Et me voici arrivé à Tortosa. C’est en arrivant en ville que j’ai réalisé : j’ai fait Alcañiz – Tortosa en une journée. Le trajet de la Via Verde, qui aura donc bien été la colonne vertébrale de cette excursion dans les terres ! Je l’aurai croisée et recroisée. Suivie un peu. Suivie beaucoup. À pied ou a vélo. Sur des viaducs ou sous des tunnels… Cette Via Verde, croisée au hasard d’un panneau et puis d’un autre. Un château, une source chaude… et j’ai perdu le compte de combien de temps j’ai passé ici. Je pourrais vérifier facilement. Mais je ne veux pas savoir. Je sais que ça fait moins d’un mois. Mais j’ai envie de dire que j’ai passé un mois ici. C’est l’impression que ça me donne. C’est ainsi que je le ressens.
Quand j’ai quitté la côte à Miami Beach, dans le but de revenir un peu dans les terres, je n’avais aucune idée de ce que j’allais voir. Encore moins de ce que j’allais trouver… en regardant la carte, en suivant les lignes de couleurs et les liserés verts, je m’étais dit : Mora, Gandesa, Alcañiz, puis le sud. Morella, et retour vers la côte. Que ce serait-il passé si je n’avais pas vu le panneau pour Fontcalda ? Je serai alors allé à Gandesa directement. J’aurai peut-être fait ma boucle vers le nord jusqu’à Flix, avant de revenir à Gandesa. Me serais-je laissé tenter par ces montagnes que j’aurai vues dans le lointain depuis la N420 ? Difficile d’imaginer ce qu’aurai pu être un voyage. Une fois mon errance solitaire en Terra Alta + Matarraña terminée, je me dis que ça n’aurait pas pu être mieux. J’ai très légèrement accéléré sur la fin, pour venir retrouver Gaëlle à Tortosa. Mais sans ce rendez-vous, je n’aurai sans doute pas vu plus de choses. J’aurais simplement été un peu moins vite. J’aurais fait des escales un peu plus longues à certains endroits. El Salt aurait été un bel endroit pour dormir peut-être. Mais ça m’allait bien aussi de continuer. J’aurai peut-être cherché à finir les petites portions de Via Verde que je n’aurai au final pas fait. Je serai peut-être allé visiter Cretas, et Arens de Lledó. Mais laisser derrière soit des choses pour revenir faire un tour, ça n’est pas forcément une mauvaise idée… La région (je parle donc du triangle, bordé au sud par el Port, à l’ouest par la N232 et au nord par la N420) a vraiment quelque chose d’unique. Je la comparais à l’Oregon… l’énergie qui se dégage ici est assez identique. Et même si ma dernière étape m’a permis de compléter une boucle, de tourner une page pour pouvoir attaquer la suivante, mes aventures ici ne sont sans doute pas terminées !
J’ai quitté Alcañiz en fin de matinée ; le temps de prendre le temps de me réveiller, de me préparer, et tout simplement de prendre mon temps. Parce que j’aime ne pas être pressé quand je n’ai pas à l’être. Et je prends la route. Je fais un petit détour, pour passer par la ville de Valdealgorta où passe la Via Verde. Mais ne m’y arrêterai. Pas plus que je ne verrai l’ancienne voie de chemin de fer qui passe de l’autre côté du village. Je finirai par la retrouver quelques kilomètres plus loin, juste après avoir passé le méridien de Greenwich – il faudra vraiment que je me fasse à l’idée que l’Angleterre est au nord de la France, pas au nord ouest tout comme Venise et Milan sont presque à la même hauteur que Lyon. Montréal, ville du sud (au niveau de Bordeaux), par contre, je m’en souviens – alors qu’elle longe la route sur la gauche, avant de passer en dessous dans un tunnel. Juste après, je suivrai le panneau qui m’amènera à la gare de Valjunquera.
