Le lecteur attentif aura tout de suite compris que la photo illustrant cet article n’est évidemment qu’un rapide montage photosohop qui n’a rien à voir avec la (très difficile) réalité vraie !
Je suis arrivé à Mahahual avec l’idée de faire du helpx dans une auberge de jeunesse, sans doute pendant une semaine, en attendant des nouvelles d’un centre culturel Maya un peu plus au nord (à Tulum). Helpx, si vous ne connaissez pas, j’en ai parlé un peu en détail, en parlant du plaisir d’être un voyageur utile. Si vous ne voulez pas lire, le principe est très simple : c’est un échange de service. Quelques heures de boulot par jour, en échange de la nourriture et de l’hébergement. J’ai pas mal pratiqué en Australie, et j’ai adoré. Immersion culturelle passionnante et très intéressante.
Jusqu’à présent, je n’avais pratiqué que dans des familles, et des petites structures nécessitants le bénévolat (orphelinat pour kangourou, centre culturel aborigène, etc… – là encore, géré par des familles). Je n’étais pas plus motivé que ça à faire du helpx dans un contexte « entreprise », vu que d’un seul coup, mon aide allait prendre une valeur monétaire, et que le lien avec l’hôte risquait de changer drastiquement. Pour plusieurs raisons, dont l’absence de nouvelles d’un autre hôte potentiel, mais aussi la curiosité, j’ai quand même décidé de laisser une chance à Blue Kay.
Ça a très mal commencé.
Le bus m’a posé en « centre-ville » de Mahahual. Juan, mon contact chez Blue Kay, m’avait dit que de là, je pouvais prendre le taxi pour une vingtaine de pesos. Sauf que je suis passé devant Blue Kay en arrivant, et que comme je suis jeune, j’ai préféré marcher 15 minutes (avec le sac à dos, en plein soleil, je l’ai dit : je suis jeune). Je suis arrivé à Blue Kay, où j’ai demandé à parler à Juan. Juan pas disponible, mais on me demande tout de suite si je suis de helpx. Je comprends tant bien que mal, et je réponds oui. J’explique que je ne parle pas beaucoup espagnol, mais que je suis là pour apprendre. On me demande d’attendre.
À dix mètres de là, une fille est avachie dans un fauteuil. Elle regarde ce qui se passe, avec l’attitude exact du manager indifférent. J’ai gagné. Au bout d’un moment, elle fera un effort et viendra me parler. Quelques échanges. Elle n’a très clairement pas envie de s’occuper de mon cas. Son visage est très clairement estampillé « mais pourquoi moi ? ». En cinq minutes, elle se débarrasse de moi. « On va t’envoyer à Ibiza ; ils ont besoin d’aide là bas. C’est pas loin, c’est par là bas ». Comme il n’y a qu’un seul chemin à Mahahual, c’est assez facile. Mais la façon dont elle me congédie ne me plait pas plus que ça. À aucun moment elle ne m’a proposé un verre d’eau ou inviter à déposer mon sac deux minutes. Bien sûr, c’est fait exprès. Si j’avais voulu poser mon sac, je l’aurai fait. Si elle m’y avait invité, je l’aurai fait avec plaisir. Mais vous savez, les petits tests tout bête pour voir si la personne en face de vous fait le moindrement attention à qui vous êtes, c’est parfois très efficace.
Je remarche donc une quinzaine de minutes dans l’autre direction, pour finir par arriver à Ibiza. Là, je suis accueilli par une autre fille, qui ressemble étrangement à la première (j’apprendrai plus tard que les deux managers sont jumelles). Une version plus souriante et plus agréable. Elle me souhaite la bienvenue, me fait visiter rapidement les lieux. J’hésite un peu en voyant le dortoir ouvert. Me posant des questions du genre « mon ordinateur ? mon appareil photo ? mon 70-200 ? ma go-pro (ah non, pas ma go-pro…) ». Heureusement, il y a un petit casier. Jacky, puisque c’est ainsi qu’elle s’appelle, me fournit un drap housse (ils n’ont que des une place, pas très pratique pour un lit double) et une moustiquaire pour transformer mon lit en lit de princesse ! Elle me demande si j’ai faim. Ça c’est déjà plus accueillant. J’ai bien choisi mon heure d’arrivée : on mange dans pas longtemps du tout.
