Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionApril 5th, 2011
  • Cette année, j’ai eut la chance d’assister pour la première fois à Burning Man. Je suis arrivé là bas sans vraiment savoir à quoi m’attendre, sachant simplement que je me joignais à un immense mouvement de foule de plus de 50000 personnes. Ça a commencé par un immense embouteillage, au milieu d’une tempête de sable, entouré de véhicules en tout genre. RVs grand luxe, autobus scolaire tirant une remorque plus longue que lui, westfalia, voitures normales… tout y est passé. Bref, j’avais très clairement l’impression que je n’avais aucune idée de ce dans quoi je m’embarquais et c’est probablement une excellente façon d’aborder la question. Moi, tout ce qui m’intéressait, c’est qu’il y avait beaucoup de feu partout, tout le temps, que c’était une ambiance très cool qui valorisait la créativité, l’art, l’originalité. Je suis arrivé là bas sans pouvoir me préparer : j’avais quitté Montréal depuis bien longtemps, et je n’avais pas du tout prévu, initialement, de me retrouver à Black Rock City. Je n’avais donc avec moi que les choses que je pensais absolument nécessaire pour ma survie pendant mon voyage. Je n’ai acheté, en prévision de Burning Man, que de quoi faire des litres et des litres de chocolat chaud, des crêpes et de la polenta.

    J’avais entendu dire que Burning Man était un lieu de débauche, que je n’aurais pas le choix de prendre de la drogue. On m’avait dit que les États Unis étaient un pays tellement régulé, tellement légiféré, qu’ils avaient besoin, une semaine par an, de cette débauche complète et totale pour pouvoir supporter le reste. Toute cette partie là ne m’intéressait pas.

    J’avais lu que Burning Man était un lieu d’échange, de partage, et de cadeaux. Un lieu où l’argent n’avait pas sa place. Un lieu où l’on pouvait échanger, donner ou recevoir, mais pas acheter. « Gift economy ». L’économie du cadeau. Toute cette partie là m’intriguait au plus haut point.

    J’avais compris que les gens se déguisaient pendant une semaine. Qu’ils déconnectaient complètement du monde réel, pour rentrer dans l’univers de la Playa, la vie à Black Rock City. Jouer un rôle ne m’intéressait pas du tout. Je comprends parfaitement ce besoin de se déguiser pour pouvoir être plus facilement soit même ; je l’ai moi même pratiqué pendant quelques temps, et ça m’a fait le plus grand bien. Mais je trouvais un peu ironique que tout ces gens jouent un rôle pendant une semaine ; jouent à être gentils, généreux, ouverts d’esprits… pour oublier tout ça au moment de quitter Black Rock City.

    Au moment de franchir la porte, deux personnes de l’accueil m’ont souhaité la bienvenue à la maison, m’ont fait un gros câlin, et m’ont invité à sonner la grosse cloche comme c’était ma première visite. Je me suis prêté au jeu bien sagement, avec un petit dédain amusé pour ces gentils hippy de la côte ouest.

    Bref, je me suis bien fait avoir…

    D’abord, c’est très clair, raconter Burning Man, ce n’est pas possible. J’ai écris autant que je pouvais ce que je ressentais pendant huit jours, mais je sais que j’en ai oublié énormément, et je connais la limite des mots. Il y a des sentiments, des sensations, qu’il n’est tout simplement pas possible d’exprimer. Repassons donc au travers de certains lieux communs :

    – La drogue : comme il est dit dans le guide de survie Black Rock City, les organisateurs n’encouragent ni ne découragent l’usage de drogue. Toutefois, on reste dans l’état du Névada, où la loi s’applique, comme ailleurs. En théorie, donc, la drogue est interdite. En théorie également, la police se promène et surveille. En pratique, à part du pot (weed/beuh/herbe) je n’ai rien vu. Mais vu le genre d’environnement, il est très clair qu’on doit trouver toute sorte de produits. Personnellement, je n’en ai eut aucunement besoin.

    – Le sexe : BRC est la ville où « tout est permis ». Donc évidemment, le sujet qui arrive juste après la drogue, c’est le sexe. Non, BRC n’est pas une partouze géante et permanente. Il paraît que l’on peut voir plein de choses en pas mal de place. Je n’ai pas cherché à voir quoi que ce soit, et je n’ai rien vu. Des monsieurs et des madames tout nus ? Oui, beaucoup. Plein. Le naturisme est en vogue à BRC, et n’a rien de plus dérangeant ou de plus choquant qu’ailleurs. Aussi bien les jeunes demoiselles de 20 ans que les « vieux » monsieurs de 50 pratiquent. C’est du « fait dont ce que vous voulez, on fait ce qu’on veut, pis tout le monde est heureux comme ça ».

