Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionFebruary 3rd, 2020
  • J’ai envie de briser la linéarité. Des fois c’est important de briser la linéarité… parce qu’après tout, quand j’écris mes articles pour mon blog, je m’efforce à remettre dans l’ordre des idées que j’ai eu dans le désordre. Je raconte mon voyage selon sa linéarité temporelle à lui. Mais la mienne est différente. Par exemple, j’écris bien confortablement assis dans mon Chamion, à Fontcalda. Mais l’idée qui va commencer cet article (car il pré-commence ailleurs que je ne l’avais prévu) a été pensée à Flix. C’est une idée que j’ai dans la tête depuis hier (le hier de la personne qui écrit, qui est dans une temporalité différente que celle où mon blog est mis à jour, et encore différente de quand l’article est lu). Mais que je n’ai écrite que cet après-midi devant une bière à Bot. Alors voilà. Brisons la linéarité temporelle, et partons sur une autre logique pour raconter ces derniers jours. J’espère que le lecteur ne s’y perdra pas trop !

    Il y a deux façons de préparer un voyage. Se renseigner au maximum sur sa destination. Regarder des documentaires, lire des guides touristiques et des forums de voyageurs pour en savoir le plus possible. Ou au contraire, y aller en aveugle complet. Au hasard. Sans rien connaître de sa destination finale. Avancer en fonction des rencontres, des paysages, des cartes, des panneaux… évidemment, ce sont là les deux extrêmes d’un spectre beaucoup plus large. Comme je n’aime pas les extrêmes, je me suis renseigné un peu sur l’Espagne avant de partir. J’ai appris qu’on y parlait espagnol, et qu’il faisait plus chaud dans le sud. Ainsi préparé, j’ai pu prendre la route !

    Bon, d’accord. Je savais aussi que j’aimais Barcelone et Valencia, qu’il fallait absolument que j’aille à Séville et à Cordoue, et que Madrid me plairait sûrement. Mais par exemple, je ne savais pas qu’il y avait des montagnes en Espagne. Je veux dire, une fois passées les Pyrénées (pour elles, j’étais au courant quand même !). Je ne sais pas trop ce que j’imaginais. Peut-être pas une immensité désertique plate et sans fin. Sans doute des collines, un paysage un peu bosselé. Mais des montagnes pour de vrai ? Du genre que l’on se casse les jambes en grimpant ? Trop bien !

    L’avantage de ne pas savoir, c’est que l’on est sans cesse surpris et émerveillé par ce que l’on découvre. Aller quelque part en n’ayant aucune attente, c’est le plaisir d’aller de surprise en surprise. C’est, bien sûr, aussi, le risque de ne pas tout voir et de rater des choses. Mais de toutes façons, en voyage, on ne voit jamais tout. Et on rate toujours des choses. Et pour moi, découvrir Tivissa au détour d’un virage, et me retrouver à crapahuter pendant six heures dans des paysages de montagnes magnifiques, avoir ça sorti de nul part, comme ça, c’est juste un cadeau magnifique ! Une surprise qui vaut tellement plus que toutes ces choses que je ne sais pas que je ne vois pas ! À vrai dire, depuis que j’ai décidé de tourner à droite à Miami Beach, je m’émerveille devant l’imprévu et l’inconnu. La région de la Terra Alta -un triangle en bas à droite de la catalogne- et la vallée de l’Ebre qui sépare la Terra Alta du reste de la Catalogne.

    Frank Lepage, dans ses conférences gesticulées, parle de la disparition des bistros en France. Hauts-lieux de la culture populaire ouvrière, de création de lien social, mais aussi lieu d’éducation populaire et syndicaliste. Les liens que vous créez en buvant une bière avec votre voisin est quand même plus fort que quand vous restez à la maison à regarder « la France a un incroyable talent » alors que votre voisin regarde « un diner presque parfait ». Sur une télé évidemment plus grande que la votre, car lui, vous en êtes sûr, est un privilégié. Certes, vous n’avez jamais discuté avec lui de ses conditions de travail. Pas évident, vu que vous ne lui parlez jamais, parce que quand vous le croisez, vous êtes sur votre quad, et avec le bruit du moteur, pas facile d’avoir une longue discussion. Mais qu’importe. C’est un privilégié, vous en êtes convaincu. Cohésion sociale et partage, face à individualisme et égoïsme.

    C’est d’ailleurs, il me semble, ce que beaucoup de gilets jaunes redécouvrent sur les ronds-points : leurs voisins. Et c’est, je pense, la raison pour laquelle le mouvement perdure. Sérieusement, entre passer une après-midi à discuter entre copains, ou posé chez vous à regarder la télé ou à cramer votre steak sur votre barbecue au gaz, vous choisissez quoi ?

