Prendre le train, l’avion, le bateau, la voiture, le bus… et aller regarder la verdure de l’herbe du voisin. Pas de doute, j’aime ça. Mais de temps en temps, il m’arrive aussi de rester là où je suis, pour profiter de la verdure de l’herbe qui m’entoure. Surtout qu’une fois par an, pendant quatre jours, l’herbe de Lyon devient verte, bleue, rouge, jaune… elle est de toutes les couleurs… c’est ce qui arrive quand on joue avec les lumières.
En quelques années à peine, la Fête des Lumières, un événement traditionnel (et profondément religieux…) lyonnais est devenu un incontournable international. Les visiteurs se comptent en millions. Généralement, deux ou trois. Même s’il est difficile d’estimer exactement, c’est quand même beaucoup, pour une ville qui compte 2,2 millions d’habitants (métropole du Grand Lyon). La Fête des Lumières est classée troisième plus gros événement international (je ne me souviens plus par qui), après le Carnaval de Rio et l’Oktoberfest de Munich. Bref, c’est gros. Tellement gros que de plus en plus de lyonnais fuient la ville pendant la durée de l’événement. D’autres préfèrent en profiter pour arrondir leurs fins de mois. Quand on sait qu’on peut louer son chez soit pour 4 jours et rembourser tout son mois de loyer, ça fait quand même envie…
L’année dernière, j’avais décidé de profiter à fond de la Fête des Lumières. J’étais en plein dans ma période Time Lapse, je travaillais en centre-ville, et j’habitais dans les pentes de la Croix Rousse. Autrement dit : j’étais en plein coeur de l’action. Et c’est un sentiment que j’aime énormément. Sentir la tension monter, voir les installations se faire petit à petit, assister aux projections tests. Voir que l’impatience grandit. On a hâte que ça commence. On se promène dans des rues de plus en plus denses, chaque jour. Oui, pour l’avoir énormément connue à Montréal, j’aime cette montée en puissance tranquille, qui fait que l’on attend l’événement avec d’autant plus de plaisir. Même si je dois bien reconnaître que, contrairement à Montréal, on assiste également à une densification du nombre de CRS, gendarmes nationaux, policiers, et autres militaires chargés de « faire régner l’ordre ». Se promener, admirer des projections artistiques magnifiques, sous l’oeil attentif d’un gars en treillis la main sur son famas… a tendance à me faire moins rêver…
Quoi qu’il en soit, j’avais produit en 2013 un Time Lapse dont je reste encore aujourd’hui assez fier. Suffisamment, en tout cas, pour le partager à nouveau cette année.
Cette année, mon approche a été différente. Si je travaille toujours en centre-ville, mon habitat s’en est éloigné. Je me suis déconnecté de la mise en place de l’événement. Déconnecté un peu des Time Lapse aussi. Parce que ça prend beaucoup de temps et que, au final, si vous n’avez pas pour plusieurs milliers d’euros de matériel, votre production -quelle qu’en soit la qualité- passera inaperçue. Oui, il y a une limitation matérielle que je ne franchirais pas. Alors je continue à faire mes petits Time Lapse amateurs, à avoir plaisir à les faire, une fois de temps en temps. Pour le plaisir. Mais moins qu’avant.
Cette année, donc, je suis revenu à mes premiers amours. La photo de lumières, la photo de nuit, les pauses longues… le plaisir de travailler avec tout ça. De retrouver son matériel, de retrouver les réflexes. C’est dans ce genre d’événements que je ressens particulièrement cette démultiplication inutile du nombre de documents numériques créés. Quand je regarde comment les gens prennent leurs photos ou leurs films, en ayant aucune idée sur ce qu’il convient de faire… quand j’imagine les téra octets inutiles que ce genre d’événements va créer. Parce que cette madame qui film sans se rendre compte que sa mise au point n’est pas faite, ce jeune homme qui prend des photos au flash, ou ce monsieur qui utilise son trépied parce qu’on lui a dit que la nuit il fallait un trépied (alors qu’il prend en photo une animation, un mouvement, et que par conséquent il n’a pas le choix de faire une pause rapide). Je regarde tout ces gens s’improviser photographe… je regarde tout ces gens qui sont persuadés qu’ils savent ce qu’ils font… je regarde tout ces gens remplir des cartes mémoires et des disques durs. Je regarde tout ces gens en prenant moi même 700 photos. Je me débarrasserais au final des deux tiers… mes disques durs à moi sont saturés depuis bien longtemps…
J’ai passé trois soirées à me promener, avec des amis différents, ou tout seul. À aller d’un lieu de projection à un autre. À explorer. Je m’étais dit « cette année, je sors un peu de la Presqu’île, je m’éloigne du centre ville ». Mais j’ai fini par me rendre compte que finalement, à peu prêt tout s’y passe. En fait, plus le temps passe, et plus la Fête des Lumières est enlevée au lyonnais, pour être lâchée en pâture aux touristes. On pourrait espérer trouver un équilibre entre les deux, mais pour le moment, ça n’est pas le cas. Ils sont rares les petits événements sympas dans un quartier. Il y en a bien quelques uns, mais ils sont de plus en plus difficiles à trouver. Et le 8 décembre, les lumignons aux fenêtres sont de moins en moins nombreux.
Pour moi, il y a trois types de spectacles pendant la fête des lumières.
1- Les gros budgets, généralement orientés « façadisme »
Les adresses sont les mêmes à chaque année : Place des Terreaux (sur la façade de l’hôtel de ville et du musée des beaux-arts), place Bellecour (sur la Grande Roue et les façades des immeubles sur le côté de la place, et sur la Cathédrale Saint-Jean.
