Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionMay 19th, 2009
  • J12- Du kilomètre 2688 au kilomètre 2696

    J’ai réussi ! Deux nuits de suite au même endroit. Enfin presque. Le YWCA ne me plaisait pas, alors j’ai déménagé à l’Auberge de Jeunesse de l’autre côté de la ville. J’ai donc roulé 8 kilomètres aujourd’hui. C’est fou ce que ça fait du bien de s’éloigner du volant !

    J12- Début de journée relaxe

    Je me suis réveillé vers 9h30. J’avais l’intention de prendre ça très relaxe aujourd’hui. J’ai donc commencé par partir à pied dans les rues de Banff. Peut-être, mais pas sûr, en quête d’un petit déjeuner.

    La ville est beaucoup plus tranquille et agréable que la veille au soir. Je musarde ; regarde les boutiques. Tranquillement. Il s’agira finalement d’une simple promenade, ne trouvant pas l’inspiration pour un petit déjeuner. Ce sera donc tartines de nutella. J’ai un doute soudain : et si le pot ne tenait pas jusqu’à la fin ?

    Je monte ensuite dans la voiture pour un transfert d’hébergement. Il est 10h30 et je sais déjà où je dormirais ce soir. Ça me simplifiera sûrement un peu ! J’arrive aussi à rejoindre Steph. Ça n’a pas été facile, mais c’est fait ! On devrait donc se retrouver demain en début d’après-midi. Je passe aussi un téléphone rapide à Laurence, pour m’assurer que tout va bien avec l’appart. Seul catastrophe : le bac de recyclage a disparu. Tant que c’est juste ça que l’on me vole, je crois que je peux supporter.

    J12- Tunnel Mountain

    J’ai profité de ma balade en ville pour prendre quelques infos de randonnées au départ de Banff : c’est le côté pratique. Je peux partir directement de l’Auberge de Jeunesse. La voiture est au repos aujourd’hui. Je me bricole un itinéraire qui fait une jolie boucle, grâce aux infos récupérées. On commencera par l’ascension de Tunnel Mountain (environ 300 mètres de dénivelé). Je pars assez loin du début du sentier, mais déjà au pied de la montagne, d’où je trouve un sentier bien marqué également, qui semble promettre une belle ascension, tranquille, et sans personne. De plus, je me dis qu’en allant toujours tout droit et en montant, je finirais par rejoindre le sentier principal. C’est en effet ce qui se produira… rendu au sommet : le chemin principal monte par l’autre versant. C’est tant mieux : plutôt qu’un aller retour, je descendrais par un autre itinéraire que celui de la montée. La balade offre des points de vue magnifiques sur la ville et les montagnes environnantes. Il vente fort, mais le ciel est d’un bleu splendide. C’est étrange : j’ai à nouveau l’impression de connaître la première journée d’été. Juste un mois après celle de Montréal…

    La descente me ramène vers le centre-ville où broute tranquillement un élan dans une petite rue pas trop passante. Mon cerveau fait clic : les deux bêtes pas très belles que j’ai vues hier en revenant de Emerald Lake étaient également des élans. Le compte est donc de trois.

    J12- Bow River

    La suite de la balade devait me faire faire le tour de la montagne, en suivant la rivière, pour me ramener à l’Auberge de Jeunesse. Je ne sais plus trop pourquoi j’ai changé d’idée. C’est sans doute devenu un réflexe : ne pas faire ce qui était initialement prévu.

    Je remonte donc la rivière, mais sur l’autre berge. Aperçu rapide de la « cascade » de Banff, la « Bow Falls ». J’aurais plutôt appelé ça des rapides, mais la horde de touristes qui envahisse les lieux semble s’en contenter.

    J12- Parenthèse historique

    La balade offre également un beau point de vue sur le Fairmount Banff Spring Hotel. Et là, une importante parenthèse historique s’impose.

    1883 : le Canadian Pacific arrive à Banff, avec la ferme intention d’installer des rails pour traverser les Rocheuses. Il n’y a, évidemment, absolument rien. Trois ouvriers découvrent alors une source d’eau chaude naturelle, et commence à l’exploiter. Ça marche très bien, même si c’est presque inaccessible. Les trois employés commencent alors à se disputer le partage des sources. Tout cela arrive à l’oreille du gouvernement, qui décide alors de régler le problème, en annexant les sources (c’est bien évidemment la rentabilité qui a fait réagir le gouvernement ; pas la dispute). La solution ? le gouvernement crée le Parc National de Banff. Premier parc national au Canada, et donc haut lieu historique, puisqu’il en découlera un immense réseau de parcs nationaux.

