Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionJanuary 1st, 2017

Les histoires sont là. Tout autour de nous. Il nous suffit de tendre l’oreille et d’écouter. Elles n’attendent qu’un peu d’attention de notre part. Celle-ci m’a été murmurée alors que j’explorais le Cap de Creus, pour célébrer le premier jour de l’année 2017 et profiter d’un magnifique soleil méditerranéen… C’est avec cette histoire que j’ai commencé l’année ; il me semble que la moindre des choses, c’est de la partager avec vous… bonne et heureuse année à tous !

Nous avons tous entendu parlé du déluge, et de l’arche de Noé. Dieu, déçu de sa création, avait décidé de noyer la terre sous une pluie qui dura cent jours. Avant cela, il demanda à Noé de construire une arche gigantesque, et d’emporter un couple de chaque animaux à bord. Si le déluge a bien eu lieu, Noé, lui, n’a jamais existé. Ce sont les hommes qui, des siècles plus tard, l’ont inventé. Car ils ne pouvaient pas accepter les faits : Dieu avait déjà perdu confiance en ses fils. Il savait qu’Il ne pouvait compter sur eux. Ce n’est pas l’aide de Noé qu’Il demanda, mais celle des animaux les plus sages de la création : les tortues géantes. Elles étaient au nombre de sept, et parcouraient la terre depuis des centaines d’années. Avec calme et lenteur. Elles avaient appris la patience et la tranquillité.

Dieu rassembla les sept tortues et leur parla longtemps, leur expliquant ce qu’Il comptait faire. Et à cinq d’entre elles, Il confia une liste d’animaux à sauver. Une tortue par continent qui émergerait après le déluge. Mais à la plus vieille et à la plus jeune, Il ne confia aucune liste.
– Tu es trop jeune. Tu n’auras pas la force de nager pendant cent jours avec tous ces animaux sur le dos. Tu es trop vieille. Tu n’auras pas l’endurance de nager pendant cent jours avec tous ces animaux sur le dos.

Les cinq tortues s’en allèrent pour récupérer les animaux qu’Il leurs avait confiés, laissant leur deux sœurs derrière elles.
– Que vas-tu faire, demandant la plus jeune à son ainée ?
Celle-ci réfléchit un peu avant de répondre.
– Je vais partir d’ici. Si Dieu ne me fait pas confiance à moi, la plus vieille et la plus sage, alors je ne lui fais plus confiance à Lui. Je vais partir, et sauver mes amis. Et toi, que vas-tu faire ?
La plus jeune réfléchit à son tour.
– Je vais partir aussi. Si Dieu ne me fait pas confiance, moi qui suit la plus jeune et sûrement la plus forte, alors je ne lui fais plus confiance non plus. Je vais désobéir, et sauver mes amis.

Les deux sœurs s’embrassèrent chaleureusement, et se dirent au revoir en se souhaitant bonne chance.
La plus vieille n’avait plus beaucoup d’amis. Ils n’étaient à vrai dire plus que quatre. Quatre éléphants, aussi vieux et aussi sages qu’elle. Elle leur raconta ce que Dieu lui avait dit à ses sœurs et à elle-même, et les invita à monter sur son dos. Les éléphants remercièrent leur amie. Ils s’installèrent tant bien que mal sur sa carapace. Elle avait beau être gigantesque, eux-mêmes étaient très grands. Mais en se collant, épaule contre épaule, ils pouvaient tenir. Quand tout le monde fut installé, la tortue prit son élan, avant de faire un grand bond vers l’espace. Ni elle ni les éléphants ne sont jamais revenus sur terre, mais on trouve des traces de leur passage dans d’autres mythes et d’autres légendes.

La jeune sœur avait déjà rassemblé ses amis et leurs avait expliqués la situation quand ils virent la vieille tortue prendre son envol.
– C’est parfait, dit l’aigle. C’est ce que nous devons faire !
– Je suis d’accord, dit le toucan. Partons loin d’ici !
– Attendez… ça n’est peut-être pas impressionnant pour vous, parce que vous pouvez voler ! Mais moi, je ne peux pas. Et j’ai le vertige, commenta le chameau.
– Oui, oui, je suis d’accord avec le chameau ajouta le crocodile !
– Moi je retombe toujours sur mes pattes, dit le chat, mais je ne veux pas retomber dans l’eau si quelque chose se passe mal !

Tout le monde se tourna alors vers la tortue.
– Que doit-on faire, demanda l’iguane.
La tortue hésita un peu. Mais pas très longtemps. Elle était impressionnée par le bond qu’avait fait son ainée. Elle qui se croyait jeune et en pleine forme doutait d’être capable d’égaler la prouesse de sa sœur !
– Eh bien… eh bien ce que nous allons faire, c’est que nous allons rester ici ! Vous montrez tous sur mon dos, et je nagerai en attendant la fin du déluge !
– Nous ne serons pas trop lourd pour toi, s’inquiéta le babouin.
– Bien sûr que non ! Je suis jeune et forte !

