Laurie m’avait presque découragé d’aller à Chichen Itza. Blindé de touristes, bâtiments inaccessibles, vendeurs omniprésents, envahissants, et limite agressifs… le tableau qu’elle m’avait présenté n’était pas forcément des plus tentants ni des plus inspirants. Mais Chichen Itza était sur mon chemin. Ce n’était pas un détour d’y aller. Et les ruines me tentaient quand même beaucoup. Je savais que ça allait être un peu cher. Je savais que c’était l’un des lieux les plus touristiques de la région… mais personnellement, je trouverai ça dommage de ne pas aller au sommet de la Tour Eiffel juste parce qu’il y a du monde. De rater Time Square parce qu’il y a des gens de partout. De laisser tomber l’ascension de la Sears Tower à cause de la file d’attente. Oui, ça peut être frustrant. Oui, ça peut être énervant. Mais ça fait aussi parti du « jeu ». Même quand on est voyageur, je pense qu’il est important d’être touriste parfois… j’ai quand même eu un moment d’hésitation. Et puis j’ai décidé de passer au travers. J’ai décidé que tout se passerait bien, et que j’allais en profiter quand même.
Un colectivo m’a déposé sur le grand parking à l’entrée des ruines. Il est vrai que juste compter les autobus sur le parking était impressionnant… j’ai ignoré le marché d’artisanat, et je me suis dirigé vers l’entrée. J’ai payé mon billet (le plus cher que j’ai jamais payé jusqu’à présent) et j’ai essayé de rentrer sur le site. J’ai été bloqué dans mon élan par un garde. Un garde perturbé par ma flûte. « Vous ne pouvez pas rentrer avec un instrument de musique. Il faut payer un permis spécial pour amener un instrument de musique sur le site ». Je le regarde un peu bizarrement. La dernière fois que l’on m’a embêté avec ma flûte, c’était sur un vol Bali – Sidney. Jet Star est la seule compagnie à avoir refusé que elle monte à bord avec moi. Et oui, je garde beaucoup de rancune à leur égard. Je commence à discuter un peu, à négocier. Hors de question que je la laisse dans une consigne. Elle vient avec moi visiter les ruines. J’arrive finalement à obtenir un accord. Et si jamais je suis surpris en train de jouer sur les lieux sans permis, elle sera confisquée.
Je suis entré sur le site. Un long chemin, parsemé de vendeurs itinérants, en effet. J’ai déjà enlevé mes chaussures. Après tout, comme dit le proverbe, « mieux vaut aller pieds-nus que mal chaussé ». J’ai la flûte qui dépasse dans le dos. Mon pantalon de ninja hippie… je ne dois pas avoir une tête de touriste intéressant à embêter. Plutôt de voyageur sans argent. Parce qu’à peu près aucun vendeur ne tente de m’aborder pendant tout le temps que je passerai sur le site. Et j’en passerai du temps ! Et j’en verrai, des vendeurs ! Les seuls qui tentent de me parler, je leur réponds d’un « no, gracias » accompagné d’un gigantesque sourire. Du coup, personne n’insiste. Et les vendeurs ne me dérangeront pas le moins du monde ! Même si je ne peux m’empêcher de les regarder s’acharner sur certains touristes qui eux ont bien du mal à s’en débarrasser. Comme quoi, ne pas ressembler à un touriste, ressembler à rien, si j’ose dire, ça aide quand même pas mal. Ça permet de se concentrer uniquement sur les bâtiments, ce qui me va bien.
Au final, les touristes m’agaceront beaucoup plus que les vendeurs. Je propose que l’inventeur du selfie soit envoyé directement en enfer, sans passer par la case purgatoire. Pour l’inventeur de la perche à selfie, je propose une mise à mort par indigestion de de Justin Bieber qui tourne en boucle 24h / 24. On pourrait ensuite achevé Bieber, et l’envoyer en enfer aux côtés de l’inventeur de la perche à selfie, pour qu’il continue à lui jouer de la « musique » en boucle. Sérieusement, j’ai du mal à visualiser pire invention que la perche à selfie. Enfin bref…
El Templo de Kukulcán
L’arrivée sur le site ne se fait pas en petit. Nous sommes tout de suite accueillis par la grande pyramide. L’emblême de Chichen Itza. Et très clairement l’une des images les plus connues de l’empire maya. Elle est là, majestueuse, dominante, écrasante, unique. C’est d’ailleurs le sentiment qui dominera ma visite. Les ruines sont fières, orgueilleuses. Elles veulent dominer, écraser, gouverner, prouver leur puissance. Même aujourd’hui, c’est toujours cette même volonté qui les anime…
Déjà dominante à l’époque de l’apogée de Chichen Itza, la pyramide n’a pas perdu de son importance par la suite. Des siècles après sa construction, au moment de la conquête espagnole, elle restait un haut lieu de pèlerinage pour les habitants de toute la péninsule. Ils venaient rendre hommage aux dieux de la pluie, et sans doute aux ancêtres du peuple Itza.
