Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionFebruary 18th, 2022
  • C’était vers la fin du mois d’août. En 2009. Clairement, si je devais faire un top 10 de mes meilleures années, je n’aurais pas à réfléchir longtemps pour ne pas y mettre 2009.

    Je rentrais dans mon appartement, rue Workman. Cette rue rendue célèbre par Gabrielle Roy, dans Bonheur d’occasion (récit d’auto-fiction où son personnage principal va parfois rue Workman pour voir des gens encore plus pauvres qu’elle, pour se remonter le moral en se disant que ça pourrait être pire). Au moment de tourner la clé et d’appuyer sur la poignée, j’ai eu une sensation bizarre. Ça n’était pas comme d’habitude. Est-ce que j’avais oublier de fermer en partant ? Cela ne me ressemblait pas trop… l’explication ne se fit pas attendre. Un appartement sans dessus-dessous, des tiroirs vidés, quelques livres sur le sol. Comme dans les films. Et plus d’ordinateur. À l’époque, j’étais plutôt bien équipé, aussi bien en terme d’ordinateur que de matériel photo. Mes visiteurs ont dû apprécier le passage…

    Au final, je n’ai pas perdu grand chose ; quelques milliers de photos (parce que oui, dans ce cas là, les gens partent aussi avec les disques dur de sauvegarde…) qui ont fait que je n’ai jamais raconté mon voyage en Irlande. Mais c’est à peu prêt tout. La majorité de mes sauvegardes étaient aussi sur CD. Mon assurance a bien fonctionné. Je suis reparti à neuf. C’était en 2009 ; depuis, j’ai ressuscité mon ordinateur à quelques reprises, en changeant une pièce, de temps à autre. Et il continue de m’accompagner. Il a fait la poussière de Burning Man, l’humidité de la jungle, quelques chutes divers… mais il est toujours là, à mes côtés. C’est toujours avec lui que je blogue, que je raconte mes voyages et mes aventures, que j’écris mes livres… 13 ans plus tard. J’ai un autre compagnon, qui date de ce même « grand remplacement » (bien sûr qu’il fallait l’oser !). Mon appareil photo. Qui a sans doute encore plus souffert que l’ordinateur, vu que je le sors pour les tempêtes de neige, les tempêtes de sable, les tempêtes de pluie… bref, les éléments, il les a affrontés bravement. En ces temps d’obsolescence programmée, je trouve que mes deux compagnons méritent largement que je leur consacre un peu de place dans mon blog.

    Depuis quelques temps, mon appareil photo avait de plus en plus de mal à s’allumer. Faux contact au niveau de la molette d’allumage. Il fallait que je continue d’appuyer dessus, que je pousse dans un sens tout en faisant la photo en même temps. Ça n’était pas toujours très simple. Il fallait que je lui tienne la main, pour pouvoir transférer les photos de mon appareil photo sur mon ordi (oui, le lecteur carte SD de l’ordinateur a rendu l’âme il y a bien longtemps lui aussi). Et puis finalement, il a décidé qu’il ne s’allumerait plus. Parfois, en insistant un peu, j’arrive encore à voir sa petite lumière rouge. Parfois même suffisamment longtemps pour faire une mise au point. Et en trois jours, j’ai réussi à faire une photo. Je n’ai aucune idée de combien de centaines de milliers de photos j’ai fait avec. Oui oui, je parle bien de centaines de milliers. Treize ans de voyages… de photos panoramiques et des Time-Lapse de plusieurs minutes (à raison de 24 photos par seconde…) il en a fait… bref, je savais que ce jour allait arriver. Et il est arrivé. Il ne s’allume plus. Pour autant, je reste persuadé que ça n’est qu’un faux contact, et que peut être que j’arriverai à le ressusciter. Mais là tout de suite, je n’ai pas vraiment la foi pour m’en occuper. Je le réparerai plus tard. Je verrai ce que je pourrai faire pour lui. Je ne compte pas l’abandonner.

    Voyager sans faire de photos, j’ai rencontré plein de gens qui y arrivent. Mais pour moi, c’est juste impensable. Quiconque a lu plus de deux articles sur mon blog se rend bien compte que les photos sont pour moi aussi importantes que les mots. Montrer, autant que dire. Je n’ai pas acheté mon téléphone pour pouvoir faire des photos avec ; c’est une catastrophe. J’ai essayé, par curiosité, de me promener dans Huesca pendant deux jours (les deux premières galeries), en l’utilisant lui comme support photo. Mais non, clairement, ça ne me convient pas.