Cette idée de continuer à attraper des morceaux de Via Verde me plait toujours autant. Aussi, dans le village d’après, à Valdeltormo, je n’hésite pas non plus à faire le détour pour aller voir la gare deux kilomètres plus loin, sans me poser plus de questions que ça sur l’étroitesse de la route. Je suis désormais habitué. Quand je pense à l’évolution des route que je prends aujourd’hui, comparées à ce que j’osais à peine faire au début avec cette maison (ne parlons même pas de la première maison !).
Ce qui est sûr, c’est que je commence à avoir une belle collection de photos de gares !
Cette portion de Via Verde me plait bien. Je pars marcher un peu. M’éloigne un peu du Chamion. Vois des panneaux qui m’inspire. Je fais un aller-retour au Chamion, vérifier sur la carte – et fermer la porte à clé avant de repartir. Parce que oui, il y a une petite boucle assez sympa à faire dans le coin.
Je me souviens, à un moment, avoir mentionné mon intention d’aller à Calaceite. Parce que sur mon atlas, à côté de Calaceite, il y a écrit « acropolis Iberica ». Et dans les très nombreuses choses que je sais sur l’Espagne (je me découvre un savoir sans cesse plus grand que ce que j’avais soupçonné), je sais qu’il y a eu des Ibères à un moment et qu’on appelle l’Espagne « péninsule ibérique ». À part ça, de l’Ibère, je crois bien ne rien savoir d’autre. Même pas ne saurais-je l’ibère dater. Hors il se trouve que je commence à voir des références aux ibères dans le coin.Et là, notamment, il y a une balade qui me permet d’aller voir deux ruines ibères. Et en regardant la carte, je vois bien qu’ensuite, je peux rejoindre la Via Verde, voir la gare de Torre del Compte (pour ma collection) et revenir en ayant fait une boucle plutôt qu’un aller-retour. N’est-elle point belle, la vie ?
Et me voilà donc parti, déambulant nonchalamment sur mon petit chemin tranquille. Nonchalance de façade car, comme à chacune de mes balades depuis quelques temps, les mots, les idées, les phrases, les grandes lignes directrices se bousculent dans ma tête. Je ne peux pas tout noter, mais c’est pas grave. Les idées s’enregistrent, petit à petit. Peut-être me faudrait-il rester assis plusieurs heures et essayer de poser tout ça en une seule fois. Ou alors je laisse décanter tranquillement, attrapant une phrase par -ci par-là, et laissant les idées voleter pour les observer sous toutes les coutures (car une idée, une fois écrite, on ne peut plus la regarder que depuis un seul angle de vue ; alors que quand elle volète encore dans les airs, il est possible de l’observer beaucoup plus en détails !).
Et me voilà arrivé à Tossal Montanés ! C’était une ancienne tour ronde, qui servait d’habitation. A priori à des gens plutôt aisés vu ce que les fouilles ont permis de découvrir, mais aussi vue la taille et la forme de la bâtisse et l’épaisseur des murs.
À peine un kilomètre plus loin, me voilà rendu à la Torra Cremada Contrairement à ce que certains aimeraient sans doute vous faire croire, cela ne veut pas dire “la tour à la crème” mais “la tour brûlée” à ne pas confondre avec Torra Crema Cremada qui là, par contre, est la tour de la crème brulée.
Un panneau me permet d’apprendre que les Ibères étaient là dans l’antiquité. Dans cette période « avant Jésus Christ » où tout le monde allait en enfer vu que Dieu avait oublié d’envoyer son fils sur terre pour leur dire comment ne pas pêcher et être un bon croyant.