    – La musique : tout le temps, partout, sans arrêt. Musique en tout genre, venant de plein d’endroits différents. Pour attirer l’attention, pour le plaisir, ou pour danser. Musique souvent intense : Techno, Dubstep, et autres joyeusetés du genre. Côté musical, BM peut être vu comme une rave qui dure 8 jours, 24h sur 24. La ville est bruyante, festive, joyeuse. N’ayez pas le sommeil trop léger !

    – La poussière : Black Rock est un désert de poussière. Pas de sable, de poussière. Encore plus fin, encore plus petit, encore plus étroit, qui vole pour un rien. Un coup de pied dans le sol, et c’est un magnifique nuage devant vous. Black Rock, c’est une vallée assez venteuse. Alors de la poussière, après quelques heures à peine, vous en aurez absolument partout, et n’envisagez même pas de vous en débarrasser. Ça ne servira à rien. Il y a des tempêtes de sable/poussière, des tonnes de mini tornades. Les masques et les gogle (lunettes protectrices) sont de mise.

    – Les déguisements : je dirais que 85% des habitants de BRC sont déguisés. Du fait de l’omniprésence de la poussière et de la nécessité de s’en protéger, beaucoup de déguisements inclus masques et lunettes de protection. Le look « madmax » est donc pas mal à la mode. Sinon, on reste dans un milieu assez hippy, beaucoup de vêtements légers, pour se protéger du soleil. Le déguisement devient aussi une façon de se protéger, et de pouvoir jouer un autre rôle beaucoup plus facilement. Grâce aux costumes, les gens endossent plus facilement une personnalité Burning Man.

    – la « gift économie » : comment est il possible de faire une ville complète, avec ses bars, ses lieux de divertissements, sans argent ? C’est possible, et ça marche. Je n’ai pas trop pratiqué cette partie là… pourtant, il y a énormément de place où l’on vous invite simplement à passer, et à prendre un verre. Vous arrivez avec votre coupe, on l’a remplit, et c’est tout. Les personnes qui prévoient offrir de l’alcool prévoie en conséquence, et quand y’en a plus, y’en a plus. Les gens se font des cadeaux entre eux, de façons relativement spontanées. Je me suis retrouvé à offrir des photos aux gens, imprimées, encadrées, ça a surpris, j’ai eut beaucoup de succès. Dans le camp où je restais, on distribuait des morceaux de melon d’eau (pastèques) à qui en voulait. On en proposait aux gens qui passaient dans la rue. Le plaisir d’offrir, et d’entamer la discussion après ça. Donner sans rien attendre en retour est un privilège magnifique.

    – l’art : la création artistique est en effet absolument partout. L’esplanade (l’immense nomansland qui sépare “Man” du reste de la cité sert de lieu d’exposition. Les artistes sont invités à exposer leurs oeuvres après les avoir faites enregistrées. On en retrouve de toutes sortes, de tout les styles, de partout. L’Esplanade est un magnifique musée à ciel ouvert, à visiter, à revisiter, et à voir évoluer. Ça c’est pour l’art statique.

    – les véhicules mutants : les véhicules mutants, c’est la partie « mouvantes » des créations artistiques. Le nom explique assez bien : il s’agit de véhicules qui ont été modifiés, transformés, créés. Du papillon géant à l’autobus déguisé en licornes ou en dragon, de la voiture directement sortie des pierres à feu au scooter/cupcake, on trouve absolument tout. Il est interdit aux voitures et autres véhicules de rouler dans BRC. Les véhicules mutants sont l’exceptions. Beaucoup des plus gros (tramway, autobus, etc…) font des circuits plus ou moins réguliers, et servent de transports en communs. Sans vraiment d’arrêts programmés. Une façon magnifique de découvrir la ville, donc, puisqu’elle vous amène d’un endroit à un autre, sans trop savoir où, quand, ni comment. Beaucoup de véhicules sont également des sortes de bars ou discothèques mobiles. Montez à bord, discutez, dansez, puis descendez quand vous voulez passer à autre chose.