    Je disais il y a peu que j’ai l’impression d’avoir de la chance dans mes choix. De toujours prendre les bonnes décisions. De Huesca, je ne connaissais rien. Pourtant, j’y ai trouvé tout ce dont j’avais besoin. J’étais à Biel, d’humeur « blrlflrlmwoufflflf » ; ils annonçaient de la pluie, plusieurs jours de nuages… et moi j’étais dans un endroit où je voulais m’éclater les yeux, m’émerveiller devant des paysages… merveilleux. Du coup, ça ne marchait pas tout à fait. J’avais prévu plusieurs étapes entre Biel et Huesca (62 kilomètres, ça ne se fait pas en une fois !). Mais j’ai changé mes plans. Et j’ai roulé jusqu’à Huesca. Pas d’une traite. Je me suis arrêté souvent, pour essaye de photographier (mon appareil voulait encore) les paysages qui m’attendaient. Gris. Morne. Sans intérêt. Flou. Brumeux. Pas de détail. Pas grave, je reviendrai quand il fera beau !

    Je suis arrivé à Huesca. Je me suis garé. J’avais déjà l’impression d’avoir pris la bonne décision, juste en traversant la ville. Quelques jours après, je peux confirmer que c’est exactement ce dont j’avais besoin. Une ville, avec des gens. Un centre-ville un peu récent. Avec des boutiques. De la vie. Pas mal de cafés, de bars. J’ai pas forcément envie de faire le tour des cafés et des bars. J’ai juste envie que ce soit possible de le faire. Huesca me parle beaucoup. Avant même d’y arriver, la ville me parlait… je ne peux m’empêcher de la comparer à Rochefort, alors que les deux villes n’ont rien à voir. Leur seul point commun semble d’être des villes de taille plutôt moyenne. Cinquante mille habitants pour la première, trente mille pour la deuxième. Il ne me parait pas complètement impossible que j’ai besoin de villes moyennes en ce moment. Ça serait un lien assez logique avec mon besoin de calme, de pas trop de sur stimulation. J’ai besoin de m’émerveiller devant des paysages grandioses, mais pas de me laisser emporter dans la folie urbaine. J’ai juste envie que ce soit vivant autour de moi.

    Par curiosité, j’ai regardé sur Wallapop (c’est comme le bon coin, mais ça existe en Espagne). Si je pouvais trouver un Canon 550D. Pourquoi je voulais remplacer mon appareil photo par exactement le même ? Parce que -outre le fait que je l’aime énormément et qu’il me convient très bien, on n’est pas toujours obligé de changer pour mieux, on peut aussi changer pour pareil, simplicité volontaire, tout ça tout ça- j’ai toute une collection de batteries pour cet appareil photo, et aussi une extension de poignée. Qui, forcément, n’est compatible qu’avec ce modèle. Je voulais pouvoir tout continuer d’utiliser. Sans me compliquer la vie. Sans tout racheter. Sans tout jeter.

    Javier avait un appareil photo à vendre. Javier, il habite Sabiñanigo, à 50 bornes de Huesca. Où il vient souvent. Premier message envoyé le mardi matin, appareil photo acheté le mercredi midi. Simple. Efficace. J’hérite d’objectifs qui ne me serviront pas, mais qui permettront d’accompagner mon ancien appareil quand il aura repris vie. J’hérite aussi d’un sac à dos photo. ça faisait longtemps que je n’en utilisais plus. Je vais m’y remettre un peu, pour voir. C’est étrange d’avoir un nouveau sac à dos. Rigide. Pourquoi pas !

    Je fais durer la pause à Huesca. Parce que j’y suis bien. Que je m’y sens bien. Et que je n’ai aucune raison de me presser. Aussi parce que (comme mentionné précédemment) j’ai un petit boulot de mise en page / relecture à réaliser. On m’oblige à travailler sous Word (j’ai un peu l’impression de vendre mon âme) mais je m’en sors, même si je ne peux pas mettre des espaces fines.

    Ne pas bouger me permet de me concentrer beaucoup plus sur le projet, c’est pas plus mal. J’alterne donc séance de relectures et balade en ville. Il parait que c’est important, parfois, de s’aérer le cerveau.

    Un matin, alors que j’étais sagement dans la première phase de ma routine matinale (attendre que le Chamion ai suffisamment chauffé pour me sortir de sous la couverture) j’ai senti le balancement unique qui correspond à quelqu’un qui monte la première marche de l’échelle. Si si, je vous assure, on finit par le reconnaître, et par s’y habituer. Puis ça a fait toc toc. J’ai jeté un oeil discret par le rideau. Une madame. J’ai demandé dans mon espagnol le plus parfait « ¿ que pasa ? » (sans mettre de point d’interrogation à l’envers en début de phrase car j’ai du mal à le faire à l’oral). Sans succès. J’ai donc insisté. Avant d’avoir comme réponse « j’aimerai vous acheter un livre ». Je me suis rendu présentable, et j’ai ouvert la porte, pour accueillir Colette. Question d’usage classique. Réponse classique. Nord Isère. « Ah, je connais bien ; j’habite à côté de Chambéry ». Morestel ? Ah oui, je connais bien, j’ai été secrétaire de mairie là bas pendant plusieurs années. Ma famille est de Vézeronce. Ah, bin oui, forcément. J’ai passé une demi heure bien agréable, à discuter avec Colette, puis elle est repartie. Son compagnon s’impatientait.

