Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionFebruary 12th, 2022
  • Routine du matin. Chamion plié rangé. Gros nuage de fumée noir. Vroum vroum. Retour en arrière de six kilomètres. Et on tourne à gauche, direction Sancho Abarca.

    J’ai pas été très sympa avec le Chamion ces derniers jours. Je l’ai pas fait rouler dans les conditions les plus agréables ni les plus confortables. Mais normalement, ce sont les derniers 19 kilomètres de chemin de terre avant un moment. Pour autant, nous les attaquons tous les deux avec enthousiasme, curieux de savoir dans quoi nous nous lançons.

    Le Chamion est fiable. Il ne m’a jamais fait défaut jusqu’à présent, et il n’y a pas de raisons que ça commence aujourd’hui. Il n’empêche que sur ce genre de chemin, c’est toujours un peu plus stressant. Je préfère éviter d’imaginer comment une dépanneuse pourrait bien venir me chercher…

    Clairement, lors de mes toutes premières réflexions de construction de maison, je ne me serai pas imaginé sur ce genre de route. Et je ne pense pas que j’aurai osé m’y aventurer avec la première maison (et ses 20 cm de plus en largeur, ça joue beaucoup…). Pourtant, avec le temps, je me suis habitué au camion, à sa conduite, et surtout à ses possibilités. Et j’ai confiance en lui. Je commence à m’inquiéter un peu quand je vois que le chemin, par moment, est un peu humide. Un peu terreux. On va éviter de s’embourber dans ce genre d’endroit… j’ai franchi un premier plateau, grimpant sans problème. Mais quand je vois la deuxième montée se profiler à l’horizon, je commence à me poser quelques questions…

    Mais y’a pas de raison, n’est-ce pas ? Ça va le faire ? J’attaque quand même l’ascension un brin nerveux. J’ai déjà fait du plus raide. Mais sur goudron… là, le sol est clairement humide par moment. La terre, c’est un genre de glaise. Une magnifique patinoire caoutchouteuse. Je transpire un peu pendant l’ascension. Pas juste à cause du soleil et de la chaleur. À vrai dire, on monte principalement à l’ombre. Ce qui explique l’humidité du sol.

    Heureusement, le chemin est large. Je peux parfois m’éloigner un peu du côté ombragé, pour rouler au soleil. C’est plus sec. Quand c’est sec, le Chamion adhère sans problème. Quand c’est humide… j’étais persuadé qu’avec une propulsion sur roues jumelées (donc 4 roues motrices) et bien chargé, le Chamion serait difficile à embourber. Pourtant, ça lui est arrivé à deux reprises (dans de l’herbe, sur un sol saturé d’eau, il est vrai). Le Chamion continue a bien accroché au sol, mais à quelques reprises, je le sens qui patine un peu. Ça se sent dans son comportement. Dans le ronronnement du moteur ; clairement, y a des tours de roues qui se font dans le vide. Pour autant, posé en seconde, à 15 kilomètres/heure, je monte. Et je continue de monter. C’est quand même un soulagement quand j’arrive en haut. Je me gare sur le bord, laisse le moteur se reposer un peu, et je vais faire trois pas. Pour photographier le paysage. Et la route que je viens de prendre.

    Je roule calmement. Sereinement. Et heureux. C’est une question que je me pose régulièrement. Ne devrais-je pas changer de porteur ? Il est vieux. Un peu capricieux. Il aurait besoin d’un bon coup d’entretien à la fin de ce voyage. Les axes de direction avant auraient besoin d’être démontés, nettoyés, et remontés. Et il y a deux trois autres trucs encore… c’est un gros boulot. Et ce n’est pas facile de trouver une personne avec les compétences, le temps, et la motivation pour s’en occuper… mais pour autant… je me rends bien compte que je n’ai pas envie de changer de camion. Je ne suis pas attaché qu’à la maison. Je suis aussi attaché à la mécanique, à la forme, à la silhouette… J’ai envie de continuer à le faire rouler pendant un moment. J’ai confiance en lui, en sa stabilité, en son moteur et en ses freins… il faut juste que j’apprenne à en prendre grand soin !