    Encore une fois, c’est le chemin de fer qui vient modeler la géographie et l’histoire du pays. Tout comme il décide de l’emplacement des villes en prenant le passage par Banff, Lake Louise et Kicking Horse, plutôt que l’alternative plus simple par Jasper et Yellow Head, mais plus au nord et donc moins concurrentiel à l’égard des chemins de fer américains. Les parcs nationaux de Jasper et Yoho seront directement liés au chemin de fer également.

    Le Banff Spring Hotel est construit dans la même période : au début du 20e siècle, le tourisme (de grand luxe) et les chemins de fer sont intimement liés. Le Canadian Pacific construira donc un certains nombre d’hôtels de prestige pour faire venir les voyageurs.

    J’en profite pour ajouter un correctif : pendant très longtemps, Kicking Horse ne sera que ferroviaire. Les voitures, elles, passent un peu plus au sud, dans la vallée de Kootenay. Le gouvernement fédéral accepte d’aider la province de la Colombie-Britannique à construire cette liaison, à la condition que celui-ci cède une bande de 8 kilomètres de chaque côté de la route. C’est ainsi que naît, en 1921, le Parc National du Kootenay. Un de plus dans la région, mais cette fois, à cause des voitures.

    J12- Suite de la balade

    Le secteur où je me trouve est très touristique, mais en s’éloignant de 200 mètres, c’est la tranquillité absolue. Je me trouve un creux confortable, entre deux rochers, en plein soleil. J’ai les jambes lourdes, je m’allonge un peu, persuadé que je vais dormir ou au moins somnoler… mais non. Je reste une demi heure, juste à relaxer et à prendre le soleil, avant de repartir me perdre dans les bois et faire le tour de la ville sous les arbres.

    Promenade tranquille qui me permet de voir un autre élan, qui broute tranquillement dans un terrain de golf. L’avantage des lieux hyper touristiques, c’est qu’ils deviennent hyper tranquilles quand on s’écarte des attractions principales.

    Ma balade me ramène tranquillement au centre ville, où je débarque avec mes vêtements sales et mon bâton de marche. Je me sens un peu sauvage : Banff c’est un lieu de vacances pour citadins, pas pour aventuriers ou pour randonneurs.

    J12- Hamburger, frites et Guiness

    Au final, ma petite balade m’a fait marcher pendant prêt de 6 heures. Arrivé à l’Auberge de Jeunesse et à la voiture, j’ai le goût de reprendre un semblant d’air normal. Après tout, j’aime la ville aussi ! Je commence par prendre une trentaine de minutes pour faire du rangement dans la voiture. Elle ressemble à nouveau à une voiture. Ça faisait depuis mon départ que j’empilais tout et n’importe quoi, n’importe où. Je m’offre ensuite une longue douche, et j’enfile ce que je peux réunir qui a le plus d’allure : chaussures de marche sales, pantalon cargo à jambes larges et chemise élégante. Mélange détonnant qui me fait rire tout seul. Je retourne me balader au centre ville. L’Auberge de Jeunesse étant un peu décentrée, je me permets d’utiliser la voiture. En chemin, je me surprends à rêver à un énorme steak avec des frites. Je mérite bien un resto ! Sauf que les tarifs me dépriment. Je n’ai pas le goût de payer autant… je finis dans le pub irlandais, où les prix semblent les plus abordables en ville. Guiness (évidemment !), hamburger à l’agneau avec chutney de mangues et frites. Les portions sont généreuses. Comme celles auxquelles je suis habituée. Faut croire que j’ai perdu l’habitude à force de peu manger ! Je finis, mais difficilement. Je me sens lourd. Je n’aurais pas du. J’en connais une qui sourirai de m’entendre dire « j’ai trop mangé » !

    Je m’en retourne à la voiture, en faisant quelques pauses « magasins de souvenirs » mais rien ne m’inspire. Je vois un livre de photos qui me rend jaloux : c’est ce que j’aimerais faire… il n’y a pas de textes, pas de commentaires, juste des dizaines de photos de montagnes…

    J12- Soirée drague

    Finalement, retour tranquille à l’Auberge de Jeunesse, pour écrire mes notes et quelques cartes postales. À côté de moi, deux filles semblent faire pareil. Sur leur portable évidemment. Je les envie. Ça va être long de recopier tout ça !

    Activité amusante et non prévue : un gars essaie de draguer les deux filles d’à côté, avec une approche des moins subtiles. Très instructif à écouter. Elles ne se montrent absolument pas intéressées, mais il n’en semble pas conscient du tout. À priori, la technique de drague consiste à négocier à être ajouté sur facebook. Ça y’est, je viens enfin de comprendre à quoi ça sert : « please, add me in your facebook ». Oui, vraiment très instructif. J’ai cru pendant un moment qu’il partait : le « goodbye » de la fille semblait pourtant explicite.