À l’intérieur de la pyramide, une autre pyramide, plus petite. Le temple du jaguar rouge. Orientée de la même façon que la pyramide principale, elle est -paraît-il- parfaitement préservée. Et impossible à visiter…
J’essaie de fonctionner avec méthode. Il y a plein de bâtiments partout autour qui m’appellent, qui veulent que j’aille les voir… mais je procède un par un, pour ne pas me perdre. Pour les découvrir tous, les connaître et les comprendre.
Le tour d’El templo de Kukulcán se fait sans problème. L’herbe est douce sous mes pieds. Découvrir les différentes faces de la pyramide permet de découvrir les différents états de rénovation. Mon point de vue préféré restera, je pense, celui d’une pyramide à moitié rénovée d’un côté, à moitié endommagée de l’autre…
El Gran Juego de Pelota
Tout de suite à gauche en entrant, quand vous avez fini d’être impressionné par la pyramide -enfin non, on ne finit pas d’être impressionné, on réussi à se débloquer d’elle et à se déshypnotiser pour regarder ce qu’il y a autour- vous tomberez sur le plus grand terrain de jeu de Pelote Maya de meso-amérique. Un peu leur stade olympique, en quelque sorte.
Deux grands murs, délimitant un terrain rectangulaire. Sur ce murs, on trouve les anneaux/”buts”. Le bas de ces murs, un peu incliné, est décoré de scène représentant le sacrifice des joueurs. Aux deux extrémités plus étroites, des murs bas servent d’assise à des bâtiments richement décorés de bas reliefs et de peinture. À l’est, le temple des jaguars et des boucliers présentent des images de processions de dignitaires, et des scènes de batailles.
Plateforme des crânes
Oui, Chichen Itza était un endroit sympathique. Une ville vivante. Enfin pour la plupart du monde. Si on continue l’exploration en suivant la course du soleil dans le ciel, on arrive à la plateforme des crânes. L’utilité de l’endroit ? Exposer les crânes des ennemis et des prisonniers offerts en sacrifice.
Les crânes sont empilés les uns sur les autres, dans la création d’un bâtiment à l’objectif évident : effrayer. Tout le monde. Aussi bien les voisins que des rebelles potentielles. Encore mieux que le gibet de potence à l’entrée de la ville !
Plateforme des aigles et des jaguars
Sur cette plateforme rectangulaire, qui fait face à la grande pyramide, on trouve de nombreuses sculptures d’aigles et de jaguars en train de manger des coeurs humains. Les quatre escaliers, sur chaque côté, sont décorés de serpents à plumes. Le style de l’ensemble est dans un mélange maya et tolhtèque. A priori, il y a eu de nombreux échanges entre ces deux civilisations.
El Cenote Sagrada
Derrière la plateforme part le Sacbé 1. Sacbé. Chemin blanc. Comme à Mujil et ailleurs, ce sont ces avenues plus importantes et mieux dessinés que les rues ordinaires. Le Sacbé 1 rejoint une cenote sacrée. Autrefois recouvert de pierres blanches, il est aujourd’hui recouvert de vendeurs. C’est l’endroit où il y en a le plus. Où ils sont le plus pénibles. Et pourtant, là encore, un simple « no gracias » accompagné d’un immense sourire suffit. En fait, je pense que c’est surtout le sourire. Les autres touristes ne leur sourient pas. Ils leur répondent avec mépris. Ils méprisent ces gens qui essaient juste de gagner un peu leur vie.
Un peu après, on arrive sur le bord de la Cenote. Cenote que Laurie m’avait présenté comme ne valant pas la peine et en partie bétonnée. Je pense que l’on ne doit pas parler de la même. Parce que celle-ci est d’une belle rondeur, et ses parois sont bel et bien naturelles…
Je suis pris d’un assaut de nostalgie et de tristesse en la regardant. Toutes les cenotes que j’ai vues jusqu’à présent avaient une belle eau bleue, claire, transparente. Mais celle-ci ? Celle-ci est verte, stagnante. J’ai l’impression qu’elle est morte. Qu’elle a été abandonnée, ou quelque chose du genre. Le sentiment est des plus étranges. Une cenote peut elle mourir ? Ou est-ce simplement que le temps où elle était réellement sacrée et vénérée lui manque ? Caché dans les bois, tout seul dans mon coin, elle chante pour la cenote. Je ne sais pas si ça la console. Si ça lui fait du bien. Les lieux restent toujours horriblement triste… mais c’est tout ce que je peux faire…
Le temple des grandes tables
De retour sur le site principal, je continue ma déambulation toujours dans le sens du soleil. J’arrive à une petite pyramide, relativement simple, mais qui me plait bien : el Templo de las Grandes Mesas. Il faut bien reconnaître qu’ils avaient quand même une certaine fascination pour la forme pyramidale.
