Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionDecember 5th, 2015
  • C’est agréable d’être de retour à Chetumal. De revenir « là où tout a commencé ». Bon, c’est beaucoup plus compliqué que ça. Parce que ce voyage a commencé une première fois quand je suis parti à Toulouse, une deuxième quand j’ai pris l’avion, une troisième à Montréal, une quatrième à Portland, et une cinquième à Boston. Voilà bien longtemps que j’ai compris que la vie n’était qu’un seul et unique voyage… mais il n’empêche que l’on peut quand même le découper en « sous voyage ». Donc oui, c’est à Chetumal qu’a commencé mon aventure en solitaire. À Chetumal que je me suis retrouvé tout seul à me dire « bon, et là je fais quoi ? ». Avec mon espagnol bredouillant, et une connaissance bien limité du Mexique. Un mois à peine. Seulement un mois depuis que je suis parti de Chetumal. Je ne parle toujours pas couramment espagnol, mais je me débrouille mieux. Je suis beaucoup moins perdu. Et surtout, je comprends déjà beaucoup mieux ce pays, que j’ai appris à aimer. Chetumal, Mahahual, Tulum, Valladolid, Merida. Tout ça, déjà. En si peu de temps, et en si longtemps… et bientôt, je quitte le Mexique. Bientôt. Avant, il me reste une dernière chose à faire.

    Accélérer encore un peu.

    Parce qu’il y a un dernier endroit où je veux aller. J’ai regardé la possibilité d’y aller en bus, mais c’était beaucoup trop complexe. Et au final, presque aussi cher (peut être même plus cher, en fait) que l’option que je m’apprête à prendre.

    Je fais signe à un taxi. Je lui montre l’adresse. Il me dit « 50 pesos ». Ça me va. On part. On discute un peu. Au bout d’un moment, je lui explique que je vais récupérer une voiture de location. Je sens qu’il y a quelque chose qui change dans son attitude. Il demande le nom du locataire. Il demande à revoir l’adresse. Il me dit « mais pour aller là, c’est beaucoup plus loin. C’est beaucoup plus cher. 200 pesos ». Le chauffeur qui réalise avec du retard que malgré mon look de voyageur sans le sous, y avait peut être moyen de grappiller un peu plus. Je proteste. Je lui dis que non, je lui ai montré l’adresse, et qu’on a convenu de 50 pesos. Il insiste pour 200. Je ne dis rien. On verra bien.

    On finit par arriver. Il me demande 200 pesos. Je refuse une fois de plus. Il insiste. Je regarde dans mon portefeuille. Je n’ai que des billets de 100. Pas de billets de 50. Je suis fatigué, j’ai pas envie de me prendre la tête. Je sais que je devais argumenter pendant quinze minutes pour récupérer la monnaie sur mon billet de 100. Je n’ai pas envie de ça. Je dis « 100 » et il accepte sans hésitation. Content. Je lui tends mon billet avec mépris. Je lui en veux. Je m’en veux un peu aussi, d’ailleurs. Enfin…

    J’entre dans l’agence de location. J’ai trouvé un super deal sur internet. 20 USD pour deux jours. Difficile de faire mieux et de ne pas se laisser tenter. Le responsable commence à me parler d’assurance, de dépôt sur la carte de crédit. Il insiste pour que je prenne les assurances. Qui valent 97 USD. Je refuse catégoriquement. Lui disant que j’ai ce qu’il faut. Il insiste un peu, mais je refuse. Il m’explique qu’il faut au moins que je prenne des assurances juridiques. « Si vous avez un accident, la police peut vous mettre en prison pendant quelques jours, il vous faut des assurances juridiques ». Je refuse, argumentant que j’ai déjà. C’est vrai. Pour ce voyage, exceptionnellement, je me suis blindé côté assurance. Y a sûrement plein de closes limitatives écrites en tout petit, mais je suis couvert pour beaucoup de choses. Parce que faut pas déconner, quand même… j’arrive donc à refuser tout ce qu’il me propose. Jusqu’à ce qu’il me dise « bon, et bien on va prendre l’autorisation sur la carte de crédit. Ça fera 5000 USD ». Je le regarde avec des grands yeux ronds. D’habitude, pour une location, la demande d’autorisation est de 500 USD. Je ne comprends pas, je lui dis. Il me répond que c’est parce que j’ai pris aucune assurance, rien du tout. C’est écrit en grosse lettre dans les conditions d’utilisation. Il me montre. Il a raison. C’est même pas écrit en petit. Il essaie de passer la carte. Sans surprise, celle-ci change de couleur devant le montant demandé. Autorisation impossible. Location impossible. C’est reparti pour argumenter. « Si vous voulez, j’ai une autre option. Plutôt que le tarif internet, je vous fais le tarif agence. Il est un peu plus cher, mais il comprend les assurances. Il y en a pour 37 USD ». Je le regarde encore un peu, halluciné. Les assurances qu’il essayait de me vendre pour 97 USD sont incluses dans les 37 USD qu’il me demande ? Allez… je suis pas à 17 USD près.