    Le voilà finalement parti. Il se dirigera vers une autre fille, un peu plus loin. Mais là, je ne peux pas entendre. Dommage ! De toutes façons, vue l’heure tardive, je crois que j’ai mieux à faire.

    J13- Du kilomètre 2696 au kilomètre 2807

    Voir le plan en grand.

    J13- Enfin l’été ?

    Après la journée ensoleillée d’hier et cette impression d’été, je me sentais bien parti pour plusieurs jour de soleil. Je suis assis à une table de l’Auberge de Jeunesse, en train d’attendre mon petit déjeuner. Dehors, il neige. Je suis perplexe. Je ne sais vraiment pas quoi penser. Si ça se trouve, c’est bien parti pour durer et pour tenir… Sur Jasper, ils annoncent entre 10 et 20 centimètres. Je ne sais plus trop quoi faire. Peut-être que le petit déjeuner m’amènera l’inspiration.
    AVERTISSEMENT DE NEIGE: Parc national Jasper

    Émis a 4H11 HAR LE LUNDI 18 MAI 2009

    ON PREVOIT DE 10 A 20 CENTIMETRES DE NEIGE.
    LA NEIGE CONTINUE DE TOMBER LE LONG DES CONTREFORTS NORD ET DANS LE PARC NATIONAL DE JASPER. LA NEIGE CONTINUERA AUJOURD HUI ET FAIBLIRA A COMPTER DE CETTE NUIT. L ACCUMULATION TOTALE DE NEIGE SE SITUERA ENTRE 10 ET 20 CENTIMETRES.
    Ca promet !

    J13- Au programme aujourd’hui

    Une autre courte étape aujourd’hui : seulement une centaine de kilomètres. Le petit déjeuner (deux oeufs, saucisses, patates) ne m’a pas inspiré. J’ai eut Steph au téléphone : à Calgary, ils sont rendus à deux pouces de neige. Dans ces conditions, c’est mieux qu’elle ne vienne pas. C’est vraiment dommage.

    De mon côté, je vais à l’info touristique en quête de suggestions. Ils me confirment que Cave & Basin (lieu historique de la première source chaude de Banff) est une bonne activité à pratiquer sous la pluie ; j’ajoute à la liste des Hoodoos (cheminées de fées) et un petit tour pour voir de jolis lacs de montagnes. Ensuite, direction Lake Louise via la route de la vallée de la Dow, avec escale au Johnson Canyon.

    J13- Cave & Basin

    La visite de Cave & Basin est intéressante, mais quand même un peu sommaire. Visite des lieux, quelques faits historiques, quelques photos, le tour est vite fait… depuis quelques jours, je me sens un attachement pour l’histoire de ce petit bout de pays et de chemin de fer. Être ici rajoute un petit quelque chose à tout cela ; de même que quelques anecdotes, comme celle de la femme de M. MacDonald (premier premier ministre canadien) [Lady Agnès] qui demanda à traverser les Rocheuses à l’avant de la locomotive, sur le chasse bestiaux. Mille kilomètres. Lors de l’inauguration de la ligne. Afin de ne rien perdre du paysage… ou bien cette phrase de William Van Horne « puisque nous ne pouvons exporter les paysages, nous allons importer les touristes », leitmotiv du Canadian Pacific, qui a entièrement façonné la région (les hôtels de Banff et Lake Louise ne sont que deux exemples parmi tant d’autres). Je prends beaucoup de photos de petits détails, histoire de garder le plus d’infos possibles. Tout cela présentera l’énorme avantage de ne pas conserver l’odeur de souffre omniprésente sur les lieux.

    Quelques faits récoltés sur les panneaux :

    le trafic dans les rocheuses :

    1900 : 0 voiture, 1 460 trains
    1930 : 40 000 voitures, 2 305 trains
    1960 : 390 000, 2305 trains
    1990 : 1 419 360 voitures, 1 050 trains

    Le Major A.B. Rogers, arpenteur-géomètre de la Canadian Pacific Railroad

    On confia au major Rogers la mission de trouver un col à travers les monts Selkirk, en lui promettant une prime de 5 000 $ et l’honneur de lui donner son nom. Il n’encaissera son chèque que plusieurs années plus tard, à la demande d’un comptable pointilleux qui tenait à équilibrer les livres.

    Lady Agnes Macdonald

    En 1886, pendant un voyage en train à travers le Canada, Lady Agnes, désireuse de « voir absolument tout » annonce qu’elle veut franchir les Rocheuses assise sur le chasse-bestiaux de la locomotive.

    Juchée sur une boîte en bois, ses longues jupes flottant au vent, Lady Agnes fit la promenade de sa vie. « Je n’ai pas songé au danger ni au siège instable sur lequel je me trouvais. Je contemplais simplement les glaciers… les ombres qui dansaient sur les cimes lointaines et la centaine d’arcs-en-ciel dessinés par la rivière tumultueuse… je ris aux éclats assise sur le chasse-bestiaux, absolument ravie par le spectacle ».

