Que dire, comment le dire… Vegas, on en entend énormément parler. Il y a tout ces films, toutes ces histoires, toutes ces anecdotes. Lieu mythique face auquel on ne sait pas exactement comment réagir. Arriver à Las Vegas, dans le trafic d’une deux fois cinq voix, alors que quelques heures avant on était au beau milieu de la Death Valley. Tout ces gens, toutes ces voitures, alors que quelques heures à peine, il n’y avait rien, que le silence. On remonte Las Vegas Boulevard, la Stripe, tranquillement. Les premiers casinos apparaissent. Les noms célèbres, maintes fois entendus, maintes fois imaginés, ressortent. En même temps, on se rappelle les documentaires sur l’eau et l’énergie dépensées (et surtout gaspillées) dans la ville des pêchés. Je suis perplexe, indécis. Il y a trop de monde.
[…]
On retrouve Jane, son chum et son frère. On discute un peu. Où manger ? Au buffet de l’hôtel, évidemment… parlons en de l’hôtel d’ailleurs… le Circus Circus et l’hôtel casino le plus cheap de Vegas. Destiné aux familles, tarifs relativement abordables, il a quand même un parc d’attraction à l’intérieur. Et surtout, un casino. Notre chambre est dans un bâtiment à l’écart du bâtiment principal. Mais dès que l’on rentre dans la zone centrale, on se retrouve systématiquement dans les machines à sous. En fait, dans l’hôtel comme partout ailleurs en ville, on se retrouve à chaque fois, sans même le vouloir, devant une table de jeu, ou un jackpot. Toujours, tout le temps, partout. Il y a la musique, les lumières qui clignotent, les sons des gagnants, les paroles des gens. Bruit, odeur, lumière, une fois de plus. Trop, beaucoup trop. Le désert me manque.
On parle d’hôtel-casino, on pourrait presque parler de mini-ville. Il y a tout ce que l’on veut dans ces hôtels-casino. Que ce soit le Circus Circus, le Belagio, le Venitian, le Caesar Palace, le Paris… tous semblent à priori sur le même modèle : restaurants, magasins, casinos. Vous n’avez pas besoin de quitter l’hôtel. Vous n’avez pas envie de quitter l’hôtel (climatisé). Tout est fait pour que vous restiez à l’intérieur. Et à l’intérieur, tout est fait pour vous amener vers une machine à sous. On ne peut pas dire que pour ça le système ne soit pas efficace. Il est redoutable ! Je n’ai pas envie de gaspiller le moindre senne. Et pourtant, c’est si tentant ! Il suffit de mettre une tite pièce, juste pour rire, juste pour essayer. Une ou deux, pour voir. Pour dire « j’ai été à Vegas, j’ai joué à Vegas ». Il semblerait que je tienne trop à mon argent pour ça. Je me souviens du jackpot que mon père avait acheté des années plus tôt. On y avait toujours plus perdu que gagné, jusqu’à ce que l’on découvre comment tricher en bloquant les roulettes, et détruisant les ressorts petit à petit. Mais à Vegas, inutile d’y penser.
Et puis chaque hôtel a aussi son buffet. Après tout, quoi de plus normal dans la ville du pêché qu’un endroit pour manger tant et plus. Pour manger sans faim. Sans s’arrêter. Ad nauseam. On se dirige vers le buffet en rigolant. Après tout, c’est tellement cliché ! Mais nous avons besoin de ce cliché, besoin de faire au moins ça à Vegas. À l’entrée, il y a une promotion spéciale, pour un accès quotidien. Oui, quotidien. N’importe quand. Vous pouvez entrer et sortir aussi souvent que vous voulez. Le menu est différent pour le petit déjeuner, le souper et le dîner. Trois repas, trois menus, un seul billet. Difficile de ne pas imaginer les quantités de nourriture que ça représente. Cet immonde gaspillage. Juste pour un hôtel, juste pour le millier (ou deux milliers, ou je ne sais combien) de personnes qui s’y trouve, c’est déjà difficile à visualiser. Multiplier par tout les hôtels… j’imagine les troupeaux de boeufs faisant la file d’un côté de la ville pour entrer dans un abattoir ; la même chose d’un autre côté pour les poulets et les cochons. Tout cela me lève un peu le coeur. Ce n’est pas les deux tours le symbole de l’hyper capitalisme, mais bien cette ville, emblème du trop, du to much, de la sur consommation, de l’inutile, du vide, du gaspillage. Cette ville EST une aberration. Cette ville n’est rien, que du vide, du superficiel, de l’inexistant, en plein milieu du désert. Pourquoi le désert n’est pas rester désertique ? Pourquoi y a-t’il autant de rien ici ? Impossible à dire. Impossible à concevoir. C’est tellement criant que je ne comprends pas pourquoi personne ne le réalise. Pourquoi personne ne s’offusque. Pourquoi personne ne crie. Ça ne marche pas.