    Quelques minutes après, je suis au volant d’une petite cavalier blanche. Direction : les ruines de Calakmul, à 250 kilomètres à l’ouest. Avec deux étapes sur le chemin. Après hésitation, je décide de faire les étapes à l’aller, et de faire Calakmul tôt le lendemain avant de rentrer à Chetumal et rendre la voiture. Ça se fait.

    Xpuhil 

    Première arrêt, juste après la ville de Xpujil (prononcez Chpurhil) pour les ruines de Xpuhil (prononcez Chpuhil). Ces ruines, comme Becán, celles d’après, je les ai choisies pour une seule et unique raison : elles étaient sur mon chemin. Quand je dis sur mon chemin, il s’agissait d’un détour de 10 mètres pour les premières et de 300 pour celles d’après. Je pouvais donc m’y arrêter sans problème.

    À l’entrée de Xpuhil, un panneau explique que les mayas ont créé des sociétés complexes et individuelles, chacune différente par son rôle économique, politique et religieux. Ils ont fondé des villes et des villages, construits d’importants édifices publiques (au niveau agricole, culturel, routier…). Ils ont développé l’art, leur propre forme d’écriture, et atteint un très haut niveau en mathématique et en astronomie.

    L’histoire maya se décompose en trois périodes :

    – le préclassique (2000 avant JC à 300 après JC)
    – le classique (de 300 à 900 après JC)
    – le post classique (de 900 à 1500 après JC).

    Chaque période ayant ses propres sous périodes, plus ou moins complexes.

    Le principal pic de construction et la plus haute densité de population se sont produits pendant la période post classique.

    Le panneau termine en précisant que les mayas n’ont jamais été aidé par les extraterrestres pour accomplir ce qu’ils ont accompli. C’était un peuple ingénieux et travaillant dur. Il y a, je trouve, une note d’amertume dans ce commentaire. Et je la comprends assez bien.

    C’était ? C’est, plutôt. Les mayas n’ont pas disparu. Ils ont abandonnés certaines villes pour en fonder d’autres. Et à partir du 16e siècle, la rencontre/fusion entre les mayas et les européens a entraîné la renaissance du sud du Mexique, du Guatemala, du Belize, et de l’ouest du Honduras et du Salvador. De nos jours, les mayas vivent dans de nombreuses communautés rurales, quand ils n’ont pas décidé de s’intégrer d’eux-mêmes dans les villes plus « européennes », qu’ils enrichissent de leur héritage culturel et historique.

    C’est agréable à lire. Et je trouve ça dommage que cette information n’apparaisse qu’ici, dans une ruine à l’écart de tout. Je trouve regrettable que la culture maya et son héritage ne soit pas mis plus à l’honneur dans les sites majeurs, comme Chichen Itza, Uxmal ou Tulum. Certes, il y a beaucoup d’art maya (ou d’inspiration maya) en vente. Certes, on voit des mayas. Mais ils ressemblent plus à des décorations destinés à faire plaisir aux touristes qu’à des êtres vivants. Qu’à une culture encore vivante.

    C’était -et c’est toujours- l’un de mes objectifs en venant ici, en Amérique Centrale. Découvrir plus cette culture. Je suis curieux de voir ce que les civilisations antiques partagent entre elles. Les amérindiens au nord, les mayas, les aztèques et les incas au sud, ou encore les aborigènes en Australie. J’ai envie de retourner à Bali, pour revisiter ses temples, avec un autre regard. J’ai envie de… j’ai envie d’apprendre, de découvrir, de m’enrichir, encore et encore. Et j’ai l’impression que mon enrichissement personnel passe plus par les cultures ancestrales que par la dernière émission de téléréalité. Oui, je sais, je fais dans la caricature. Si je voulais être honnête, puisque je suis dans la caricature, je devrais plutôt parler des sacrifices humains. Bon, perso, c’est pas mon truc. Ce n’est pas ce que j’ai envie d’apprendre. Non, ce qui m’interpèle, c’est la spiritualité maya (et des autres cultures). C’est le lien qu’ils ont avec la terre, avec le ciel, avec la vie. C’est d’apprendre à comprendre un peu plus en détail ce concept de Yak’che, Yaxche, Yax’ke que je commence à croiser de plus en plus souvent. À l’heure actuelle, je suis plus intéressé par la spiritualité que par le matériel. Cette affirmation me parait déjà beaucoup moins caricaturale.

    Xpuhil a été redécouverte vers la fin des années 30. Le nom fait référence à un certains types de végétation qui pousse dans les environs (autour des trous d’eau). Le site a atteint son apogée entre 500 et 750 après JC. Son déclin, et sa dernière période d’occupation, remonte aux alentours du 12e siècle.