    La route (le chemin de terre caillouteux devrais-je dire) sur ce deuxième plateau est plate ; confortable. Agréable à rouler. J’arrive à « la pointe » et son point de vue, sur en bas…

    (8e photo, 1496.jpg, très floue au milieu à gauche, juste au dessus de la colline, on distingue le petit village où j’ai passé la nuit)

    Je continue d’avancer. Je pense que l’ermitage ne devrait plus tarder à apparaître. Il ne me reste que quelques kilomètres… mais je sais aussi qu’il devrait y avoir une dernière grimpette pour y accéder. Ça paraît sur les cartes, quand les routes se mettent à faire des zig-zags dans tous les sens. Mais aussi sur ce que j’ai vu avant hier. L’ermitage est bien au sommet de sa petite bosse à lui. Et justement, la voilà la petite bosse. Je m’en approche petit à petit. Et soudain, pouf, c’est magique ! Du goudron. Une dernière côte (en seconde, quand même) et me voilà en haut.

    C’est le début de l’après-midi, le soleil est agréable, je fais un tour des lieux. Et surtout des points de vue…

    Sur la deuxième photo, la route par laquelle je repartirai un peu plus tard. Sur la quatrième photo, au milieu un peu à droite, le sommet que j’ai grimpé… il y a juste deux jours ? Sur la sixième photo, une magnifique ligne de crête, qui me parle vraiment beaucoup, surtout avec sa jolie bosse de fin… sur la neuvième photo, le plateau par lequel je suis arrivé (Caidas de La Negra), en passant devant les éoliennes…

    Je reviens un peu en arrière. Vers la table d’orientation. Parce que quand même, y a un truc qui me parle bien… je vérifie un nom. Regarde deux trois trucs sur mon téléphone. Je vais faire un tour au bar ; ils me confirment que je peux laisser le Chamion ici pour la nuit et y dormir sans problème. Bien. Parfait. Nouveau programme donc.

    Cette magnifique bosse, juste en face, s’appelle Cabezo del Aguilar (oui, la Tête d’Aigle) ; ils ont beaucoup de Cabezo dans le coin. C’est à 4.5 km d’ici à pied. Ça le fait, non ?

    Ça, c’est une photo que j’ai faite avant hier. On voit très bien ce que je vais faire. Un magnifique U, qui suit tranquillement le haut de la crête là haut, de l’ermitage, jusqu’à la tête d’aigle, et retour.

    C’est parti ? Et si, tiens, pour une fois, j’emmenais une bouteille d’eau avec moi ?

    La première partie de la balade est tranquille, et facile à suivre. Je m’offre même un petit détour, pour aller profiter d’un panorama.

    J’aime bien l’idée de pouvoir si facilement visualiser ma balade…

    Et je repars, marchant sous les éoliennes. Ah… les éoliennes… je pense que la plupart d’entre vous avez fini par les remarquer. Des éoliennes, j’en ai très régulièrement sur mes photos. Elles sont un peu partout. Clairement, ça ne manque pas dans le coin. Le vent non plus. Coïncidence ? Je ne pense pas !