Ces événements sans doute les plus vus, ils sont souvent les plus impressionnants (quoi que… en général, la place Bellecour n’est pas terrible – carrément ennuyante cette année). Mais il y a de très belles projections sur les façades et, la plupart du temps, les artistes jouent avec le bâtiment. C’était un peu moins le cas cette année à l’Hôtel de Ville, et c’était un peu dommage. Il n’en reste pas moins que j’ai bien aimé me promener place des Terreaux et devant la Cathédrale.
Hôtel de Ville
Cathédrale Saint-Jean
(avec la lune au rendez-vous, ça ne gâte rien)
2- Projets plus modestes, où on aime bien s’arrêter un peu
Si les attractions principales sont minutées, projetées à intervalles réguliers, et que les flots de touristes sont contrôlés, d’autres sont placées sur des lieux de passages. On canalise ainsi les gens, les encourageant à emprunter les artères « décorés ». Ils vont éventuellement ralentir, prendre un peu de temps, mais si on marque la pause, ce n’est que pour quelques bien courtes minutes. On trouve quand même des idées sympas, des projections que l’on aime à regarder, des aménagements qui rendent la rue plus agréable, plus vivante.
La rue de la République
L’artère centrale de la Fête des Lumières
La fontaine des Jacobins
Elle veut généralement un lieu de passage important, où l’on plaisir à ralentir. S’arrêter un peu. Souffler. Et repartir.
Et puis ces petits projets, disséminés un peu partout, à droite à gauche. On circule, on déambule, on en voit un, puis un autre. On prend parfois des photos, mais pas toujours, parce que ça ne rend pas forcément.
Il y a, enfin, le Parc de la Tête d’Or. Un peu décentré pour un grand nombre de touristes, il y a toutefois énormément de place. Là plus qu’ailleurs on nous encourage à rester, à prendre notre temps. À déambuler. À s’arrêter. À admirer. À profiter de la poésie des installations.
3- Les « ovnis » coup de coeur
Ils ne sont pas forcément là où l’on s’y attend. Ce ne sont pas forcément les spectacles principaux. Et c’est un peu chacun ses goûts. On les découvre complètement par hasard, et on reste un moment, scotchés. À admirer. Ou à rire. Ou à rêver. Les sentiments, les ressentis, varient d’un projet à l’autre, d’un artiste à l’autre.
Cette année, deux coups de coeur pour moi :
Place Antonin Poncet : le projet Laniakea.
Plongée au coeur du cosmos, dans une expérience onirique, musicale, et visuelle. Projection d’image magnifique en façade, accompagnée d’une musique grandiose, et surtout, des centaines de petites boules lumineuses, qui s’allument et qui s’éteignent, nous permettant de nous immerger complètement dans le spectacle.
(Assez bon aperçu à regarder ici : https://www.youtube.com/watch?v=DDdRb-DXvno même si c’est loin de rendre l’effet de la réalité )
Les Anoukis, qui ont envahi la façade de l’Opéra.
Avec simplicité, avec légèreté, avec beaucoup d’humour. Pour moi, il devrait y avoir plus de projets comme ça. Parce que ça ne joue pas dans le « plein les yeux » ou dans la surenchère. Parce que c’est plaisant à regarder, parce que ça plait. Parce qu’on sourit, et même on rit franchement. Et à la fin, on se surprend à chanter avec eux… et à se dire « allez, on s’en fait un deuxième tout de suite ».
(on peut aussi jeter un oeil par là bas : https://www.youtube.com/watch?v=OL7kMdX12Kw )
Et la Basilique de Fourvière
La Basilique, c’est l’un des symboles de Lyon. Elle est tout là-haut, sur sa colline. On l’aime ou on ne l’aime pas, mais on ne la rate pas. Elle est distinctive, et immanquable. Elle a été construite (et surtout financée) par les lyonnais, pour remercier Marie d’avoir sauvé Lyon de la peste. Le 8 septembre, pour marquer la fin des travaux, une statue de la vierge devait être installée sur la Basilique. Cette installation a finalement du être reportée au 8 octobre. Puis reportée une deuxième fois au 8 novembre. Et encore une autre fois au 8 décembre. Quand finalement la statue a pu être installée, les lyonnais ont spontanément déposés des lampions sur leur fenêtre. La tradition est restée, année après année.
La Basilique reste donc l’un des points d’attraction de la Fête des Lumières. Et éclairée comme ça, tout la haut, difficile de la rater. Depuis les quais de Saône, il y a aussi le Palais de Justice, au premier plan, et la passerelle piétonne juste devant, qui sont éclairés aussi. Et les trois ensemble, il faut bien le reconnaître, ça a quand même de la classe.
Au final, la Fête des Lumières reste un événement que j’aime bien. Assez rassembleur, plutôt familial, chaque année a de belles surprises à offrir. Joie, émerveillement, rire… les ressentis sont nombreux. Mais je trouve qu’il y a quand même énormément de poésie à évoluer dans ces univers, dans ces bâtiments transformés, l’espace de quelques jours.
Et en l’occurrence, c’est souvent ce qui me chagrine le plus. Que quelques jours… chaque année, une installation est conçue pour être pérenne : elle reste à l’année longue. Mais il me semble que certaines mériteraient de rester un peu plus longtemps… dommage de ne pas faire durer certaines formes de poésie. Je pense au « Moulin à images » du 400e anniversaire de Québec… qui finalement était revenu quatre années de suite tellement il était apprécié. Certains projets pourraient rester plus longtemps dans les rues. C’est le cas des lumières rue de la République, qui reste tout le mois de décembre. Mais qu’en est il de ces autres projets ? Pourquoi les rendre si éphémères…
“Pourquoi les rendre si éphémères…”
Oui… Pourquoi ?
Serait-ce simplement parce que c’est si beau l’éphémère…