On m’explique qu’il y a déjà deux autres helpers français, arrivés il y a quelques jours. Je les rencontre juste après. Sébastien (ça, au moins, c’est facile) et Maud (un peu plus difficile, mais j’y arrive quand même). Originaire de Chambéry, ils habitent pas très loin de Lyon. Zoom de précision. Ce sont des berjaliens. Des quoi ? Des gens qui habitent à Bourgoin Jallieu. Qui habitent où ? À 20 minutes du Charbinat (enfin 30 si vous avez un train à prendre). Du coup, ils connaissent bien Morestel. Facile.
Le repas est servi, la bouffe est très bonne, je dois bien le reconnaître. La deuxième impression est un peu meilleure que la première, mais je reste quand même très sceptique. Je travaillerai cinq heures par jour, pour hébergement (en dortoir) petit déjeuner et lunch ? Je m’en fous. Je fais helpx plus par plaisir que par obligation. Nous sommes mercredi, dans ma tête je pars samedi ou dimanche. Juste une petite pause qui fait du bien.
Ça prend un peu de temps à s’habituer au rythme des Caraïbes. À s’habituer à la personnalité des gens. À créer le contact avec eux. À apprendre à les apprécier. Côté boulot, la très grosse tâche, c’est de prendre la carrettilla pour quitar la saragossa de la playa (oui, le mot brouette est assurément un incontournable du vocabulaire helpx / et en plus, comme le rappelle si sagement le terrible pirate Robert dans Princesse Bride, on a toujours besoin d’une brouette pour établir un bon plan – et la saragossa, c’est le nom des algues que l’on trouve ici). Avant, il faut enlever les détritus. Et ça, aussi con que ça puisse paraitre, c’est un boulot qui me plait. Depuis que j’ai fait du MOOPING à Burning Man, j’ai pris l’habitude d’en faire un peu partout. Et je trouve que c’est bien de le faire. Même si ça a un côté déprimant de le faire ici… sur une plage de trente mètres de long, la plus grosse journée (mais c’était exceptionnel, ils n’avaient jamais vu ça) on a enlevé pas loin de 100 litres (volume non compressé) de détritus sur une douzaine d’heures.
Les gagnants ? Loin au premier plan, le stiromousse. Cette dégueulasserie utilisé pour les verres jetables thermos (pour les cafés -je haïssais déjà Starbuck avant, pas de soucis- thé et autre boisson chaude à emporter). Cette matière est d’autant plus dégueulasse qu’elle se disloque en petit morceau. Les poissons en mangent une partie, meurent bien gentiment, et le reste revient sur la plage…
Deuxième position : les bouteilles plastique (complétées par plein d’autres contenant en plastique, notamment bouteille de crème solaire et bouteille de médicament).
La troisième marche du podium revient aux chaussures orphelines (généralement des tongs). Ramasser autant de détritus me fait halluciner quand à l’état des eaux vers le large. Après, comme je le disais, c’était la pire journée. Aujourd’hui même, je n’ai ramassé qu’une demi poubelle de 10 litres. Je ne sais pas où partent toutes ces poubelles quand elles sont ramassés. J’essaie de me faire croire qu’elles ne partent pas pour une décharge à ciel ouvert, sur le bord de l’océan. Tout n’est pas forcément perdu…
Le reste du temps, les coups de main varient un peu. Distribution de flyers histoire d’embêter les gens qui passent dans la rue (pardon, histoire de leur donner envie de venir), rangement, activités inutiles, un peu de peinture, un peu de lavage… Il me faut un petit moment pour m’habituer, pour comprendre comment tout cela marche. Tout cela me dérange. Je ne suis pas bien. Je ne me plais pas. Il est probable que je ne reste pas longtemps.