    J13- Hoodoos

    Je repars tranquillement, sous la neige. Quelques kilomètres plus loin, une petite marche de vingt minutes m’attends pour observer les Hoodoos. Je suis surpris : il me semblait que d’habitude les cheminées de fées avaient un caillou en guise de chapeau. Celles-ci, en tout cas, n’en ont pas. La zone offre également un magnifique panorama de la région, hélas rendu très triste par la météo .

    J13- Des élans, des lacs et des chèvres

    Retour dans la voiture. Un peu plus loin, un groupe de véhicules. Autour, plein de gens. Le motif : une quinzaine d’élans (et si c’était des wapitis ce que je crois être des élans ?).

    La route est belle, le paysage toujours aussi magnifique, mais le temps gris ne lui rend vraiment pas hommage. Quand à la température ( +3) elle ne me donne tout simplement pas envie d’aller marcher. Je ferais une tentative très vite avortée.

    Nouvel embouteillage. Sur un pont/barrage cette fois. Un troupeau de chèvres à longues cornes a décidé de traverser. Elles ont raisons : un pont reste le meilleur moyen pour franchir un cours d’eau. Je fais plein de photos. Changement d’objectif. Demi tour : plein de photos encore, mais en plan serré cette fois. Et encore un demi tour, cette fois pour reprendre ma route initiale. Nouvelle série de photos 200 mètres plus loin pour la deuxième moitié du troupeau.

    Je m’arrête au deuxième lac dont je ne sais plus le nom : on peut y faire une balade d’une heure environ. Je resterais 15 minutes à regarder la neige tomber par la fenêtre, en me demandant quoi faire, et comment continuer mon voyage. La balade ne me tente pas. Le paysage semble en valoir la peine, mais la météo ne m’encourage pas.

    J13- Johnson Canyon

    Finalement, c’est aujourd’hui que je prends ça relaxe. Direction Johnson Canyon, sur la route qui me conduira à Lake Louise.

    Cette fois, je fais l’effort de sortir, et même d’aller marcher. Je ferais plein de photos d’un canyon superbe, en sachant que faute d’un éclairage intéressant (communément appelé, dans le jargon de la météo “du soleil”) elles ne rendront probablement pas grand chose. Enfin… tant pis pour les photos : après tout, j’aime ce que je vois, et je sais quand même l’apprécier !

    Il cesse même de neiger, et je vois le soleil pendant 4 minutes (en période de 30 secondes cumulées). Je marche en prenant mon temps, regardant les autres marcheurs faire le trajet à toute allure, expédiant rapidement une photo dans les lieux qui semblent être intéressant à photographier. Ils sont assez facile à repérer : c’est là où il y a des explications sur des panneaux. Quelques photos où l’on prend des poses stupides aussi : il ne faut pas oublier que l’on doit se faire tager sur Facebook. Il y a quand même du monde, mais en prenant tout mon temps, j’arrive à n’avoir jamais personne sur mes photos. Et j’en profite pour apprendre un nouveau mot en anglais : Catwalk, qui veut dire « passerelle ». J’aime beaucoup ce mot et l’image qui va avec.

    (À noter, sur la troisième photo, un géomètre qui a décidé de sauver un arbre qui se trouvait là. La Bow River Way, qui permet de rejoindre Lake Louise sans prendre l’autoroute, est une belle petite route. Très passante, mais les véhicules qui l’empruntent sont du genre tranquilles – voir photo 4 et 5. Sur ces deux photos, vous pourrez également noter que la route est à sens unique : à plusieurs reprises, les deux voies se séparent pour emprunter des itinéraires différents. Caprice du relief, ou géomètres voulant rendre la route encore plus intime, je ne sais pas)

    J13- Lake Louise

    La balade finie, il est déjà 17h30 : les journées commencent un peu plus tard ces derniers temps. Il faut dire qu’elles finissent plus tard également : il fait encore presque grand jour à 21h30 (c’est ça d’être aussi proche d’un fuseau horaire). Je continue la route tranquillement vers Lake Louise. Je sais où est l’Auberge de Jeunesse, cette fois, c’est donc plus rapide. Et je suis très content d’apprendre qu’ils ont des chambres de libres.

    Puisque finalement, après réflexion, il n’est pas si tard que ça, je fais un saut au lac qui a donné son nom à la ville, et où se trouve un hôtel d’une laideur savamment étudiée. Je gagne un peu en altitude, et me retrouve une fois de plus plongé dans l’hiver : du blanc un peu partout, un lac gelé… les sommets autour sont à 3000 mètres et sont recouverts de glaciers. Ça me laisse un peu imaginer/entrevoir ce que pourrait être la route vers Jasper.