Les Ibères ont occupé la région pendant un moment (on me souffle dans l’oreille que « Ibère » c’est dérivé de « Ebre » ; il est partout ce fleuve !). Jusqu’à ce que les romains arrivent, les remercient d’avoir pris soin des lieux avec une jovialité toute romaine, et leur demandent gentiment d’aller fonder un autre pays ailleurs, si possible très loin d’ici, avec une délicatesse toute romaine. Bon, d’accord, l’histoire de la conquête de la péninsule ibérique est un peu plus complexe que ça. Elle implique aussi des carthaginois, et plein d’autres gens. Moi, pour le moment, je n’ai sous les yeux qu’une tour qui, paraît-il, a brulé. En attendant, les lieux ont été principalement occupé le siècle d’avant l’immaculé conception, et le siècle qui a suivi.
Quand on voit la vue que l’on a depuis le sommet de cette colline, je comprends assez facilement la motivation que certains ont pu avoir à s’installer ici ! Juste en contrebas, c’est le Rio Matarraña qui coule. Rivière qui, plus tard, se jettera dans l’Ebre (comme tout le monde dans le coin) mais qui en attendant donne son nom à la région. Dans le lointain, on distingue le village de Torre. Et je revois à nouveau le magnifique Viaduc que j’avais repéré la veille depuis la Fresneda. Mais cette fois depuis l’autre côté.
Un petit sentier me fait descendre facilement sur la route en contrebas. Route qui longe la rivière, et qui m’amène tout aussi facilement à ce viaduc magnifique. Du coup, je me pose la question. Quand j’ai vu mes premiers viaducs (entre Bot et Horta) je me suis dit « oui ! c’était eux que je voulais voir, je les avais vus sur une photo ». Et quand j’ai traversé en vélo le viaduc sur le rio Algars, entre Aragon et Catalogne, je me suis dit « ah oui ! c’était lui, en fait, le viaduc vu sur une photo que je voulais absolument voir ». Et là, alors que j’ai celui-ci devant moi, j’en viens à me demander si ce n’était pas plutôt celui-ci. Mais au final, qu’importe non ? Tout ces ponts étaient superbes, et chacun m’a ravis à sa façon !
275 mètres plus loin, je suis sur l’autre berge ; et quelques centaines de mètres supplémentaires ensuite, je suis au niveau de la gare de Torre. Gare qui a été reconvertie en hôtel restaurant. Je décide donc d’en profiter pour me poser le temps d’une bière.
Je peux ensuite attaquer le chemin du retour avec enthousiasme et légèreté (et mots qui tourbillonnent dans ma tête). La gare de Torre étant au fond d’une vallée, je n’ai d’autre choix que de remonter. Mais monter en marchant, ça se fait tout seul et sans problème. J’avance d’un bon pas, et sans fatigue. Je suis peut-être moins rapide qu’en vélo, mais c’est tellement agréable de profiter du paysage, et de ne pas forcer ! [oh ! un tunnel !] et je finis par être de retour à ma gare de départ. Je peux donc cocher une autre portion de Via Verde dans mon agenda. Si j’avais continué après Torre et ma bière, plutôt que de faire demi-tour, je serai arrivé à la gare de Valderrobres. Donc oui, je commence à en avoir vu un sacré morceau de cette Via Verde !
Si je continuai après être revenu à mon point de départ, je rejoignais Valjunquera. J’aurai donc vu toutes les gares de la Via Verde, à l’exception des deux dernières. Celle de Valdealgorta -qui était un peu trop décentrée de mon itinéraire pour me motiver à faire le détour- et celle de Alcañiz que je n’ai pas cherché à trouver pendant que je me baladais en ville.
Et là, soudainement, alors que je cherchais à vérifier une information sur internet, je découvre qu’en réalité… la Via Verde ne s’arrête pas à Alcañiz. Elle continue jusqu’à Hijar, 30 kilomètres plus loin. Bon… bin je sais ce qu’il me restera à faire la prochaine fois que je viendrai dans la région !