    Moi j’aime bien Huesca.

    Les villes espagnoles ont souvent cette caractéristique qui me plaist beaucoup : les limites de la ville sont évidentes. La ville s’arrête, et on passe à autre chose. Les immeubles laissent la place aux champs. Il n’y a pas d’étalement urbain incontrôlé. La séparation est nette, la ville est dernière nous, et on passe à autre chose. Ce n’est évident pas le cas partout. Mais à Huesca comme en beaucoup d’autres endroits, on peut facilement quitter la ville à pied, et partir se promener. Il n’y a pas de banlieue avec ses pavillons en copier coller. Il n’y a pas de zones commerciales sans fin.

    Mes journées sont assez similaires. Prendre mon temps, ne pas faire grand chose, travailler un peu, faire une pause, retravailler. Puis en fin d’après midi, m’aérer et partir me balader. En ville, la plupart du temps. Même si je finis par en avoir fait plus ou moins le tour. Alors je pars aussi faire une petite balade, dans la campagne. Occasion de marcher une dizaine de kilomètres tranquilles, la moitié sur une ancienne voie ferrée.

    Occasion aussi de découvrir le six-mille-trois-cent-quatorzième ermitage de la région. Il y a une telle concentration d’ermitage au kilomètre carré en Espagne que des fois on se dit qu’ils ne devaient pas être si tant isolés que ça les ermites.

    Occasion, enfin et surtout, de jeter un énième coup d’oeil sur cette magnifique ligne de montagnes au nord de Huesca. C’est la suite de mon voyage. Ça aurait dû mon itinéraire d’arrivée sur Huesca ; ça sera finalement la suite du programme. Parce que oui, bientôt, je quitterai Huesca. Et c’est par là que j’irai !

    Embalse de Vadiello, Pico Buron, Salton de Roldán, Embalse de Arguis, Gorges de San Julian, Castillo de Loarr, Puchilibro, Linás de Marcuello, Riglos, Mallas de Agüero et Tozal de Guara. Et tant d’autres encore…

     

    [ceci étant dit, ma touche ‘R’ a décidé de ne plus tenir aussi bien qu’avant sur mon clavier… des fois, elle saute. Bon, bin on verra bien ! Mais j’aimerais bien ne pas manquer d’R… ]

    6 commentaires

    1. Commentaire de Bernadette Suchod

      Incroyable la plaque de la CNT que tu as photographiée. Elle est apposée où ?
      C’est la première fois que je vois une plaque de ce type traduite en braille. Evidemment il faut qu’elle soit à un endroit où on puisse la toucher.
      Par ailleurs c’est une belle ville. Si en plus il y a des bars et de l’animation (tes photos n’en donnent pas l’impression) ce doit être vraiment agréable.
      J’aime bien aussi l’homme à tête de bélier (?) de la troisième photo. Où est-il situé ?

    2. Commentaire de Sébastien Chion

      La plaque se trouve au sommet du mémorial que l’on voit dans la même série d’images. Ce que l’on ne voit pas (je pensais avoir mis la photo mais non), c’est l’entrée du parc : le parc des martyrs de la liberté !

      Martyrs de la liberte

      Mais par contre, des plaques commémoratives en braille, j’en ai vu en pas mal d’endroits.

    3. Commentaire de Sébastien Chion

      Ah oui, et l’homme à tête de bélier (et aux détails très… détaillés…) il fait parti d’un ancien mur, qui sert de contrefort à une rue, en bord de parking. pas du tout mis en valeur, mais parfaitement visible

    4. Commentaire de La Feuille

      Merci pour la photo de la plaque CNT, genre de plaque que je ne peux pas voir sans ressentir une certaine émotion tant je me suis intéressé (et m’intéresse encore) au travail remarquable réalisé par les militants.tantes de la CNT à cette période. Je crois bien que je vais me l’imprimer pour moi tout seul !!!
      Ça compense le manque de photos de rails et de trains ces derniers temps !

      Le paterfamilias

    5. Commentaire de Kaly

      La présence de la CNT, et le texte en braille, cela me semble cohérent avec la récente histoire d’Espagne. Il y a eu des horreurs, il y aura toujours des gens pour en célébrer le souvenir afin de le garder vivant.
      “Le bruit des bottes de l’histoire n’éveille pas vos souvenirs” chante Serge Utge-Royo : il chantait récemment à Argelès à deux pas de la plage et du camp de concentration où des milliers d’exilés anti-franquistes se sont trouvés internés. Parmi eux, le père de Serge…

    6. Commentaire de Colette

      Très touchée d’avoir mentionné cette brève et surprenante rencontre, honteuse de n’avoir pas prêté attention à cette ville de Huesca qui, le jour de mon passage, m’a envoyé le vent. Dommage ! Mais je n’oublierai jamais Huesca, justement par cet échange d’une demie heure dont tu fais état. Merci pour ces photos magnifiques, inspirantes.

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