Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionNovember 5th, 2015
  • Je suis tombé malade. Sans grande surprise. Je m’y attendais un peu. J’ai tiré sur la machine tout l’été, sans prendre le temps de m’arrêter. De me poser. De réfléchir. J’ai démonté des pièces, remonté des pièces, démonté des toits, remonté des toits, voyagé en Allemagne, rêvé… j’ai eu un été complètement fou. Absolument super. Épuisant. Je pensais ralentir arrivé en Amérique du Nord. J’ai vécu Montréal à la folie (comme il se doit) sauter vers l’Oregon, revenu vers Boston. Et au lieu de ralentir, j’ai continué d’avancer. On a fui des ouragans, fui des inondations, combattu les moustiques, slalomé entre les tirs croisés des terroristes au Mexique (oui, là, j’exagère un peu). J’avais eu un premier avertissement en Floride. Je commençais à sentir que je tirai trop sur la corde. Tout en sachant que je m’arrêtai bientôt. Je me demande comment fait Laurie pour ne pas avoir besoin de s’arrêter. Peut-être que je me fais vieux. Ou peut-être que oui, mon été a été intense… bref…

    Ça faisait trois jours que j’étais à Mahahual. C’était le vendredi soir. J’ai commencé à prendre mal à la gorge. Un mal de gorge un peu fort, mais comme j’en ai parfois. Rien d’inquiétant. Mais bon, j’avais cette bouteille de moonshine avec moi. J’ai décidé d’en prendre un peu. Ça ne fait jamais de mal. Je serai peut-être guéri le lendemain. Ça n’a pas suffit.

    Le hasard faisant toujours bien les choses, je suis tombé sur une québécoise -qui aide à Blue Kay- avec qui j’ai sympathisé un peu. Selon l’approche classique. « Je viens de Québec ». « De Québec même ou de Levis ? » (en gros, Levis est à Québec ce que Villeurbanne est à Lyon : une bonne partie de la population de la zone urbaine y habite). « Tu connais Levis ? ». « Bien sûr ; j’ai déjà été aux chocolats favoris ; j’aime bien les chocolats favoris » « ah ! Bin ma maison elle est juste derrière ». Bref, après avoir surpris Gabrielle il y a quelques années en lui sortant « ah, t’es une 450 ! » au plein milieu de Alice Springs, je surprends Frédérique avec ma connaissance de Levis. (relire ce poste sur Alice Spring me fait sourire, d’ailleurs, voyant les multiples parallèles. Du style de la ville, comme là bas, comme à Bali, ici on dort dehors et le concept de portes et un peu abstrait. Et puis le corps qui rappelle, de temps en temps, qu’il faut prendre une pause).

    Je continue donc de surprendre les québécois par ma bonne connaissance du pays. L’affirmation « j’ai vécu là bas 10 ans » ne suffit pas. Comme si « dix ans », au final, ça ne voulait pas dire grand chose. Après tout, il est vrai que certaines personnes vivent plus de trente ans au même endroit sans jamais vraiment s’y intéresser… Mais quand on commence à parler de politique fédérale et provinciale, quand je commence à parler d’urbanisme à Montréal, de visite aux Îles de la Madeleine, des Colocs et de mes Aïeux, les gens comprennent que oui, je me suis imprégné du Québec. Avec cette sensation, encore aujourd’hui, de mieux connaître le Québec que la France…

    Frédérique m’a parlé d’une petite soirée informelle sur la plage, entre les Helpers de Blue Kay. Malgré le mal de gorge, c’est donc là bas que j’ai décidé de passer la soirée. Rencontrer un peu des gens, je suis pour ! Et c’est comme ça que je me suis retrouvé avec une dizaine de personnes (argentins, espagnols, mexicains, québécoise) devant le premier feu de camp de ce voyage ! À discuter, de tout est de rien. À m’intégrer, petit à petit. À prendre ma place. Ils ont attaqué à la Téquila. Puisque mes remèdes importés de la veille n’avaient rien guéri, je me suis dit que je pouvais bien m’essayer à la médecine locale. Un shooter, de toutes façons, ça ne peut pas faire de mal.