    Je pars marcher le long du lac. Cinq kilomètres très tranquilles. La balade me fait même un bien fou : la pureté de l’air, des montagnes dans toute leur grandeur… il y a pas mal de monde autour de l’hôtel, mais ça va mieux en s’éloignant. Par contre, l’hôtel a un système de ventilation qui s’entend horriblement loin, brisant la tranquillité des lieux. À deux reprises, ce sont de grosses explosions accompagnées de grondements de tonnerre qui viennent meubler le (presque) silence. La première avalanche fait un peu de fumée dans les roches. La deuxième semble beaucoup plus intenses, mais plus loin. Je n’en vois pas grand chose, si ce n’est un nuage qui reste très longtemps en suspension. J’adore ces craquements et ces grondements sourds. Preuve de l’immuabilité de l’activité terrestre. Je trouve cela reposant, rassurant, tranquillisant. La balade se termine sur une cascade de glaces. Le sentier continue, mais un panneau déconseille franchement de s’y engager : risques d’avalanches. Je le crois facilement et fais demi-tour.

    Je reviens rassénéré à la voiture. J’ai quand même un peu ce que je veux, et surtout des envies de beaucoup plus. Randonnées de haute montagne, glaciers, etc… Dernier petit détour par la gare historique de Lake Louise, une jolie bâtisse en bois rond. Tout cela me fait penser à Railroad Tycoon, un jeu de construction de réseaux de trains…

    J13- Fin de journée

    21h : j’ai un peu faim. Le petit déjeuner était il y a longtemps… c’est bête, mais ça me rassure : un gros souper et un gros petit déjeuner, j’avais peur d’avoir déjà perdu mes habitudes de manger léger.

    L’Auberge de Jeunesse est très sympa, et super belle. Je passe par la chambre pour mettre mes batteries d’appareil photo à recharger. Je croise mon colocataire de chambre, avec qui je discute un peu. Étonnamment, c’est la première fois que ça m’arrive. Il s’appelle Benjamin et vient de la forêt noire. J’imagine Brigitte lui posant des milliers de questions.

    Demain, s’il fait beau, je continue vers Jasper. La suite de la route est considérée comme faisant partie des dix plus belles routes du monde. J’aimerais la faire sous un ciel bleu… mais ils annoncent de la neige. S’il ne fait pas beau, je reste une journée de plus ici, espérant que ça fasse revenir le beau temps !

    J14- Si vous me cherchez…

    Je suis en haut : Lake Louise, ville la plus élevée du Canada. Prochaine étape : la route des glaciers, qui relie Lake Louise et Jasper. Considérée comme l une des dix plus belles routes du monde. Si il fait beau demain, je la fais demain… mais ils annoncent des orages… alors je remettrais peut être ça a après demain, en espérant avoir vraiment un beau ciel et une belle vue pour la route !

    J14- Du kilomètre 2807 au kilomètre 2819

    Rendu là, la carte c’est peut être plus par habitude que par nécessité. En tout cas, elle existe quand même en grand par ici.

    J14- Aujourd’hui, j’ai touché le ciel

    Aujourd’hui, j’ai touché le ciel. J’ai marché par delà les nuages, pour étreindre le monde entier. Des changements aussi violents et intenses de sentiments sont impressionnants. Et relativement épuisants. De la déception de ce matin devant une météo désastreuse au bonheur complet, absolu, total cet après-midi, au sommet du monde, sous un grand ciel bleu…

    Le paysage est sublime dans ce chaud soleil de début d’été. J’ai réussi à ressentir trois saisons en quelques heures à peine. D’abord le printemps, lors de la première ascension, menant au Lac Agnès, avec un soleil chaud mais discret faisant fondre la mince couche de neige tombée dans la nuit. Puis l’hiver, rendu au salon de thé du lac Agnès, le soleil caché par les nuages et la neige et avec la neige sur laquelle on marche, et dans laquelle on s’enfonce parfois à se retrouver assis par terre. Et enfin, l’été, en marchant un peu plus haut, en dépassant les nuages, en touchant le ciel.

    Il est 13 heures environ. Je suis assis sur un rocher, mon cahier sur les genoux. La vallée s’étend à mes pieds.

    J14- De Lake Louise à Lake Agnes et sa maison de thé

    J14- De Lake Agnes à Miror Lake

    J14- Les Texans

    J’ai pris une habitude que je trouve des plus agréables : voyageant seul, j’ai moins l’occasion de parler à d’autres personnes ; il faut croire que cet échange me manque. Je me mets à aller vers les autres, à discuter, à échanger plus qu’un simple “hello” quand on se croise sur un sentier de balade. Si ce comportement ne me ressemblait pas du tout il y a pas si longtemps que cela, il semblerait que je m’y suis fait rapidement. Je cherche désormais à relancer la conversation, à la faire durer.