    – les vélos : moyen de transport par excellence dans BRC. La plus part des vélos ne sont pas attachés. Les gens roulent, les posent là où ils ont besoin d’aller, puis les récupèrent plus tard. Avec la masse de vélo, pour être sûr de les reconnaître, toutes les techniques sont bonnes pour les personnaliser. Les fleurs et autres décorations colorées ayant évidemment le plus la cote. C’est donc un joyeux bordel plein de vélos circulant dans tout les sens.

    – le feu : c’est pour ça que je suis allé là bas en premier lieu. Je savais qu’à un moment, Man allait brûler, et je voulais voir ça. Mais ce n’est pas que ça… le feu est très clairement la thématique principale de BRC, et on le retrouve donc décliné sous toute forme d’utilisation. Les plus classiques étant les lance flammes sur les véhicules mutants, et les artistes de feux (poïs, bâtons, etc…) qui pratiquent un peu partout, tout le temps. Et puis il y a aussi ces installations artistiques, qui font appelle au feu, d’une façon ou d’une autre. Bref, une odeur mélange de propane et d’essence flotte en permanence sur BRC, mais on l’oublie rapidement.

    – le bilan carbone ? Catastrophique. Mais pour des raisons artistiques, j’ai toujours considéré que l’on pouvait se permettre énormément.

    Bon, c’est bien beau tout ça, mais Burning Man, c’est quoi exactement ? si j’ai pris le temps de détailler tout ça, c’est justement parce que Burning Man, c’est ça. Et c’est rien d’autre. La ville est créée par les habitants, les événements sont créés par les participants. À part la mise à feu de Man et du Temple, il n’y a pas vraiment de choses organisées. Mais chaque camp (regroupement de personnes, souvent des amis, s’installant à une même place sous un même thème) offre généralement des activités. Il y a un guide complet de tout ce qu’il est possible de faire. Bref… c’est simple : Burning Man, c’est exactement ce que vous voulez que ce soit. Ça peut être une saoulerie sans fin pendant 8 jours. Ça peut être une semaine sous l’extasie. Une semaine à danser. Une semaine à regarder des oeuvres d’arts. Une semaine à se promener, rencontrer des gens, discuter observer. Une semaine à méditer. À vous reposer. À vous déconnecter. À parler à des inconnus. Ça peut être spirituel, festif, gastronomique… il n’y a pas de limite. Et c’est aussi simple que ça. Je sais que quand je retournerais à BRC, je vivrais sans doute quelque chose de complètement différent, car dans un état d’esprit complètement différent. Mais en même temps, je serais exactement à la même place, dans le même genre d’ambiance, avec le même genre de monde. C’est moi qui ferait de mon prochain Burning Man ce que j’ai envie qu’il soit.

    Et on brûle qui, quoi et quand ?

    L’attraction principale, évidemment, c’est « Man », le samedi soir. Sa combustion est un moment extrêmement festif et joyeux. Les gens sont là pour s’amuser, faire la fête, danser. Bref, c’est une explosion de joie de vivre.

    Pourtant, ce n’est pas ce qui m’a le plus marqué. Le plus intense, c’est définitivement le temple, dont la mise à feu se fait dans un silence quasi complet le dimanche soir. Moment de recueillement, façon de vivre un deuil pour beaucoup, et de dire au revoir à la Playa. Moment extrêmement spirituel, à côté duquel il est difficile de passer.

    En bonus, on a eut Metropolis, le vendredi soir. Un spectacle relativement semblable à la Fallah de Montréal. C’est beau, c’est joyeux, ça brûle partout, c’est impressionnant.

    Et puis tout brûle, partout, tout le temps. Entre les artistes de feu, les véhicules avec leurs lances flammes, et les oeuvres d’art qui projettent des flammes dans tout les sens, il ne faut pas avoir peur de se brûler !

    Et l’apocalypse ?