Le temple des guerriers
Deuxième bâtiment emblématique de Chichen Itza après la grande pyramide, connu notamment pour les rangées de colonnes qui n’en finissent plus. Les colonnes symbolisent des guerriers, d’où le nom du temple.
La place des mille colonnes
Derrière le temple des guerriers, se trouve une zone plus ancienne de la ville. Une grande place, fermée de tous les côtés, par des bâtiments aux centaines de colonnes. Sans doute une place de marché, ou un lieu de rassemblement important.
L’ossuaire
Je continue de me promener dans la partie plus ancienne de Chichen Itza. Ici, les bâtiments sont peut être un peu moins hauts, sans doute un peu moins imposants. Ils donnent presque l’impression d’être abandonnés depuis plus longtemps… en tout cas, ils sont abandonnés par les touristes. Cette zone là, un peu à l’écart, est moins visitée que le reste du site.
La pyramide de l’ossuaire me plait beaucoup, alors qu’elle ressemble aux autres pyramides que j’ai vues. Juste devant, une grande plateforme ronde, hommage à Venus. Comme à Tulum, et comme en de nombreux lieux mayas, Venus était fortement vénérée.
L’ossuaire, avant de devenir un lieu de funérailles, était un lieu de vénération. Le centre d’un complexe spirituel, formé en plus par la plateforme et une autre cenote reliée à l’ensemble par une route, elle aussi sacrée.
El Caracol
La suite de la promenade indique un bâtiment dont le nom m’intrigue. « El Caracol ». L’escargot.
Note en passant, le mot « caracol » en espagnol me fascine, quand on sait qu’en français on « caracole » en tête. J’aime ce mot qui prend deux significations complètement opposées d’une langue à l’autre. Et puis j’aime sa sonorité, tout simplement.
Caracol, aussi connu comme l’Observatoire (car c’en est un !) tient son nom à l’escalier en spirale qui permettait d’accéder à la partie supérieure du bâtiment.
J’ai un coup de coeur pour ce bâtiment. Pour son demi dôme. Pour sa forme. Il est différent. Il me plait. Je le trouve original. Et sans hésitation, il devient l’un de mes bâtiments préférés de la ville.
Chichen Itza est sans contexte les ruines les plus étendues et avec le plus de bâtiments que j’ai pues voir jusqu’à présent. Je soupçonne les groupes de faire le tour en moins de deux heures, en allant voir la grande pyramide, le jeu de balle, et le temple des milles guerriers. Puis de passer à autre chose. Pourtant, il y a tant et tant de choses à voir. Et je finis presque par avoir l’impression que ça ne se terminera jamais. Pour mon plus grand bonheur. Parce qu’après tout, au prix de l’entrée, autant en avoir pour son argent ! Et parce que oui, ça me plait ici !
La maison des couleurs
Pourtant, la visite touche belle et bien à sa fin ! J’approche du bout. Je fais un détour par un dernier bâtiment. La maison des couleurs. Ou encore « la maison rouge » parce qu’a priori, l’intérieur était entièrement peint en rouge à l’époque.
Je finis ma balade tranquillement. Je dis au revoir à l’Observatoire. Puis à la grande pyramide. Puis au site. J’en ai eu plein les yeux. Les lieux sont magnifiques. Je n’ai eu aucun problème avec les vendeurs. Les touristes étaient nombreux, mais le site est gigantesque, et eux n’ont plus ne m’ont presque pas dérangé. Je repars heureux de ma visite, content de ne pas l’avoir rayée de la liste, parce que franchement, Chichen Itza en vaut la peine !
Salut Seb,
De bien belles images qui font envie et se demander ce que pouvaient faire les hommes qui vivaient ici en ces temps là.C’était de sacrés bâtisseurs et artistes.
Bises et à bientôt.
[…] ville de Flores fut fondée par les Itzas. Comme dans Chichen Itza, oui. Le peuple fut chassé du Yucatan, et pris la route du sud. Ils s’installèrent sur une […]