    Au risque de traumatiser des gens, ça ne me choque pas. Clairement, j’ai eu l’occasion d’y réfléchir à de nombreuses reprises ; j’en vois tous les jours, elles apparaissent sur mes photos ; elles sont partout… est-ce que ça me dérange ? Eh bien non. Absolument pas. Bien sûr, je préférerai un paysage sans éolienne. Mais je le préférerai aussi sans route, sans pont, sans maison, sans voiture. Je les aime bien ces géantes qui font des grands gestes avec leur bras. Des grands gestes si calmes et si reposants. Parce que oui, une éolienne, ça ne tourne pas vite. Vous pouvez avoir un vent à décorner les boeufs, vous retenir comme vous pouvez pour pas vous envoler, elles, elles sont là en mode « oh, tiens, ça souffle un peu plus aujourd’hui ». Et ça s’arrête là. Se poser, et regarder une éolienne qui tourne, c’est juste tellement relaxant… éloge de la lenteur ; à prendre ça avec douceur… sans se presser ; sans se stresser. Alors oui, évidemment, je comprends que l’on puisse ne pas aimer. Je comprends que l’on ai pas envie d’avoir une éolienne dans son jardin (j’ai encore moins envie d’avoir une usine à méthane ou une centrale nucléaire dans mon jardin perso…). Mais moi, je les aime ces éoliennes. Et oui, elles font du bruit. C’est la première fois, il me semble, que je me promène entre des éoliennes. Et bien sûr, là encore, je n’aimerai pas avoir ce bruit en permanence… pour autant il ne porte pas si loin que ça ; il n’est pas désagréable quand on ne fait que passer. Je me doute qu’à la longue ça doit être pénible. Mais si je devais comparer… par exemple, au hasard, à des avions de chasses qui survolent la zone toutes les quinze minutes… le choix est vite fait.

    Voilà…. comme les éoliennes font partie de mon paysage depuis un moment maintenant, ça fait un moment que je veux en parler. L’idée n’est pas de faire un discours pro éolien. Ce n’est pas un sujet que je connais assez bien, donc je ne me prononcerai pas. Tout ce que je peux dire, c’est que ça n’est pas adapté à mes projets personnels de mobilité. Ou alors faudra faire des ponts un peu plus haut à l’avenir.

    Et moi, je continue de marcher tranquillement, et d’avancer.

    Jusqu’au moment où ce qui devait arriver, arriva : me voilà sur la pointe rocheuse. La première bosse, que je dois descendre, pour pouvoir remonter en face. Je me demandais comment ça serait, mais en fait, ça reste très praticable et je peux descendre sans problème.

    Et je peux ensuite remonter de l’autre côté. Et m’émerveiller, m’extasier, une fois de plus. Parce que c’est beau ; parce que ça m’inspire. Que ça me parle. Et que je suis bien !

    Et une fois encore, parce que ça me permet de faire le lien. De faire disparaître des petits bouts de terra incognita. De relier ma balade d’avant hier avec l’endroit où je dormirai ce soir…

    Et parce que ça me permet une fois de plus de faire un panoramique magnifique.

    J’attaque la redescente et le chemin retour. Un itinéraire légèrement différent, qui commence par un chemin confortable, un peu en contrebas. Redescendre un peu plus, pour remonter un peu plus, mais sur du chemin simple et agréable, ça me va. Le retour est un peu long, j’ai un peu mal aux jambes… 10 kilomètres, après les 20 de la veille, c’est quand même une belle performance.

    Et je profite encore un peu du paysage, pendant que le soleil, lui, va se reposer…

    Je suis heureux d’être de retour au Chamion. Je m’installe tranquillement, pour un repos bien mérité. Que ça fait du bien de s’installer dans le canapé ! Et qu’il est dur d’en sortir pour me faire à manger un peu plus tard !

    Le lendemain, le Chamion redémarre sans problème. Il fait un grand soleil… ici. Je vois bien que plus bas, c’est la brume qui m’attend. C’est pas grave, je sais que ça finira par se lever. La descente est raide. Mais j’aime mon Chamion ; j’aime son moteur. Et ce genre de route, ça fait longtemps qu’il n’en a plus peur ! C’est de la conduite sans les pieds !

    J’ai quand même un petit serrement au cœur… en quittant Sancho Abarca, je tourne surtout le dos aux Bardenas… fini ce magnifique désert. Finis ces paysages à couper le souffle. Je sais qu’ils seront remplacés par d’autre… mais clairement, il y a quelque chose de spécial ici, et je ne serai pas surpris d’y revenir.