    C’est l’un des sentiments qui m’a le plus marqué à Black Rock City. Évidemment, les lieux et l’accoutrement des gens y sont pour beaucoup. Cette ambiance tout droit sortie de Mad Max et Waterworld laisse définitivement imaginer le pire. Pour beaucoup, c’est aussi le côté « on se débrouille avec ce qu’on a ». Car à Burning Man, il n’y a pas de magasins. Alors on bricole, on troc, on échange, et ça, sans aucun doute, donne un côté post catastrophique à la chose. Enfin, il y a le côté festif ; cette envie de célébrer, dans la joie et la bonne humeur. Bref, tout cela me rassure énormément, en me donnant l’impression que si l’apocalypse devait arriver, le monde se transformerait en un Burning Man géant et perpétuel : plus rien n’a d’importance, juste les gens. On célèbre le fait d’être en vie, on se débrouille avec ce que l’on a. Étrangement, dans un contexte où l’on peut se poser des questions sur l’avenir de la planète, il y a presque un côté rassurant à se dire « oui, la fin du monde ça pourrait être ça ». Non, je ne souhaite pas vivre dans un désert perpétuel. Mais je suis convaincu que si le pire arrivait, les humains comprendraient enfin que le plus important, c’est de célébrer la vie est d’être heureux. De vivre, tout simplement. Pas de travailler, pas d’acheter, pas d’avoir plus de possessions que son voisin. Ni une plus grosse voiture. Pas besoin d’acheter, vu que l’on peut échanger, donner, demander. C’est ainsi que mon optimisme sans faille envisage de transformer une éventuelle catastrophe. Mon grand regret, dans tout ça, c’est ce sentiment qu’il faut une catastrophe pour que les gens le réalisent. Pourquoi ne pourrait on pas comprendre, aussi simplement que ça, que la vie est belle, et qu’il faut en profiter, arrêter de se prendre la tête sur tant de choses superficielles et ridicules que nous « imposent » le capitalisme ? Oui, Burning Man c’est un peu une communauté anarchiste qui dure une semaine. Pas une vraie communauté, évidemment ; entre autre parce qu’elle n’est pas du tout autarcique, et pas du tout viable sur du long terme. Mais en même temps, il n’y aurait pas tant de choses à changer pour que ça le devienne. Un exemple simple bête et concret ? Les villes sont sales, les gens ne font pas attention, jettent leurs papiers gras partout. Black Rock City est propre, parce que les gens sont conscient, font attentions, et se surveillent. Ce n’est pas plus dur ou plus facile qu’ailleurs. C’est simplement une conscientisation qui en vaut la peine. Conscientisation qui, malheureusement, est bien vite oublié une fois que l’on quitte Burning Man. Et ça, ça reste le plus regrettable, le plus dommage.

    Et les effets secondaires ?

    Je suis resté moi même, confronté à un modèle de société idéale à laquelle j’aspire. Non pas orienté sur le travail et le surpassement, mais sur le plaisir et la vie au quotidien. Sur l’échange, le partage, et la rencontre. À ce niveau là, Burning Man ne m’a rien appris ; juste prouvé que ce monde idéal à laquelle j’aspire peut exister. Comme je le disais plus haut, juste une semaine par an, mais il ne faudrait pas grand chose pour étendre sa longévité. Pour faire de Black Rock City un lieu semi-permanent. Après tout, les communautés anarchistes existent, et ont prouvé qu’elles sont viables. Non, Black Rock City n’est pas une ville anarchiste, mais c’est pourtant quelque chose qui s’en rapproche, au niveau des idéaux, des approches, et de tout le reste. Donc non, je ne ressors pas de là complètement bouleversé et changé. Juste un peu plus convaincu que j’ai raison, que tout est possible. J’ai trouvé un endroit où être moi même à 100% est juste exactement parfait. Même à Montréal, je n’ai jamais connu ce sentiment de pleinitude, de ne pas avoir à me poser la moindre question. À agir, tout simplement. Alors oui, évidemment, maintenant j’aspire à revenir à Black Rock City. Et la prochaine fois que je franchirais les portes (l’année prochaine ?) quand les hippy rigolos me diront « welcome home », je les remercierais. Mon sourire sera sincère, tout comme mon câlin, et la joie qui gonflera mon coeur.

    Et en conclusion ?

    J’ai à quelques reprises comparés Vegas et Black Rock City. La principale différence entre les deux : « What happend in Vegas stay in Vegas… but what happend in Black Rock City must travel the world. »

    3 commentaires

    1. Commentaire de Marilyne la tête en haut

      J’ai adoré lire ton texte sur Burning Man! Vois-tu, je crois que mon expérience à Koh Phi Phi est pour moi ce que Burning Man est pour toi… Il faudra s’en reparler!!!

    2. Commentaire de Mika

      Merci de m’avoir fait vivre à travers ce texte ton experience à BRC,cela reste mon rêve d’aller la bas pour le moment.. mais c’est inscrit au plus profond de moi et je me laisse très souvent à rêver à ce que cela doit être.

      Encore merci

      Amicalement

      Micka

    3. […] le « Welcome Home » dont m’avait salué un parfait inconnu, des années avant cela, à Burning Man. Oui, je rentrais à la maison. Je revenais connecté avec une partie de moi même. Je revenais en […]