    J’ai l’impression qu’en Espagne, enfin en Catalogne, enfin dans les villages que j’ai traversés jusqu’à présent, les petits bistrots sont toujours là.

    Je l’ai réalisé un dimanche, à Gandesa. 18h30. Il fait nuit. Je fais quelques pas en ville, pour me dégourdir les jambes après les 12 kilomètres de la balade du jour. La marche appelle la marche… Il n’y a pas grand monde dans les rues. Mais dans les quatre bars que je vois, il y a des gens attablés, en train de discuter. Pas tous ensemble, évidemment. Il y a plusieurs tables. Mais il y a le bar où l’on commande ; lieu de rencontres. Et le voisin de table sera toujours plus proche que le voisin devant sa télé… Gandesa, 3064 habitants. Quatre bars ouverts, vivants, un dimanche de février…

    À Flix, le lendemain, alors que je profitai de la vue depuis le château (grimpette destinée à justifier le chocolat chaud, le croissant et le beignet en terrasse un peu avant), perdu dans mes réflexions sur les voyages organisés et improvisés, un autre fait marquant m’a frappé. Je vois toute la ville à mes pieds. Pas pas de grandes surfaces. Pas de zone « artisanale » sans fin. Ces zones de parkings à n’en plus finir, à la gloire de la voiture, je n’en ai pas croisé depuis un bon moment il me semble ! Depuis Taragone, en fait, la dernière grande ville. Mais les villes plus petites n’en ont pas… À Flix, 3408 habitants, il n’y en a pas. Pas plus qu’à Gandesa.

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    Pas plus qu’à Mora D’Ebre que je rejoindrai en suivant le fleuve du même nom.

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    Par contre, à Mora d’Ebre, 5690 habitants, il y a une boutique de bricolage en centre-ville. Et en me baladant 15 minutes en ville, je repère aussi deux librairies/papèteries et plusieurs épiceries, quelques restaurants et café…

    Y’a-t-il un lien entre cette proximité, ce lien social plus fort, et la quantité de drapeaux catalans que l’on voit partout ? Peut-être pas. Mais j’ai l’impression que le Catalan, dans son village un peu loin de tout, a accès à beaucoup plus de proximité et de contact que le français dans une situation équivalente. Et ça change quand même beaucoup, le lien qui se crée entre les gens. D’ailleurs, il parait que le gouvernement espagnol a voté pour une augmentation des retraites. mais je ne sauterai pas trop vite aux conclusions, et éviterai de mélanger corrélation et conséquence !

    Ce qui est sûr, c’est qu’en arrivant à Mora d’Ebre, je retrouve l’itinéraire que j’avais initialement prévu la veille. Après une grande boucle de 90 kilomètres (quand même !) j’ai rejoint ce qui devait être ma première étape en quittant Tivissa (à 15 kilomètres de là)… la veille.

    L’itinéraire que j’avais alors prévu de suivre aura tenu dix kilomètres. Le temps de rouler jusqu’au premier carrefour. Un panneau indiquant le château de Miravet (dont, là encore, je ne savais rien). Alors au lieu de continuer tout droit vers Mora d’Ebre et la 420, je tournais à gauche, en direction du sud, en suivant le fleuve (l’Ebre, donc). Par cet itinéraire, il fallait emprunter un bac pour traverser le fleuve et rejoindre Miravet. En l’absence de parking, et me disant que le bac -alors de l’autre côté du fleuve- me paraissait bien petit pour ma maison, je décidai de continuer ma route. J’accèderai au château par un autre accès, à un autre moment. Je reprenais donc le fil de mon itinéraire mis à jour, C12 vers le sud, puis à droite sur la C43 en direction de Gandesa.

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    C’était sans compter, une quinzaine de kilomètres plus loin, sur le panneau avec écrit en très gros FONTCALDA au départ d’une petite route.

    Petit cours de catalan : Font, j’ai eu le temps de l’apprendre, ça veut dire « fontaine ». Mais ça veut dire aussi « source ». Et calda, si on pense à l’anglais et qu’on le rapproche de cold, et qu’on pense que c’est « froid », alors on a tout faux car c’est tout le contraire. Et puis quel intérêt d’appeler un lieu « source froide » n’est-ce pas ?

