Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionDecember 5th, 2015
  • Je suis finalement arrivé au début de la route menant à Calakmul. J’ai payé le péage -la route est payante pour couvrir les frais d’entretien- et j’ai continué plein sud. Sept kilomètres plus loin, un panneau m’annonçait le camping où j’avais prévu de passer la nuit. Première nuit en camping au Mexique, au fin fond de la jungle ! L’idée me plaisait. Et il faut bien que je trimballe ma tente pour quelque chose !

    D’après le panneau, il ne me restait que 700 mètres à parcourir. Sur un chemin loin d’être carrossable. Je m’y suis engagé avec prudence, avançant tranquillement, traversant à deux reprises des zones boueuses en me demandant si j’allais en sortir. Mais la voiture s’est très bien comportée. Régulièrement, les panneaux m’encourageaient. 600, 500, etc… et j’ai fini par arriver au camping de Yaax’che. Oui, vous avez bien lu le nom. Yaax’che.

    Pour ceux qui ne connaissent pas par coeur mes goûts musicaux, et/ou qui n’ont pas lu ma première expérience au Rêve de l’Aborigène en 2013, Yak’che est un groupe de musique que j’adore. Il est composé de deux personnes. Cyrille, Un percussionniste et joueur de didgeridoo, hang drum et autres instruments, débordant de talents, et de Aurélie, une chanteuse à la voix et au sourire qui me font fondre. Et qui me transforment en groupie écervelé quand j’ai la chance d’échanger quelques mots avec elle.

    Dans la culture Maya, Yaxx’che (ou Yax Che, Yak Che…) représente « l’arbre de vie ». L’axe du monde, qui relie le monde souterrain, le monde terrestre et le monde céleste. Le centre de toute chose. Traditionnellement, « l’arbre de vie » pour les mayas est un Ceiba. Un arbre de grande taille, avec un tronc lisse et droit des plus impressionnant, et un réseau de racines en partie visible. Les racines hébergent des chauves souris, symbole du monde souterrain. Le tronc attire les insectes et les oiseaux qui s’en nourrissent. La cime est composée la plupart du temps de quatre branches (disposées en croix) qui s’étalent par dessus la canopée. Les quatre branches, et la croix ainsi formée, devient une représentation des quatre points cardinaux, si important pour les mayas. Les aigles qui nichent parfois au sommet sont les représentants du monde céleste.

    On retrouve des arbres de vie au centre de la plupart des villages précolombiens de meso amérique. Yak’che est une vision naturelle des temples mayas, construits verticalement, pour servir de passage du monde souterrain au monde céleste.

    Je suis arrivé au camping. Il était encore un peu tôt, mais j’avais déjà bien rempli ma journée. J’ai rempli les formalités administratives, consistant à payer des frais très raisonnables, et à écrire mon nom dans le registre. Quelques lignes plus haut, je vois le nom de Laurie. Je savais qu’elle avait prévu de venir. Elle a quitté Tulum un jour après moi, mais elle m’est passée devant, continuant vers le Belize et le Guatemala avec deux anglais à son bord.

    J’ai installé ma tente. J’ai le « camping » (un vaste sous bois) pour moi tout seul. Je suis parti faire une petite balade sur le sentier qui mène à une tour d’observation. Ma flûte en bandoulière, mon guerrier aigle et ma tortue dans mon sac à dos. Je suis monté en haut de la tour, où j’ai passé un long moment à admirer le paysage, à écouter la jungle, puis à jouer ma propre musique. Les lieux sont calmes et reposants.

    Je suis rentré au camping, m’installant un moment dans la voiture pour profiter du plafonnier. Ma lampe frontale doit être restée dans le van de Laurie. Je suis sorti un peu après, pour aller manger au « restaurant » du camping. Cuisine simple, bonne, mais hors de prix par rapport à mes habitudes (prêt de 6 euros, relativisons le « hors de prix » : aussi cher qu’une nuit sur le même camping). En même temps, je suis perdu au milieu de la jungle, à une cinquantaine de kilomètres de la « ville » la plus proche, donc bon…

    Et puis les propriétaires m’ont dit qu’ils sortaient en ville. On était samedi soir, après tout. Je suis resté tout seul, sur place, à garder la maison. Ils rentreraient plus tard…

    Tout seul, au milieu de la jungle, loin de tout… dans les moments comme ça, je me remémore toujours les angoisses nocturnes que je faisais avant. La peur que j’avais d’être seul, la nuit. Je m’en souviens toujours, avec cette petite inquiétude de refaire une crise. Vous savez, ce sentiment étrange, qui n’est pas la peur, mais la peur d’avoir peur ? Cela m’arrive parfois avec le vertige aussi. Je n’ai pas le vertige, j’ai peur d’avoir le vertige. Et les effets sont presque similaires. L’esprit humain a ses raisons que la raison ne comprend pas toujours…

    Je n’ai pas de lampe de poche. Juste une bougie, que j’utilise pour écrire un long moment, et un ipod dont l’écran est assez lumineux pour éclairer un peu le sentier. Enfin… en cas d’urgence, j’ai une énorme cage en métal où m’enfermer à quinze mètres de là.

