sans problème. Le spectacle ne dure pas longtemps. Quelques minutes à peine. Mais c’est pas grave. Je l’ai fait. Et j’en suis heureux. Je pose le bâton. Enlève mes chaussures. M’enroule dans mon sac de couchage. J’ai toujours froid. Je m’allonge sur le sol. Comme je peux.

    Je dors d’un demi sommeil, incapable de me réchauffer. Mais ça n’est pas grave. Je sais que dans moins de trois heures, le soleil me réchauffera. Et puis je suis encore grisé par cette sensation de puissance ressentie en plein vent… le froid ne me dérange pas plus que ça. Je ne dors pas vraiment. Je vois l’aube poindre à l’horizon. Les couleurs sont magnifiques. Mon appareil photo n’est pas loin. Mais je n’ai pas envie de sortir les mains du sac de couchage. Je n’ai tout simplement pas envie de prendre de photos. Je ne veux pas me déconnecter de tout ça. Pas après ce que j’ai vécu. Alors j’admire. Émerveillé. Gelé.

    Le soleil apparait enfin à l’horizon. Les minutes les plus froides de la nuit sont derrière nous. Je reste encore un long moment allongé. À admirer le paysage, à goûter au bonheur du soleil. Je crois que c’est le levé de soleil que j’apprécie le plus. Celui que j’aurai attendu avec le plus d’ardeur. Et oui, le premier levé de soleil du reste de ma vie…

    J’arrive enfin à sortir de mon sac de couchage. Pour me faire un chocolat chaud. Oui, les guides sont toujours là à s’occuper de nous. Je bois mon chocolat chaud. Récupère mon didgeridoo (non, je ne sais pas voyager léger, même en randonnée !). Je me pose un peu à l’écart de tout le monde, et reste un long moment à jouer pour moi. À jouer pour la montagne. À jouer pour l’Univers. Je me plais à penser que je suis le premier humain à jouer du didgeridoo au sommet du Santa Maria…

    Je reste un long moment dans un état second. À ne pas vouloir parler, à ne pas vouloir manger. Pourtant, je sais qu’il va me falloir reconnecter à la réalité. Et pour ça, je connais une méthode très efficace. Je sors l’appareil photo. Regarder le monde sous un autre angle. À travers un filtre, pour pouvoir recommencer à le voir à nouveau. Les paysages sont magnifiques. Les gens sont posés un peu partout à discuter. Lilou, de son coté, écrit…

    La photo me permet de revenir sur terre. D’être de nouveau connecté à ce qui m’entoure. À coté de nous, le Santiaguito fait une nouvelle éruption. C’est sa deuxième ce matin. J’ai regardé la première complètement impassible. Me souvenant des éclats rouges entraperçus pendant la nuit. Fuego, dans le lointain. Et un autre, plus proche. Oui, j’ai vu mes premières éruptions volcaniques dans un état second. J’étais bouleversé par la magnificence de l’Univers, la magnificence de la Vie. La beauté de toute chose…

    Nous attaquons finalement la descente. La marche finit de me remettre les idées en place. Je me demande combien de fois je ferais cette randonnée. Combien de pleine lune je vivrais ici. Combien de time lapse je ferais. Combien de fois je monterai avec mon bâton…

    La descente nous dévoile ce que la montée nous laissait deviner. Le paysage est magnifique. Les arbres de toute beauté. Une fois de plus, nous nous faisons distancer par certains, distançons les autres, et avançons en toute tranquillité, à notre rythme, dans une bulle bien agréable, et plutôt silencieuse…

    La descente est longue, mais nous arrivons finalement en bas. Un chicken bus nous ramène jusqu’à Xela. Nous récupérons nos sacs. Transférons nos affaires. Dans un sens. Dans l’autre. Tout faire tenir…

    Et puis nous sommes près à partir. Je dis au revoir à tout le monde. Andrew, Ben et Jamie me disent au moment de partir que je ferais un excellent guide. Je pense que ce n’est pas que par politesse. Je pense qu’ils le pensent vraiment. Ça me fait plaisir. Ça me fait chaud au coeur.

    Le temps de grignoter quelques tacos sur le bord de la route, puis nous prenons un bus qui nous ramène au terminal Minerva, à coté du grand marché. Ce marché où je me vois bien venir régulièrement, faire des courses, et cuisiner pour tous les autres guides… nous traversons le marché, et sautons dans un Chicken Bus en direction de Momostenango. Comme d’habitude, nous n’avons pas planifié le déplacement. Nous savons qu’à un moment, un chicken bus nous amènera là où nous le voulons. Et c’est le cas. Après vingt minutes d’attente, nous partons pour de nouvelles aventures, hors des sentiers battus pour de bon !

    Un commentaire

    1. Commentaire de Kaly

      Est-ce que “Xela” pourrait avoir quelque chose à voir avec “gela” ?

      ;-)

      Ça me plaît aussi que tu dises ceci :

      “Je me plais à penser que je suis le premier humain à jouer du didgeridoo au sommet du Santa Maria…”

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