Quand la pluie commença à tomber, les amis grimpèrent sur la carapace de la jeune tortue et attendirent. Ils étaient trempées, mais ils ne pouvaient pas y faire grand chose. Et la pluie tomba, et tomba encore. Et l’eau commença à monter. Et la tortue se mit à nager. Au début, ce fut très facile. C’était une nageuse expérimentée, elle avait l’habitude. Mais après deux semaines, elle se rendit compte qu’elle allait avoir besoin de beaucoup plus d’énergie que ce qu’elle pensait. Parce qu’avec le poids de ses amis sur son dos, elle ne pouvait pas se laisser flotter. Et après deux mois, elle comprit que Dieu avait peut-être raison après tout. Peut-être bien qu’elle était trop jeune, encore, pour avoir l’endurance nécessaire. Mais elle luttait, encore et encore. Parce que la vie de ses amis dépendait de sa force.

Et au bout de cent jours, la pluie s’arrêta. Pourtant, le combat de la tortue n’était pas encore fini. Il fallait désormais attendre que l’eau baisse. Elle nageait désormais sans s’en rendre compte. C’était devenu sa nature intrinsèque. Elle nageait sans réfléchir. Elle n’avait plus la force de penser.

– Terre, terre !

Le cri du chameau la sortie un peu de sa torpeur. Il y avait un grand ciel bleu. Le soleil était chaud. Et loin à l’horizon, en effet, elle distinguait une bande de terre. Ses forces l’avaient abandonnée. Elle était jeune ; elle n’était pas aussi endurante que ce qu’elle pensait. Mais elle avait plus de volonté que quiconque. Elle savait que la vie de ses amis dépendait de ce dernier effort. Elle savait qu’elle n’avait pas fait tout cela pour rien. Elle réunit ses dernières forces, et nagea jusqu’au rivage où elle s’échoua. Elle tendit la tête le plus loin possible, pour que ses amis puissent descendre sans danger. Et tous le firent. Ils étaient sains et saufs. Chacun à leur tour, ils remercièrent leur amie. Quand tous furent à terre, elle les regarda avec un dernier sourire.

– Maintenant, je crois que je vais dormir un peu.

Et elle s’endormit. Elle était si fatiguée que le sommeil n’était plus suffisant pour qu’elle se repose. Elle avait épuisée ses dernières forces. Elle ne se réveilla jamais.

Ses amis la pleurèrent longtemps. Et là, sur ce petit bout de terre que des siècles plus tard les hommes appelèrent Cap de Creus, leurs larmes se figèrent dans la pierre à tout jamais.

larme

– Que fait on, maintenant, demanda le toucan.

Tous les regards se tournèrent vers le chameau qui était le plus vieux et le plus sage de tous.
– Je propose que nous restions ici. En hommage à notre amie qui nous a sauvé la vie, restons ici près d’elle, pour que jamais nous ne soyons séparés.

Et tous acquiescèrent. Et tous firent de la côte leur nouvelle maison. Le temps passa. Chacun à leur tour, ils vieillirent, et moururent. Mais ils avaient fait la promesse de rester près de leur amie, et c’est ce qu’ils firent. Ils ne bougèrent pas. Le chameau, qui s’était installé un peu en hauteur pour veiller sur tout le monde, fut le dernier à partir. Comme chacun de ses amis, il ne bougea pas. Et tous, petit à petit, siècle après siècle, se changèrent en pierre, créant le paysage unique que nous pouvons admirer encore aujourd’hui. Preuve éternelle que l’amour que l’on a pour ses amis peut permettre de vaincre tous les obstacles.

aigle

Cette histoire était là, qui attendait. Elle attendait que quelqu’un passe et soit prêt à l’entendre. Pourquoi m’attendait elle moi et pas quelqu’un d’autre, je n’en ai aucune idée. Sans doute parce que je suis réceptif aux histoires qui volent. Peut-être parce que je sais écouter les mots que nous soufflent le vent et les vagues.

Et peut-être aussi parce que j’ai déjà croisé deux autres des sœurs tortues. L’une a nagé jusqu’en Australie. Après avoir débarqué ses passagers, elle a marché jusqu’au cœur du désert rouge, offrant sa carapace aux peuples aborigènes. Ils l’appelèrent Uluru. Une autre a remonté le fleuve Saint Laurent. Elle s’est arrêtée sur une île qui lui plaisait, au milieu du fleuve et a décidé de rester ici. Des siècles plus tard, les hommes lui ont donné le nom de Mont Royal.

Quand à moi… maintenant que je connais cette histoire, j’ai le sentiment qu’il me reste encore trois autres tortues à trouver. Et pour cela, je n’aurai d’autres choix que de continuer à parcourir le monde…

babouin

babouin

crocrodile

crocodile

elephantdemer

éléphant de mer

iguane

iguane

lievre

lièvre

poisson

poisson

tortue

Et bien sûr, la tortue…

Vous aurez aussi reconnu l’aigle un peu plus haut, et le chameau en ouverture de l’article.
Pour voir les autres, il vous suffit d’aller sur place. Et d’observer un peu…

Un commentaire

  1. Commentaire de pascale fernbach

    merci sébastien pour ce magnifique conte, qui nous donne de l’espoir en ce début d’année, et ces belles photos ensoleillées, nous qui sommes dans le brouillard depuis quelques jours.

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