    Certains pourraient laisser sous entendre que j’ai un problème avec la téquila. Ce n’est pas du tout un problème. C’est juste que je ne dis pas non à la téquila. Ça ne se fait pas. J’ai trop de souvenirs associés à la téquila (oui oui, j’ai encore les souvenirs, ça veut tout dire ! ) pour que je puisse dire « non » à un shot. De ma première cuite, dont mes parents se souviennent peut-être (hey, j’fêtais en même temps mon bac et mon premier chagrin d’amour !), à une bouteille descendue à deux suite à un défi stupide, et tout ces shooters d’arrivée au Passeport… la téquila n’aime : jamais elle ne m’a laissé de mal de tête. Alors non, franchement, ça ne se fait pas de dire non. Ils ont fini par comprendre, en face, que je ne dirai pas non, d’ailleurs. Les « shooters » sont de plus en plus remplis. J’en compterai sept, il me semble. Ou huit. Ou seulement six ? Mais après tout, c’est pas grave. C’est médical, vous comprenez ? Et puis les discussions sont super intéressantes, et j’ai plaisir d’échanger avec ces amis d’un soir.

    Finalement, tout le monde finit par se séparer. Manuel, l’ami de Frédérique (et futur compagnon de voyage) me propose de me raccompagner. J’avoue que j’apprécie énormément le geste. Je suis dans un état bien avancé, dans un pays que je connais à peine, dont je ne parle pas vraiment la langue (quoi que, ce soir, sans surprise, mon espagnol s’en est bien sorti). Mais malgré les téquilas, je sais très bien où je vais. Je sais que le chemin de retour sera tranquille et agréable. Je remercie Manuel, lui disant qu’il n’a pas besoin de faire de détour. Et je rentre, sans encombre, à Ibiza. J’engloutie un verre d’eau, m’effondre sur mon lit, et m’endort. Je me réveille au milieu de la nuit la gorge en feu. Ça fait horriblement très mal. Je fais quoi ? Je suis trop fatigué pour faire quoi que ce soit. Je me rendors.

    Je passe une nuit plutôt agréable, et me réveille le lendemain… en ayant toujours mal à la gorge. Zut, si même les remèdes locaux ne fonctionnent pas, il faudra que je fasse quelque chose ? Surtout que là, ma voix commence à ne plus ressembler à rien. Maud s’inquiète pour moi. Sébastien a chopé une bactérie il y a quelques temps. Même symptôme. Il a guéri ça a coup d’antibiotiques. Que les choses soient claires, je suis encore tout à fait fonctionnel. J’ai mal à la gorge, un peu à la tête aussi. Je suis un peu fatigué. Mais j’arrive à aller du lit aux relaxes sur la plage puis à me glisser dans un hamac. Donc ça va, je ne vais pas si mal que ça ! J’hésite entre deux théories : soit mon système immunitaire est confronté à un microbe inconnu et il faut qu’il ajuste le tir, soit il a très bien compris comment ça fonctionne dans les caraïbes, et il n’est pas pressé de se mettre en route.

    Le dimanche passe tranquille. Je me dis quand même que si ça ne va pas mieux bientôt, j’envisagerai de faire quelque chose. Vous noterez que je me garde une marge de manoeuvre : « bientôt » « quelque chose ». Après tout, je suis dans des pays où il parait qu’ils ont des maladies bizarres. Mais oh, moi j’ai un système immunitaire boosté au lait maternel, aux légumes bios du jardin, et au bon air frais de la campagne. Alors les microbes, même pas peur. N’empêche, le dimanche soir, voyant que l’alcool ne fait pas assez d’effet, j’essaie une autre approche. Les vitamines. Vous savez, ces trucs étranges, qu’on trouve dans les fruits… hop, un smoothie kiwi mangue. Si avec ça j’ai pas la dose ! La fraicheur me fait un bien fou. Un vrai bonheur. Le goût aussi, mais ça c’est psychologique. Pas eu beaucoup de gâteries ces derniers temps moi ! Le concept de dessert et de sucreries est assez absent dans la région.