    Oui, d’autres paysages m’attendent. Je remonte un peu vers le nord, pour suivre les routes avec liserés verts. Ces routes qui doivent m’amener jusqu’à Huesca dans les prochains jours. Huesca… c’est mon objectif, à un moment. Depuis que j’ai passé la frontière en fait. J’ai tracé un itinéraire pour me rendre jusque là-bas. Parce que par là-bas, il y a aussi quelques formations géologiques assez uniques à aller voir. Qu’en est-il de l’après Huesca ? La question mérite d’être posée. Je me la pose depuis un moment maintenant, alors que je sens que je finirai bien par y arriver. Jusqu’à présent, j’ai été incapable de me décider pour « la suite ». Pour ceux qui n’ont pas compris, la Terra Alta me manque. Et je n’en serai plus si loin… je pourrai même envisager de redescendre jusqu’à Valencia et… oui mais voilà. J’ai d’autres projets en tête. Quelque chose qui est en train de se matérialiser petit à petit… peut-être même plusieurs choses…

    Avec mon mode de vie actuelle et ma vitesse, je pense que je pourrais voyager sans problème pendant encore au moins un an, entre mes économies et les petits projets qui arrivent une fois de temps en temps, à droite, à gauche. Et ça a quand même quelque chose de tentant. C’est un peu l’idée depuis le début… prendre la route, et ne plus vraiment m’arrêter… mais quand une amie arrive avec un projet difficile à refuser, et que moi-même j’ai un projet qui prend la poussière depuis un peu trop longtemps et que je compte bien dépoussiérer…

    Huesca devrait donc marquer le début de mon voyage retour. Voyage qui se fera en prenant tout mon temps, parce que je ne serai pas forcément très pressé. Mais retour quand même. Depuis quelques temps maintenant, je regarde à nouveau les cartes françaises en parallèle aux cartes espagnoles. Et je me pose de grandes questions existentielles.

    Est-ce que je remonte par Tarbes, Agen, la vallée du Lot, Cahors puis le Massif Central ? Ou est-ce que je me fais encore un peu de montagne, que je rejoins Font Romeu, que je fais un peu de Pyrénées orientales / catalanes (et les sources chaudes qui trainent dans le coin), un peu de chevaliers cathares, et que je finis en improvisant par le sud des Cévennes et la vallée du Rhône ? Toi, lecteur, tu en penses quoi ? Tu as envie de m’accompagner sur quelle route ? Mille kilomètres, trois plein d’essence, faut bien les planifier, non ?

    3 commentaires

    1. Commentaire de Patrice GEORGES

      Les Pyrénées à cette époque, avec la neige?… Et puis la vallée du Lot c’est tellement beau! Le Massif Central aussi c’est magnifique et si tu aimes les sources chaudes, il y a Chaudes Aigues à aller voir et sa source qui sort à 82°!

    2. Commentaire de Kaly

      Oui, j’avais remarqué les éoliennes. J’ai sans doute commencé à les remarquer quand moi aussi j’en ai vu des quantités dans le paysage, c’était au Portugal. Cette année-là, ce pays avait passé une journée (au moins) en totale autonomie énergétique grâce aux diverses productions, où le vent tenait sans doute la première place, et ça c’était bien.
      En Italie, plus récemment, on a constaté ce qui semble être l’influence de la Mafia : des installations innombrables et pas de suivi. Certaines fonctionnent, d’autres pas. Les routes pour les installer ont été dévastées par des camions à côté desquels le tien fait figure de jouet.
      Alors les éoliennes, pourquoi pas, dans le cadre d’un projet écologique, en parallèle avec plus de sobriété et moins d’aberrations, moins de gaspillages énergétiques.
      Ça fait partie d’un ensemble…

    3. Commentaire de Kaly

      Comment choisir ton itinéraire ? Entre les parcs naturels régionaux des Pyrénées, puis du Haut Languedoc, puis des Grands Causses, puis des Cévennes et enfin des Monts d’Ardèche, ou, plus par le nord, Aubrac, Livradois-Forez… Est-ce que tu pourrais t’inventer un itinéraire uniquement de routes où tu n’es pas encore passé une seule fois (avec le droit de couper tes autres passages pour ne pas trop compliquer ?
      ;-)

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