    D’urgences, évidemment, il n’y en aura pas. Je resterai plus longtemps à écrire que je ne le pensais. Et les propriétaires resteront moins longtemps partis que je ne l’imaginai. Ils arrivent au moment où je me lève pour aller me coucher. Je leur dis donc bonne nuit, et je vais me coucher dans ma tente.

    C’est fou comme un simple petit bout de tissus « can feel like home ». Je me sens tellement chez moi sous cette toile. J’y suis tellement bien… il m’est tellement agréable d’y dormir…

    Pour bien comprendre, il faut savoir que ce sont mes parents qui m’ont offert cette tente quand, à l’été 2001, ils sont venus me visiter au Québec pour la première fois. Nous partions alors, avec Marie-Noëlle, pour un grand tour de la belle province, dormant la majorité du temps en camping. N’étant alors pas équipé, ils m’avaient acheté cette tente. C’était juste pour dépanner, le temps d’un ou deux étés. Soixante dollars canadiens dans un Canadian Tire. Cette tente de dépannage a fait plusieurs fois le tour du Québec, elle a fait l’Ireland, les rocheuses Canadiennes, l’Europe, la traversée des États-Unis – plusieurs fois. Je l’ai prêté à Chicago, pour la retrouver quelques mois plus tard, après qu’elle ai voyagé d’elle même. Elle a fait de nombreux festivals, l’Oregon, Crater Lake, les sources chaudes d’Umquat, l’île de Vancouver, trois Rêves de l’Aborigène, l’Australie et la Tasmanie, Wine Glass Bay, la forêt de Sou… elle explore désormais l’Amérique Centrale. Je suis incapable de savoir le nombre de nuits cumulées que j’ai dormi dans cette tente. Elles se comptent en mois… Mais je me souviens du soulagement, en Floride, après avoir été bouffé par les moustiques alors que je la montais… « ouf, ça en valait la peine. Maison ! ». Elle est vieille, prend un peu l’eau, mais c’est une vieille compagne de voyage. Elle et moi, c’est une longue histoire. Alors non, je n’ai pas envie de m’en séparer.

    Après deux nuits sur un canapé trop court et inconfortable et une nuit passée dans un bus surgelé, j’enchaîne avec une nuit en camping sur mon mini matelas que j’aime beaucoup aussi. Et je suis parfaitement conscient que je n’ai besoin de rien d’autre. Une tente un peu vieille, un demi matelas de sol autogonflant et parfois auto dégonflant, un sac de couchage… J’ai tout ce qu’il me faut. Je suis heureux.

    4 commentaires

    1. Commentaire de La Feuille

      Le ceiba (et non le célibat) m’intéresse pour une chronique “arbre” sur mon blog. Encore faut-il savoir à quelle espèce de ceiba s’intéressaient les Mayas. Il n’y en a pas moins de 18 selon wikipedia. Va me falloir des photos aussi !
      A part ça je me souviens de cette tente et de l’été 2001. Là maintenant je crains que le camping ne soit plus “dos-compatible” et j’en suis un peu triste mais pas trop. Un super lit avec un matelas confortable c’est pas mal non plus même si c’est moins gérable au niveau transport…

    2. Commentaire de La Feuille

      Notée au cours d’un de mes voyages virtuels, cette citation qui devrait te convenir :
      “Que peut un homme, ici, dans les villes d’Europe ou d’ailleurs, pour tenter de sauver les matins du monde ? Mais peut-être qu’il peut, comme les Waunanas de la forêt, simplement danser et faire de la musique, c’est-à-dire parler, écrire, agir, pour tenter d’unir sa prière à ces hommes et ces femmes autour de la pirogue. Il peut le faire, et d’autres entendront sa musique, sa voix, sa prière, et se joindront à lui, écartant la menace, se libérant d’une destinée malfaisante. Écrivons, dansons contre le déluge. (J.-M. G. Le Clézio)”

    3. Commentaire de Sébastien Chion

      Après avoir demandé à Luis, guide local bien renseigné, je n’ai pas réussi à obtenir le nom scientifique du Ceiba en question. Il faudra que je creuse un peu plus donc. Avoir eu le temps et les accès internet suffisant, c’est une chronique j’aurais bien écrite tiens ! Mais bon, je pourrais au moins fournir les photos ! C’est fou ce que ça grandit vite ces animaux.

      Piste de recherche : le Ceiba des maias semble etre l’arbre national du guatemala.

    4. Commentaire de La Feuille

      J’ai trouvé, et commencé à compiler…
      Il s’agit du Ceiba Pentandra ou savonnier ou kapokier qui appartient à la famille des Malvaceae… une mauve ou une rose trémière qui a bien réussi dans la vie en quelque sorte…
      On verra ce qui va sortir de ma marmite de sorcier, mais le thème m’inspire plus que les dernières conneries de nos dirigeants.

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