Je regarde les gens autour de moi. On s’amuse à regarder et commenter les assiettes. J’avais été surpris, jusqu’à présent, de ne pas voir tant d’obèses que cela aux États Unis. Que ce soit à New York, à Los Angeles, à San Francisco, ou dans quelques autres villes que j’ai eut la chance de visiter, il n’y en avait pas autant que l’image que projette les États Unis pouvait laisser imaginer. Ici, en plein milieu de Vegas, dans un buffet à volonté de l’un des hôtels les plus cheaps, la réalité rejoint l’image. Les assiettes débordent d’ailes de poulet frites, de pommes de terre frites. Tout est fris, sucré, gras.
Il est si facile de regarder, commenter, critiquer. En même temps, nous sommes là tout les cinq, à la même place. Nos assiettes débordent également. Et nous mangerons plus que nécessaires. Nous ne jetterons rien, mais nous gaspillerons quand même. Nous n’avions pas besoin de manger autant. Nous sommes là, et pourtant nous critiquons en même temps. L’exercice est toujours aussi périlleux, toujours aussi difficile. Suis-je supérieur à ces gens ? Suis-je plus intelligent qu’eux ? Ai-je vraiment le droit de les juger parce qu’ils viennent dépenser leur argent à Vegas, tentant de réaliser ce rêve que je ne partage pas mais que l’on a inventé pour eux ? Que toutes les télés, radios, affiches, posters, distributeurs de prospectus, viennent rappeler en permanence ? Poser la question, c’est un peu y répondre. Je les méprise, parce que je ne les comprends pas. Je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse en arriver là. Je veux bien croire en la toute puissance de la petite boîte magique qui projette des images, mais de là à faire ça aux gens ? Non, je suis mal à l’aise, confronté à quelque chose que je n’aime pas, que je ne comprends pas, que je ne peux pas concevoir. Je ne suis pas supérieur ; ils ne sont pas inférieurs. Nous sommes différents. Leur monde est incompréhensible ; leur monde n’est pas le mien.
Quand vient le moment de choisir le programme de la soirée, je suis perdu. Je n’ai pas envie de voir personne. J’ai juste envie de me cacher derrière mon appareil photo ; transformer tout cela en images. Peut être que ça semblera moins vrai en image. Peut être que ça ressemblera moins à la réalité. J’ai besoin de fuir un peu tout cela. J’ai envie d’aller boire un verre avec mes amis, de passer la soirée avec eux, de discuter. Mais en même temps, je n’ai pas envie de m’intégrer dans cette ville. Je n’ai pas envie de jouer ce rôle. Pourtant, je le dis moi même : ce n’est pas tout les jours qu’on peut sortir faire la fête à Vegas, habillé en gothique. Je suis fatigué, stressé, perdu, mélangé. Je me retrouve même à jalouser Fannie, pensant qu’elle, après tout, elle peut faire la fête, vu qu’elle peut faire la sieste pendant que je conduis, alors que moi je dois me coucher tôt, vu que je suis fatigué et que la route sera longue le lendemain. Je déteste cette ville qui me mets la tête à l’envers. Je déteste cette ville qui me fait faire et penser n’importe quoi.
Je pars seul, de mon côté, avec mon appareil photo. Las Vegas, ville de voitures, ville de limousines. La Stripe, la rue des casinos, fait huit voies de large. Les rues perpendiculaires en font six. Mais il faut que les gens puissent marcher, se promener, aller d’un casino à l’autre. Il faut que le monde puisse se déplacer, explorer, essayer des machines à sous différentes. Il y a donc très peu de passages piétons. Surtout des passages surélevés. Et puis nous sommes à Vegas ; alors les passages surélevés, on les rejoins par des escaliers mécaniques. À l’extérieur. Après tout, il ne pleut jamais dans le désert, et il ne faudrait pas trop fatiguer les joueurs.
Il y a des gens partout, qui marchent dans tout les sens. Toutes les 5 minutes environ, des personnes essaient de me donner des flyers, qui me promettent des tas de filles dans mon lit en moins de 15 minutes. Ici, on peut boire dans la rue. Les gens en profitent. En fait, soyons clair : ici, tout est permis.