    Ça va beaucoup mieux le lundi matin. Je crois que j’ai vexé mon système immunitaire en parlant de son rythme digne des caraïbes. Certes, je ne suis pas guéri. J’ai encore mal à la gorge. Autant que la veille, presque. Mais je suis très clairement sur la pente descendante. Je le ressens. Non, je n’irais pas jusqu’à entrer dans les détails de mes expectorations. Mon corps en a assez lui aussi, il a décidé de se débarrasser de ce virus qui ce moque de moi (de lui ? de nous ?). Je passerai le lundi et une partie de mon mardi à tousser. Le mal de gorge a disparu le mardi matin. Ma voix redevient normale le mardi soir. Moi, mon système immunitaire, je l’aime bien !

    Étrangement, cette maladie, je l’aime bien aussi. Elle est arrivée juste au beau moment. Au moment où j’ai commencé à comprendre le rythme des caraïbes. Au moment où j’ai commencé à reprendre le contrôle des choses. Elle marque la transition d’une façon claire et évidente. Oui, comme si j’avais eu besoin d’être malade. Ça faisait longtemps, après tout. Peut être que mon système immunitaire s’ennuyait un peu, aussi.

    Toujours est-il que pendant ces quelques jours, donc, les choses ont un peu évolué. Je remets tout en perspective. Je suis pas trop mal ici. Ai-je envie de bouger à Tulum d’où je n’ai plus de nouvelles mais où, en théorie, je suis attendu ? Et si je faisais un peu de tourisme pendant quelques jours. Il y a tellement de choses à voir par ici… des cenotes, des ruines, Chichen Itza et les autres… il faudra que je prenne une décision à un moment. Sauf que soudainement, un nouvel argument est venu s’installer dans la balance.

    « Ah, tu es graphiste ? tu sais faire des sites internet ? ». Ouais, Juan le saurait s’il avait prit le temps de lire un peu mon profil. S’il s’intéressait un tout petit peu aux gens qui viennent, il aurait pu découvrir qu’il aurait beaucoup plus à gagner en me faisant faire autre chose que nettoyer la plage. Dommage pour lui. C’est lors d’une discussion avec Hugo que j’ai lâché l’information. Je continue à bien m’entendre avec Hugo. On discute un peu. J’ai envie de discuter plus… même si, en même temps, je me demande si j’ai vraiment envie d’avoir plus d’anecdotes du genre de celles qu’il a vécues.

    « Tu demanderais combien pour faire une page assez simple, pour Ibiza » ? La discussion devient intéressante… bassement matérialiste que je suis, il est clair que s’ils sont prêts à payer pour ça, moi je peux être prêt à rester quelques jours de plus par ici…

    Et puis je me suis trouvé une autre raison de rester quelques jours de plus. En fait, je suis très perplexe par rapport à Mahahual. Je suis quand même plutôt bien, c’est agréable, reposant, mais il n’y a pas grand chose à faire. Je ne suis pas plus utile que ça ici, je ne progresse pas plus que ça en espagnol, j’ai quelques contacts agréables avec les gens mais rien d’exceptionnel… bref, j’ai un peu l’impression de tourner en rond, de ne pas avancer, de ne pas progresser, de ne rien faire. Et si je ne rien faire pendant quelques temps, ça fait du bien parfois, je ne suis pas du genre à aimer rien faire pendant trop longtemps. Et là, une semaine déjà, c’est beaucoup je trouve ! Sauf que Tulum ne réagit plus du tout à mes messages, et ça m’agace un peu. Je n’ai pas envie de débarquer comme ça, sans trop savoir à quoi m’attendre. Donc pour le moment, stand-by là bas, et on verra bien si ça décolle ou pas. Mais du coup, je me retrouve un peu à tourner en rond, sans trop savoir où partir, ni quand…