Et puis après trois jours, je commence à réaliser mon erreur. Je regarde tout ça avec des yeux habitués à la France, à l’Australie, à l’Amérique du Nord. Je pense en terme d’efficacité, d’optimisation, de planification. De rentabilité. Et si je changeai le filtre de mes lunettes ? Et si j’acceptai ce qui va de soit : je suis sur la plage, sur le bord de la mer des Caraïbes. Efficacité, organisation, optimisation, ces termes n’ont pas leur place ici. Si je dois faire 10 minutes de vélo à 11h pour aller chercher des pailles à Blue Kay, et y retourner 20 minutes après pour aller chercher du fromage (et revenir les mains vides parce que en fait, il y a encore du fromage à Ibiza), ce n’est pas plus grave que ça. Et puis c’est chouette de faire du vélo, non ? Certes, les choses se font moins vite. Et alors, on a le temps, non ?
À partir du moment où j’ai décidé de changer ma façon de voir les choses, la vie a été beaucoup plus agréable. Quand une tache est finie, on ne court pas chercher la prochaine. On prend une petite pause, on regarde les palmiers, on admire la plage… et les petits inconvénients, au final, on fait avec. Il y a rarement de l’eau le matin ? Je peux me permettre d’aller investir 12 pesos (0,75 centime d’euro) dans un yop à la fraise. C’est bon en plus. Des fois, le cuisinier arrive tôt, et le petit déjeuner est à 9h. Parfois, il arrive tard, et le petit déjeuner est à 10h30. Et après ? Je n’ai pas de train à prendre.
Bref, l’endroit est complètement désorganisé. Je n’ai pas le choix de faire avec, d’accepter, ou de partir… j’ai décidé d’accepter. Parce que la chambre n’est pas la plus confortable du monde, mais que c’est chouette de dormir sous un toit ouvert. Le petit déjeuner arrive un peu tard, mais je l’attends en travaillant les pieds dans l’eau. Il n’y a quasiment pas de voitures à Mahahual. Seulement le vent qui souffle depuis le large. Mes poumons sont heureux. Mes yeux sont heureux (certes, le sable blanc, c’est un peu fort des fois, mais j’aime pas les lunettes de soleil, alors j’assume). Et en fait, il y a là une douceur de vivre qui me plait beaucoup. On ne se pose pas de questions. On prend chaque journée comme elle vient. Ce n’est pas parce que le dimanche on m’a dit que le lundi sera une journée peinture, que je passerai pas le lundi à nettoyer la plage. Le boulot extrêmement important de dimanche, j’attends toujours qu’il commence. J’ai compris le mode d’emploi. Il me convient. J’ai décidé de vivre avec.
Restait un aspect. Le contact humain. J’ai eu du mal, au début, à créer des contacts avec les autres employés. Forcément, j’ai un statu particulier… je suis le seul à obéir aux ordres de tout le monde (même si, au final, j’ai décidé de me référer qu’à deux personnes). Je ne suis pas vraiment client, pas vraiment collègue, pas vraiment touriste. Je pense que c’est pas évident de créer un contact. Et surtout, je ne parle toujours pas très bien espagnol. Et pour le coup, je ne suis pas dans les meilleures conditions pour apprendre. Là encore, petit à petit, les choses se mettent quand même en place. Les échanges sont simples mais plutôt agréables avec Jacky. Hugo, en cuisine, est ultra réservé supra timide. Les cicatrices qu’il a dans le cou (brulures d’acide) laisse imaginer un joyeux passé. Il a quitté sa ville pour venir s’installer ici… il ne parle pas beaucoup, mais il est toujours souriant. Et il cuisine super bien. Et je pense que les remerciements pour la cuisine lui vont droit au coeur. Nous (les helpers) sommes sans doute les seuls à le remercier et à dire que nous aimons. Pour les autres, c’est normal, il fait son boulot… Je ne supporte pas Hector. Le frère des deux jumelles. Oui, ça sent l’affaire de famille (je soupçonne Juan d’être le père de ce petit monde). Il ne sourit pas, ne dit pas particulièrement bonjour, et n’est pas forcément agréable dans sa façon de dire les choses. J’ai décidé de l’ignorer. La boss, c’est Jacky après tout.