Leur système de passages surélevés est extrêmement bien conçus. Bien souvent, ça donne directement à l’intérieur d’une salle de jeu. En haut de l’escalier, il faut tourner à gauche pour continuer son chemin. Tout droit, c’est un casino. Là encore, le système est extrêmement efficace. On finit toujours par y rentrer. J’en explore quelques uns par curiosité ; filles à moitié nues faisant du poll-dancing, joueurs hypnotisés par les roulettes qui défilent, chiffres qui clignotent dans tout les sens… je ne reste jamais bien longtemps.
Et puis dehors, il y a tout ces délires d’architectes. Bateaux pirates, réplique d’un quartier de Venise, réplique de la tour Eiffel, de l’arc de triomphe. Je rigole en notant certains détails, comme une réplique de « la victoire de Samothrace » (statue grecque) en plein devant le « Caesar Palace ». Après tout, Grèce antique ou Rome antique, vues depuis Vegas, c’est la même chose. Les erreurs culturelles se répètent, à droite, à gauche, dans la plus totale indifférence. Les musiques s’enchaînent, le bruit de s’arrête jamais, la foule est toujours là. Je rentre dans le Bellagio, m’y promène un peu au hasard, m’arrête à la salle de bain, ressort. Il est si simple d’aller n’importe où, de faire ce que l’on veut.
Le Bellagio… les fontaines du Bellagio surtout. J’en ai entendu parler. J’en ai vu des petits bouts, des petits extraits. À la télé, ça ne veut rien dire. Je suis juste devant, je décide d’attendre le prochain spectacle. Après tout, c’est toutes les trente minutes. En arrière, un sosie de Michael Jackson amuse les passants.
Et soudainement, la musique commence, les fontaines commencent à danser. Je me retrouve les larmes aux yeux. En plein milieu de toute cette laideur, de ce tas d’immondices, je vois soudain naître un poème aquatique. C’est beau, c’est doux, c’est magnifique. Plein de calme, de volupté. Le contraste est beaucoup trop violent. Ça ne dure, par chance, que quelques minutes, car je suis sans voix. Transcendé. Comment est-ce possible, je ne comprends tout simplement pas. Je reste un long moment, vidé, à attendre sans rien faire.
Après cela, je marche encore un peu, mais je n’en ai plus envie. Je vais demi tour pour rentrer. Le temps de voir un autre spectacle, une fausse irruption volcanique au Mirage, et me voilà rendu dans la chambre d’hôtel. Je m’arrête. J’éteins tout. Fannie, Jane et les autres ne sont pas encore revenus. Je m’endors, épuisé, avec juste une envie. Partir le plus vite possible.
Je découvre votre article ce dimanche 29 octobre 2017, de retour d’un beau voyage de repérage sur l’ouest américain. Je partage ô combien votre avis sur cette ville que j’ai redécouverte 25 ans après un autre voyage, j’étais plus jeune…
Et que j’ai détesté. Jamais de ma vie je n’ai eu autant envie de fuir un lieu à ce point. Ça me fait du bien de lire votre article, qui exprime parfaitement mon propre ressenti. Et encore… Je pense que mon dégoût est encore plus violent que le vôtre.
Beurk.
Bonjour Nathalie et merci de votre commentaire. Il est “rassurant” de savoir que d’autres personnes partagent ce sentiment vis à vis de Las Vegas :)
Eh bien il y a les gens comme moi qui n’y sont jamais allés et n’iront jamais ! Certains par manque de moyen, mais moi je ne ressens absolument pas le besoin de rejoindre un monde factice…
Ce que je veux dire (me suis mal exprimée !!!) c’est que si certains vont là-bas un peu comme vous deux, Nathalie d’une part, Sébastien de l’autre, sans être attirés comme le sont ceux que vous avez rencontrés, beaucoup ne sont pas sensibles à ces pubs, ne se laissent pas éblouir par ce “rêve”, ils savent que ce clinquant va les rendre malades, et évitent d’y aller.
Alors, forcément… ce n’est pas à Las Vegas que vous les rencontrerez !
;-)
MERCI, MERCI, MERCI de cet article qui résume SI BIEN mon ressenti. J’ai HAÏS cette ville, je l’ai détestée de toute mon âme et j’ai immédiatement eu envie de FUIR, FUIR et FUIR, en comprenant si bien mon ressenti mais en ayant dû mal de l’exprimer clairement avec des mots. Vous l’avez fait, MERCI.