    C’est ce qui s’est produit à la maison de thé du lac Agnès. Un couple de marcheurs dans la quarantaine est arrivé peu après nous. Je crois qu’ils m’ont demandé l’heure. Ou une information tout aussi vitale. Finalement, on a passé une quinzaine de minutes à discuter. Ils venaient du Texas, et ils étaient là pour une semaine. C’était leur première fois au Canada si on oublie une virée express aux Chutes Niagara. Ils avaient hésité entre l’Alaska et les Rocheuses, mais semblaient finalement content de leur choix.

    En fait, tout ce que je retiens d’eux, c’est la question du gars, à un moment : « Montréal, c’est où exactement ? ». Depuis, je n’arrive pas à me décider. Est-ce choquant, ou non, qu’un voisin ne sache pas placer Montréal sur une carte ? C’est quand même l’une des trois plus grandes villes du Canada… mais en même temps, est-ce si grave que ça ? Je n’en ai aucune idée !

    J14- Benjamin

    Comme je le disais hier, Benjamin vient de la Forêt Noire. On a discuté un peu la veille. On avait tout les deux l’intentions d’aller faire un tour de téléphérique, pour profiter du point de vue. Comme il n’avait pas de voiture, je lui ai proposé de l’emmener.

    Finalement, la météo a provoqué un changement de plan : téléphérique dans les nuages, pas très intéressant… j’avais le goût de marcher quand même. Je lui ai donc proposé de m’accompagner jusqu’au lac. Finalement, on aura fait toute la balade ensemble. Compagnon de marche des plus agréables, enthousiaste, souriant, de bonne humeur, sans être un moulin à paroles non plus. Le genre de personne que l’on aime rencontrer en voyage !

    J14- La convergence

    C’est fou comment parfois, plein de choses peuvent sembler vouloir converger vers une seule. Du moins si on décide de le prendre de cette façon. Ainsi, mes différents déboirs, changement d’itinéraire et mauvaise météo pourraient être considérés comme les éléments m’ayant amené à aujourd’hui.

    Réveil sous un mélange de pluie et neige. L’information touristique le confirme : ce n’est pas la meilleure journée pour aller a Jasper. Il y a pas mal de neige sur la route (après tout, elle monte a 2000m). Et puis la visibilité et mauvaise. Je me décide donc, déprimé, de passer la journée ici. La dame très sympathique de l’accueil me suggère une balade qui peut se faire. Je l’avais vue la veille, mais la pensait fermée par la neige, comme toutes les autres. De la neige, il y en avait, mais ça passait…

    Je me suis rendu a 2150m d altitude. 5h de marche, 500 m de dénivelé, des montagnes plein les yeux. Wah ! Heureux :)

    J14- Le miel, la résine et les klaxonnes

    Je tourne en rond, en me demandant quoi faire. C’est bizarre. J’attends la route de demain avec impatience. Trop d’attentes vis à vis de la route des glaciers ? Peut être. Je ne sais pas. Je compte les jours qu’il me reste, ce que je dois encore faire… évidemment, ça ne rentre pas. Le temps se comprime soudainement. Mercredi à Jasper, Jeudi à Mt Robson, vendredi à Kamloops et samedi à Vancouver ? Oui, mais j’aimerais avoir une journée de plus. Je prévoie une journée complète à Mont Robson, et j’aimerais avoir au moins autant pour Jasper. Enfin… on verra comment j’arriverais à comprimer tout ça. Un beau travail d’optimisation comme je les aime ! Suffit d’arrêter de dormir j’imagine…

    J’ai passé une super belle journée alors qu’elle s’annonçait catastrophique. La balade à Lake Agnès et au belvédère était de toute beauté, et je ne suis absolument pas fatigué. Huit kilomètres, peut être neuf, cinq cent mètres de dénivelés, cinq heures de marche dans la neige, retour en pleine forme, je suis quand même fier ! J’en aurais presque le goût de retourner faire une petite marche de fin de journée.

    Je n’en ai pas parlé encore. J’oublie à chaque fois. Mais j’aime l’odeur de miel et de résine que dégage les sous-bois quand le soleil se montre. C’est tellement frais et agréable ! Et puis… aussi, j’ai appris que Wolverine, c’est le Carcajou. Il me semble que ça correspond plutôt bien.

    Je vais essayer de me coucher tôt ce soir, pour un réveil encore plus tôt. La journée de demain sera très longue j’espère !

    J’emmène dans mes pensées et dans mes rêves les sirènes de train qui résonnent au fond de la vallée. Un premier klaxonne, puis d’écho en écho, de falaise en falaise, de rebond en rebond, c’est l’air tout entier qui est empli de ce son si symbolique en ces lieux.