    Structure IV 

    Explorée en 1993 pour la première fois, il s’agissait d’un palace situé dans la zone principale du site. Très bel exemple de l’architecture de style Rio Bec (qui domine la région) : un rôle à la fois administratif et résidentiel, construit sur une très grande plateforme dont l’escalier principal fait face à l’est. Il est constitué de nombreuses chambres, la plupart contenant des bancs en pierre (qui servaient aussi de lit). Les chambres étaient également décorées de demi colonne. Les pièces étaient fermées par des rideaux épais (on voit encore les trous qui servaient à tenir les tringles dans certaines portes), qui fournissait de l’intimité aux gens, tout en empêchant la lumière du soleil (et sa chaleur) de rentrer.

    Structure II 

    Ce bâtiment, long et bas, était sans doute la maison de l’un des membres de l’élite de Xpuhil. Lui aussi construit sur une longue plateforme, avec l’escalier faisant face à l’est, et de nombreuses chambres. Celles-ci, autrefois, avaient un toit en pierre, construit avec une voute maya.

    La présence des bancs dans la structure confirme que le bâtiment était utilisé à des fins résidentiels (là encore, les bancs servaient également de lit). Le bâtiment étant situé au centre du site, en face de l’une des principales structures de Xpuhil, confirme l’importance social et politique des personnes qui habitaient ici.

    La façade principale n’a pas été conservée, mais les spécialistes pensent que -comme la plupart des bâtiments de type Rio Bec- elle était décorée avec les éléments classiques : des motifs d’échiquier, des croix, et des éléments serpentins. Tout indique que le bâtiment a été construit entre 700 et 850 après JC.

    C’est aussi la première fois que je vois des traces de pigments originaux. Oui, j’ai eu confirmation, le orange que l’on voit sur les pierres correspond aux couleurs utilisées à l’époque (ce sont les couleurs d’origine, juste « un peu » passées). Ça permet d’avoir une bonne idée du côté très coloré des bâtiments, en effet…

    Structure I 

    Connu également sous le nom du « bâtiment aux trois tours », c’est un exemple atypique du style Rio Bec qui (s’inspirant de Tolkien ? ) construisait plutôt des bâtiments avec deux tours. La troisième, la tour centrale, est donc des plus surprenante.

    La hauteur maximum du bâtiment est de 18 mètres, et il mesure 53 mètres sur son axe central, dans un alignement parfait nord-sud. Il compte douze chambres, toutes parfaitement alignées sur les points cardinaux, et avec des toits voûtés (toujours cette voûte de type maya).

    La façade principale fait face à l’est, l’orientation la plus importante dans l’univers précolombien des mayas. Les tours aux extrémités (nord et sud, donc) sont orientées de la même façon. Côté est, l’entrée d’un ancien escalier permet d’accéder à une partie de la tour.

    Le bâtiment, là encore, était érigé sur une plateforme, profitant également d’un léger rehaut du terrain.

    Chaque tour était couronnée d’un temple, et décorée en façade par un autre élément classique du style Rio Bec : un faux escalier. La taille des marches tout comme l’inclinaison de l’ensemble le rendait dangereux à utiliser, et son rôle était donc uniquement décoratif. Au centre de chaque escalier se trouvait un masque décoratif, spécifiant le rôle religieux de chacune des tours.

    Alors que je m’approche du lieu, une personne m’approche. J’ai l’impression que c’est quelqu’un qui travaille ici. Ou peut être pas, je sais pas. Mais on discute pendant un moment. Il propose de me faire faire un petit tour. Il est agréable, souriant, et j’accepte avec plaisir. Il me donne quelques informations. Je n’en comprends que la moitié. Il a surtout tendance à redire ce que l’on trouve sur les panneaux, mais c’est agréable de discuter avec lui. Et puis il me montre l’escalier, qui monte dans la tour est. Je crois comprendre qu’il me dit que je peux monter. J’hésite quand même un peu, je demande confirmation, il me la donne. « Il faut juste faire attention, c’est dangereux, mais je garde un oeil sur toi ». Je le remercie, monte. La vue est très chouette d’en haut. Il est rare d’avoir l’occasion de monter / s’approcher des ruines. Il est encore plus rare de pouvoir rentrer dedans. Alors j’en profite au maximum.

    Je discute encore un peu avec Leon, mon guide improvisé. Puis il me dit qu’il va continuer son chemin. « Et si jamais vous avez une petite pièce, ce serait vraiment très apprécié ». Je lui fais un sourire. Lui donne dix pesos. Il me remercie avec enthousiasme et reprend sa route.

    Je quitte les lieux le coeur léger, heureux de cette agréable découverte plus ou moins imprévue.

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