Il y a un autre Hugo. Le « rabatteur ». Il a un bagout énorme, un charme naturel. Il va vers les gens pour les faire venir s’installer et prendre un verre, ou commander à manger. Et il se démerde plutôt bien. Il faut dire qu’il est capable de se faire une semaine de salaire avec une après-midi de pourboire… donc il a tout à gagner et de quoi être motivé. Il passe ses journées à discuter avec tout le monde, et à se plier en quatre pour faire plaisir aux gringos. J’ai quand même l’impression qu’il ne va jamais se rabaisser ou s’avilir pour ça, par contre, et je l’en respecte d’autant plus.
Lui aussi à une énorme brûlure d’acide au bras. Et une cicatrice au ventre. Trois balles… avant, il était vendeur. Vendeur de tout, y compris de drogue. Il a décidé d’arrêter. Grâce à une double nationalité, il est parti aux États-Unis. Avant de décider de revenir. Sa maison, sur la frontière, était squattée par des dealeurs de drogue. Il a essayé de les faire partir, ça a mal tourné. Séance de torture pour le forcer à « vendre » sa maison. Puis menace au téléphone à sa soeur, qui les a menacé en retour « il a la citoyenneté américaine ; si vous le tuez, vous aurez le FBI sur le dos ». Il lui doit sans doute sa survie. Six mois d’hôpital, trois mois de rééducation, il est venu s’installer à Mahahual. C’est un bel endroit pour fuir la folie du monde…
Hugo n’est pas facile d’approche, mais le lien se crée. Lentement. En prenant du temps. Il a eu du mal à me cerner, au début, je pense. Je crois que je ne rentre pas dans ses cases habituelles. Il n’y a pas de « ninja hippie » dans sa liste. Plus le temps passe, plus on discute. Il insiste régulièrement pour que je reste. Ils ont du mal à avoir de l’aide par ici, et ils en ont grand besoin.
Et moi, tout cela me travaille. Parce que j’aime certains de ces gens. Je m’attache à eux, et je m’attache à leur mode de vie. Au moins deux sont venus se « cacher » ici. Ils ont l’air d’y être bien. J’ai envie d’apprendre à les connaître plus. Les gens, toujours, me fascinent… et moi, j’ai encore tant à dire sur Mahahual…
J’aime bien la façon dont tu explicites (avec une grande clarté) l’évolution de ton point de vue. Voyager, c’est sans doute aussi ça, pratiquer le mimétisme, se mettre en quelque sorte dans la peau des gens que tu côtoies, dès lors que tes habitudes sont chamboulées.
Je n’en serais sans doute pas capable pour ma part !
Tu rencontres des gens qui ont été blessés intentionnellement… Quand on dit qu’un pays est dangereux, c’est parce que ce genre de choses s’y produit plus fréquemment.
À toi de connaître la règle du jeu pour y échapper (si règle du jeu il y a).
Je t’ai senti te détendre peu à peu à mesure que ce pays effrayant te devient familier. C’est important de rester lucide, de ne pas sombrer dans un optimisme naïf et dangereux.
Nous continuons à rester très impatients des nouvelles dès que tu te fais rare, et quelque part aussi à t’envier : profite bien !
Bon, et pourquoi moi je m’acharne à taper des voyelles accentuées, sachant que les accents vont disparaître ?
Seb est vivant, tout va bien, wouhou ! Profite des good vibes et du sable sous les pieds ! (et arrête de faire du charme à ma mère par commentaire interposé, j’t’ai vu ;) )