    J’ai débloqué un peu la situation. Je me suis offert mon cadeau d’anniversaire (merci tata !) qui attendait depuis quelques temps maintenant. Un cadeau dont je rêve depuis une quinzaine d’années… qui était redevenu d’actualité à Bali, mais trop compliqué à ce moment là. Cette fois, ce sera pour de bon. Je vais l’avoir cette certification PADI’s OpenWater !

    Cette quoi ? Un papier, ou plutôt une carte, qui atteste que je suis un plongeur certifié. En eau libre. Donc que je sais comment marche tout le fatras que les plongeurs transportent sur leurs épaules. Que je sais m’en servir, et que je peux donc plonger sans faire un cour d’initiation au préalable. Ce qui rend la chose beaucoup plus économique ! (et agréable !). Dire qu’en 1999, quand j’étais un sage étudiant grenoblois, j’avais suivi toute une formation équivalente. J’avais fait tout ce qu’il fallait, et même beaucoup plus encore, pendant six mois, en piscine… à la toute fin, j’avais hésité à payer la carte, mais je trouvais ça un peu cher… je pense payer plus en euro aujourd’hui que j’aurais payé en franc à l’époque. Bref, c’est pas grave, je l’aurai enfin ma certif ! Et comme elle vient avec quatre plongées, je serai donc rendu à 11 plongées… moi je dis que ça commence à devenir sérieux tout ça.

    En sortant de « l’école » de plongée, j’ai regardé autour de moi. Et cette voix étrange, qui me parle parfois, m’a fait plus ou moins ce discours.

    « Un investissement de dix mille euros grand maximum pour le matériel et pour quelques formations supplémentaires ; la location d’une boutique sur place ne doit pas coûter grand chose ; plus une chambre, quelque part. Budget réduit. Réfléchir à la question des cadres… il n’y a aucun photographe à Mahahual. Pas de possibilité de ramener des cartes postales, ou des photos souvenirs. Et de là à proposer un partenariat avec les clubs de plongée ici (“vous vendez l’accompagnement vidéo à vos clients, vous gardez 10%, et je suis avec une caméra étanche”), y a moyen de faire de la clientèle assez vite. En complétant avec de la revente de site web pour les hôtels du coin, si il y a besoin d’arrondir les fins de mois ».

    Ouais, elle a bien raison la petite voix qui me parle. Celle qui fait que parfois j’ai la prétention d’être entrepreneur (mais ça ne dure jamais longtemps). Je suis persuadé qu’il y aurai la place à Mahahual pour une boutique de photographe doublée d’un accompagnement vidéo des plongées. Ça pourrait marcher. D’un côté, l’idée me plait. D’un autre, il faudrait que ce soit ailleurs qu’à Mahahual, en fait. L’endroit ne me déplait pas… mais il ne m’attire pas au point de décider de jouer les entrepreneurs dans le coin. Dommage. Parce que la ville prospère. Les bateaux sont de plus en plus nombreux. Je suis persuadé qu’il y a une belle opportunité par ici ! Qui n’en veut ?

    Et moi, je continue à écrire sur Mahahual. Tout en me demandant à quel moment je vais pouvoir raconter mon anecdote de banane ? Parler de la petite grand mère, de la petite boutique à côté, où je vais parfois acheter un yop à la fraise, ou une mangue… la dernière fois, elle devait me rendre 12 pesos. Elle avait 10. Mais pas de monnaie pour les 2. Elle m’a demandé si une banane ça m’allait à la place de sa pièce de 2 pesos. Ça m’a plu. Ça m’a fait sourire. J’ai accepté. En ayant un peu l’impression, quand même, d’être payé avec de la monnaie de singe…

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