    J15- Du kilomètre 2819 au kilomètre 3099

    Voir le plan en grand.

    J15- Un défi de taille

    Je me suis levé tôt, comme prévu, prêt à attaquer la route. Je me donne 5 heures pour faire les 250 kilomètres. La météo semble être au rendez-vous. Tant mieux, parce que j’ai décidé que mes attentes seraient très élevées. J’ai fait la péninsule de Dingle, j’ai connu des routes magnifiques dans le Beaufortin, une gorge de toute beauté dans la région des cathares, la route du Charlevoix, celle du Saguenay, la 199 qui traverse les Îles de la Madeleine… je trouve des plus agréable de me remémorer toutes ces « scenic drives ». Je pourrais également rajouter, beaucoup plus récemment, la « Sea to Sky Highway ». Bref, on verra ce que cela va donner.

    Hier soir, longue discussion philosophique de plus d’une heure avec mon nouveau collègue de chambre, qui se réclame communiste, et est persuadé que la technologie va sauver l’humanité, que la voiture électrique révolutionnera tout, et que la Chine deviendra le modèle à suivre. Assez étrange, mais très sympa : la discussion est entraînante. Une fois de plus, je suis vraiment content du niveau de mon anglais, qui me permet de m’expliquer sans problème. Il est toujours agréable de refaire le monde, quelle que soit la langue !

    J15- La route, première moitié

    Je suis arrivé à Jasper à 17h30. Huit heures après être parti, pour cinq estimées. Mais j’ai quand même fait deux balades d’une bonne heure chacune et surtout je me suis arrêté tous les 5 kilomètres pour prendre des milliers de photos (bon, d’accord, plusieurs centaines). Me voilà désormais spécialiste de la photo et du changement d’objectif en route. Je serais encore quelque part à mi-chemin entre Lake Louise et Jasper si je m’étais arrêté à chaque fois…

    La route n’a absolument rien à voir avec le Beaufortin, les falaises irlandaises, les dunes madelinotes ou les côtes du Charlevoix. Je ne peux pas comparer, dire qu’elle est plus ou moins belle. Ce n’est pas possible. Mais il est vrai que cette route magnifique s’étire sur plus de deux cents kilomètres, et que j’ai fait pas loin de 450 photos. Non seulement le spectacle est grandiose, mais en plus il ne s’arrête jamais.

    Pour faire ça simplement, les Rocheuses sont des successions de murs de 2500 à 3000 mètres d’altitude, orientés Nord-Sud. La route des glaciers avance entre deux de ces murs, et se sont donc montagnes, après montagnes, après montagnes.On monte régulièrement, avec deux passages de cols grandioses à 2000 mètres. Il y a un côté complètement onirique dans le fait d’être en voiture en très haute montagne. On a juste à sortir de la route pour que du matériel d’alpinisme devienne absolument nécessaire. Une fois de plus, tout cela fait rêver.

    J15- Le centre du champ de glace

    Et puis il y a le champ de glace Columbia et le glacier Athabasca. En 1920, il avançait jusqu’à l’endroit où passe la route. Depuis, il a reculé d’un kilomètre, mais il est encore là, gigantesque, entre deux montagnes. Sur le bord de la route, le « centre du champ de glace » : comprendre un ensemble de magasins à touristes, deux restaurants hors de prix, et une petite exposition… et surtout, le point de départ de la route des glaces : pour quelques dizaines de dollars, on vous invite à bord d’un autobus d’un demi-millions de dollars. Avec ses six énormes roues, il vous emmène sans le moindre problème sur le glacier. Il ouvrira même ses portes quelques minutes, pour que vous puissiez marcher sur la glace. Vous voilà devenu le roi de la montagne. L’idée de marcher sur un glacier me plaît énormément. Encordé. Avec un piolet, des crampons, et tout le reste.

    Je ne comprends tout simplement pas, alors que partout des panneaux sont là pour sensibiliser le monde sur le réchauffement climatique, comment on peut faire faire des allers-retours sur la glace à ces mastodontes. Départ aux demi-heures. Oh, bien sûr, ils ont sûrement le droit à un petit film leur disant de faire des efforts. J’imagine que son contenu est oublié à peine la porte du pick-up ou du 4×4 refermée.

    J’ai réussi à réduire à ma consommation moyenne à 6,8 litres au cent. Je me sens ridicule, quand je me fais doubler dans des côtes, par des engins qui pourraient charger ma voiture sur leur plateau arrière. Ou bien quand je vois ces campings-car de la taille d’un bus. Tant pis, je persévère quand même. C’est toujours ça de fait.