Ma balade terminée, de retour à la maison, je décide de reprendre la route, sur mon petit chemin étroit, sinueux et en descente. Un pickup arrive en face. Je commence à réfléchir à la manoeuvre d’évitement, mais je vois bien qu’il me fait des signes. Pour autant, je ne comprends pas son message. Il finit par descendre du véhicule, et me montrer les deux tracteurs, beaucoup plus gros, qui arrivent un peu après lui. Je dois me rendre à l’évidence : cette fois, c’est moi le plus petit. La marche arrière, en côte, avec le Chamion, n’est pas chose aisée. Mais je gère la manoeuvre sans trop de problème, et sans trop de contre manœuvre. Je serai quand même content quand j’arriverai enfin à un endroit qui permettra de croiser. Et que je pourrai ensuite reprendre la marche avant.
Je suis de retour à Valdeltormo. Je ne m’arrête pas. Je continue de rouler. J’avance à un bon rythme. Et fini par me retrouver à Calaceite.
Je vais enfin pouvoir voir cet « acropolis iberica » qui m’intrigue depuis si longtemps… je suis le panneau qui m’y amène. Grande route, tout de suite délaissée pour petit chemin qui monte. Au point où je suis rendu de mes aventures, et même si c’est un peu raide, j’ai bien compris que le Chamion pouvait passer absolument partout (du moment que je reste tout de même un peu raisonnable). Je monte en première, mais je monte. Le moteur s’exprime joyeusement. Il est probable que l’on m’entende de loin ! Mais finalement, j’attends le sommet. Et son acropole.
Alors déjà, le lieu en tant que tel est vraiment magnifique. Les restes de bâtiments, l’agencement de l’ensemble… ça me plait. La vue sur l’ermitage est sympa aussi.
Mais c’est surtout cette vue là :
La Terra Alta et la Matarraña s’étalent à mes pieds. Tout ce que j’ai exploré ces derniers temps est là. Les montagnes, les villes, les sommets… je ne vois pas tout. Même ce que je ne vois pas, je le devine sans problème.
Terra Alta, Catalogne. Matarraña, Aragon. Communauté autonome ou Espagne. Europe ? Monde. Mon monde. Ma planète. Mon univers. Je suis ici chez moi. J’ai fait mienne cette immensité. Moins de 400 kilomètres de Chamion ; une centaine à pied. Une quarantaine en vélo. Pas mal en bus également… 3390 photos. Des milliers de mots sur mon blog. Une quantité impressionnante de sourires, d’émerveillement, de beauté. De paysages à couper le souffle, et de petits villages calmes et reposants.
Ici, c’est chez moi. C’est désormais un petit bout de mon imaginaire. Un petit bout de pays ou Einen, Léonie, Lorelyn, Irensi, Kaïa et Lius pourront évoluer…
Alors que le soleil se couche sur ce paysage qui m’aura tant inspiré, je me rends bien compte qu’il n’est pas facile de dire au revoir à tout ça. Le Chamion sera là pour me rendre ce service, et me conduire d’une traite, un peu plus rapide que d’habitude, jusqu’à Tortosa.
Chaque fois que je vois ces photos de gares abandonnées, je RÂLE ! Il y a tant de beauté là-dedans, tant de potentiel. Bon, l’une d’elle a été transformée en restaurant, ça met de la vie dans le coin, et ça c’est très bien, mais une sur combien ? Alors qu’il y a tant de mal logés prêts à bosser comme des fous pour remettre tout ça en état… Ce serait chouette que toutes les maisons abandonnées soient relevées avant d’être vraiment en ruine. Et, tu le sais, on en a vu des paquets nous aussi dans nos pérégrinations !
Bien belles photos! Les Ibères sont un peuple dont je ne connais absolument rien. Vu les constructions ils ne devaient pas être mauvais de côté là!
Un petit truc pour tes manœuvres avec le Chamion. Car je te vois dans des endroits pas simples. Pour faire une marche arrière en descente_mais peut être que tu connais_ serre le frein à main et recule comme ça jusque avoir terminé ta descente. Si tu dois freiner ça évitera au Chamion de perdre de l’adhérence de l’avant et tu pourras continuer à le diriger.