    Clignotant, virage à gauche, et voilà le Chamion qui s’engage sur une toute petite route, en allant pas trop vite, parce que c’est une toute petite route. Après quelques kilomètres, le panneau « interdit aux campings-car » est explicite. En même temps, quand on voit que la route se réduit encore… je me dis que je n’oserai pas engager le Chamion sans en savoir plus. Un panneau indique que Fontcalda, par là, c’est 6 kilomètres. Or il se trouve que 150 mètres plus tôt, le petit chemin de terre qui partait à droite, avait un panneau indiquant Fontcalada à 5 kilomètres. Une route pour y aller, une route pour revenir, onze kilomètres de balade ? Et si je découvre un endroit magnifique, et qu’en rentrant par la route je découvre qu’elle est tout à fait praticable en maison, peut-être que je pourrai envisager d’aller y passer la nuit ! Même si j’ai quand même triché un peu : avant de partir pour une balade de onze kilomètres, j’ai vérité : ce sont plutôt des sources tièdes. À peine 28 degrés. Mais j’ai vu une photo, et ça m’a suffit à justifier la balade. Bon d’accord ça, plus le paysage dans lequel je me trouve déjà… et j’ai donc marché, en descendant lentement dans la vallée…

    Jusqu’à arriver au fond, dans les oliviers.

    Certains morceaux de paysage sont improbables. Comme par exemple cette « porte » pour la rivière :

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    Voilà. Une arrête rocheuse, fendue en deux par une rivière. Une ouverture en triangle inversée, creusée dans un mur en quelques millions d’années.

    Plus improbable encore, le signe qui indique que oui oui, c’est bien par là, la suite du sentier. Et en effet, on passe tout juste, au bout du rocher, sans mettre le pied à l’eau. Et derrière… bin derrière, il y a juste un canyon magnifique, aménagé pour que l’on puisse passer !

    Le soleil est là-haut dans le ciel. Il est intense et assez violent. L’appareil photo n’aime pas vraiment, et le photographe est un peu frustré devant le rendu des photos. Mais j’imagine qu’on se rend quand même compte de l’idée générale… on se rend aussi compte des dégâts causés récemment par Gloria. Il ne faut pas oublier que les alertes n’étaient pas sur les vents violents (ils ont a priori l’habitude dans la région) mais bien sur les pluies intenses, et les risques de crues violentes. Dont on voit bien les traces…

    Et soudain, donc, j’arrive dans la civilisation. Là tout de suite, sur ma gauche, un bassin aménagé. Pas très profond. L’eau est tiède en effet. Il me faudra faire tout le tour du site avant de revenir ici comprenant que oui, j’ai bien trouvé la Fontcalda. En effet, le paysage vaut largement plus le détour que la source en elle-même. Ça ne m’empêchera pas de laisser mes pieds dans l’eau un quart d’heure. Ça ne leur fera pas de mal !

    Je note aussi, en passant, la présence de ce pont magnifique. Et le fait que la route semble repartir de l’autre côté de la rivière. Un autre accès ? Je garde ça dans un coin de ma tête.

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    J’attaque donc le chemin de retour. Le lieu en tant que tel n’est pas plus inspirant que ça ; je ne viendrai pas dormir ici. D’ailleurs, de toutes façons, quand je vois la route que j’emprunte au retour… j’imagine que le Chamion pourrait le faire. Mais je ne serai pas du tout, mais alors pas du tout heureux de devoir conduire là dessus. Épingles serrées, intérieurs de virages bien raides… même en voiture, ça doit être quelque chose. Même à pied, d’ailleurs. J’ai les jambes cassées quand j’arrive en haut. Marcher sur le goudron, en plein soleil, en plus de faire des photos pas terribles en contrejour, bin c’est fatiguant !

    Mais la vue, quand on arrive en haut ! La vue !!! On suit encore un peu ce côté du sommet, et puis on traverse de l’autre côté. De retour, donc, sur la vallée par laquelle je suis descendu au début. D’en bas, je me demandai comment ils avaient bien pu faire passer une route par là. Depuis la route, je me pose encore la question ! En fait, je ne peux m’empêcher d’imaginer la discussion. Un soir, dans un bar, après une soirée assez avinée (il faut qu’elle le soit, il ne peut pas en être autrement), deux pôtes ingénieurs discutent.

    – Hey, tu vois la falaise, en dessus de la vallée là ?
    – Euh… quelle vallée ?
    – Bin celle qui va juste à côté de Fontcalda. Là où y a des oliviers en bas. Serra del Crestall, côté Vall del Frare
    – Euh, ouais, je vois.
    – Bin tu sais ce qu’il lui manque à cette falaise ?
    – Je sais pas moi… un drapeau catalan ?
    – Bin non y’en a déjà un ! Il lui faut une route, qui passe au miyeu !

    De retour au Chamion, je reprends la route, direction Gandesa, pour y passer la nuit.

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