    Ça me rappelle ma discussion de la veille au soir, avec Adam, où je lui expliquais que dans un premier temps, sans parler de privation, de la simple responsabilisation et de la logique suffirait à réduire la consommation humaine à une échelle beaucoup plus convenable.

    Je m’arrête quand même, vu que le panorama est magnifique. Et puis il est possible d’aller au pied du glacer à pied. Alors j’en profite quand même.

    J15- La deuxième moitié

    Le champ de glace Columbia a également cela d’important qu’il est sur la ligne de partage des eaux (que l’on traverse également à Lake Louise). Les eaux de fonte du glacier se retrouvent donc dans le Pacifique, l’Atlantique et l’Arctique. Quand même !

    Après le champ de glace, le paysage change un peu : on s’éloigne un peu des montagnes, et la vallée s’élargit. Je continue de faire des photos sans arrêt.

    J15- La route des glaciers panoramiques

    J15- Sunwapta Falls

    Sur la route, on trouve également deux cascades assez jolies : d’abord les chutes Sunwapta, qui ont creusé un canyon assez impressionnant, et qui comptent une chute haute et une chute basse. Évidemment, tout le monde se concentre sur la chute haute, à deux minutes à pied du parking. La chute basse, qui est -je trouve- toute aussi belle, demande une marche d’une trentaine de minutes pour se rendre. Alors qu’il me faut attendre patiemment pour faire des photos de la chute haute, je ne croiserais absolument personne pendant toute la promenade vers la chute basse, promenade qui mérite à elle seule de faire un petit effort pour les magnifiques points de vue qu’elle offre.

    J15- Athabasca Falls

    Un peu plus loin, ce sont les chutes Athabasca. Leur intérêt réside dans le fait que le premier canyon qu’elles ont creusé est désormais délaissé. On descend donc dans le canyon pour aller admirer le bas des chutes. Dans les deux cas (Athabasca et Sunwapta) même si les chutes sont plutôt belle, je trouve que c’est surtout le décor autour qui font vraiment leur beauté.

    J15- Le lac Pyramide

    Je ferais les trente derniers kilomètres sans prendre de photos : je commence à être tanné ! L’étape a été beaucoup plus longue que prévue. Arrivé à Jasper, je m’offre une petite balade au centre ville, avant d’aller réserver un lit à l’Auberge de Jeunesse. Il est encore tôt, et j’en profite pour aller faire un tour au lac Pyramide, pas très loin de la ville. Petite promenade vespérale reposante sur une petite île au milieu du lac, avant de retourner marcher dans les rues du centre ville (un élan sur le bord de la route, ainsi qu’un chevreuil, viennent s’ajouter à la liste des animaux du jour, de même que trois chèvres qui traversaient la route plus tôt dans la journée).

    J15- Le train de Jasper.

    Je vagabonde nostalgique, dans les rues de Jasper, rêvassant à chaque panneau « Hiring » et « Help wanted »… cette fois, c’est l’inverse qui se produit : joie et bonne humeur de bon matin, et coup de blues le soir. Il faut dire que je commence à compter les jours, que je vois tout cela se précipiter, et que ça me déprime. Il faut dire également qu’en me promenant dans les rues de Jasper, j’ai vu un train de Via Rail sur le départ. Avec l’annonce au micro « le train à destination de Toronto va partir » ; juste après, c’est le Rocky Mountainer qui est arrivé : le modèle touristique, qui va à Vancouver. De quoi rêver. De quoi faire des projets. Beaucoup trop de projets. J’aime beaucoup Jasper. En fait, j’avais prévu de beaucoup aimer, sans trop savoir pourquoi. Ville touristique également, mais beaucoup plus tranquille que Banff : ce n’est plus la destination à la mode à quelques heures de Calgary. La ville a plus un côté touristes-aventuriers. Les rues sont tranquilles, et j’ai eut plaisir à me promener. Ici, les souvenirs semblent moins quétaines, plus « historique ». Évidemment, je biaise : préjugés obligent.

    J15- L’Auberge de Jeunesse de Jasper

    J’hallucine complètement : l’Auberge de Jeunesse où je suis présentement ressemble à un repère de jeunes adolescentes. J’imagine que c’est un groupe en voyage : elles ont presque toutes le même âge, et courent dans tous les sens. Avec d’abord du Elvis, puis du Johny Clash en musique de fond, l’ambiance est des plus particulières ! L’Auberge de Jeunesse elle même ressemble à un grand chalet, aménagé à la va-vite : un immense dortoir mixe au sous-sol, ainsi qu’un dortoir plus petit, juste pour les filles, à l’étage. Un peu miteux, donc, perdu au milieu de nul part, sur la route du téléphérique (où j’irais sans doute faire un tour demain).

    Il est rendu 21h30, et il fait encore grand jour dehors.

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