J’étais dans le centre ville de Montréal. Plusieurs dizaines (centaines même) de milliers de personnes se dispersaient dans toutes les directions. Une remorque de camion avec d’énormes enceintes continuait à jouer en boucle « all we are saying, is give peace a chance ». Nous venions de marcher pendant plusieurs heures dans le froid, pour protester contre la guerre en Irak. J’étais fier d’avoir participé à cette marche, j’étais fier que l’on soit aussi nombreux. Et surtout, je me disais que tous les américains étaient des imbéciles assoiffés de sang.
Brandon a été l’un des premiers américains à me faire comprendre l’erreur de mon amalgame. À me faire réaliser que l’image que j’avais des États-Unis était uniquement celle que voulait bien me montrer les médias. J’étais bourré de préjugés, il fallait que je l’admettre. J’ai hébergé Brandon pendant trois jours. Pendant trois jours, nous avons parlé non stop. De tout. Mais beaucoup de politique. Et il m’a notamment dit quelque chose qui m’a beaucoup marqué : « Barak Obama ne pourra absolument rien changer ; il n’en aura pas les moyens. Mais son élection prouve une chose : les américains veulent du changement, ils veulent de la nouveauté ». Pour la toute première fois, Brandon me faisait réaliser qu’il y avait d’un côté « le peuple américain » et de l’autre côté « le gouvernement américain ». Peut on juger un peuple uniquement par les actions des gens qu’ils mettent au pouvoir ? La question mériterait de longues discussions. Ce n’est pas du tout mon propos. Mais Brandon m’a fait comprendre que j’avais peut-être tord, et j’ai décidé de vérifier par moi-même. Les américains sont ils tous des fous psychopathes qui vivent avec un fusil d’assaut sous leur oreiller ? Plusieurs années plus tard, plusieurs dizaines de milliers de kilomètres sur les routes des États-Unis plus tard, plusieurs mois cumulés à voyager, à avoir mis les pieds et les roues dans tous les états sauf cinq, des centaines de rencontres plus tard. je suis heureux d’avoir eu tord. De m’être trompé. Oui, j’aime les États-Unis. Il m’a fallut sortir de ma zone de confort ; il m’a fallu accepter d’avoir tord ; il m’a fallu aller au-delà de mes préjugés et de l’antipathie des douaniers. J’y ai énormément gagné.
Je suis arrivé au Mexique plein de préjugés. Toutes les images que l’on m’a mis dans la tête, tous les commentaires que j’ai entendus. Tous ces « l’ami d’un ami ». Une fois de plus, même en sachant que je ne resterai pas longtemps au Mexique -du moins dans un premier temps- j’avais envie de tester ces préjugés. Et il n’y a rien de tel que d’être sur place pour se confronter à la réalité.
Les jours continuent de passer ; le seul moment où je me suis gentil mal à l’aise au Mexique était juste après la frontière. La zone ressemble en effet à une zone de non droit. Mais depuis, la moindre des rencontres est souriante, positive. L’arrivée à Mexico m’a stressé, mais à aucun moment je n’ai eu l’impression d’être en danger. On me l’avait dit pour l’Amérique du Sud « tu verras, tu auras du mal à te faire à la gentillesse des gens ». Ma mère avait fait la même remarque, il me semble, sur le Guatémala. Je ferai très probablement la même sur le Mexique très prochainement. Parce que chaque échange, aussi simple soit-il par son contenu, aussi compliqué soit-il à cause de mon espagnol digne d’une vache italienne errant perplexe dans un pré serbo-croate, chaque échange est positif et souriant. Chaque sourire, c’est un petit bout de préjugé qui s’envole.
La première journée à Mexico a été très calme. Outre le besoin de se poser un peu et de relaxer, il y avait aussi le besoin de laver un peu du linge, pour avoir l’air civilisé dans la grande ville. Après un petit déjeuner à base de spécialité locale (le Tamales), Conrad ne travaillant pas nous a promené un peu dans le quartier, nous faisant voir un peu les environs. Je découvre avec surprise qu’il y a beaucoup d’arbres, et beaucoup de verdure. Et c’est plutôt agréable.
Pour la petite anecdote, j’ai contacté Yoli à Mexico. C’est elle qui m’a dit « mon copain s’appelle Conrad, d’ailleurs vous vous connaissez, tu l’as aidé à organiser un événement BeWelcome à Londres ». Oui, l’univers BeWelcome il est tout petit. Profil classique du voyageur : Conrad est un anglais qui a grandit à Paris et qui vit à Mexico. Rien de surprenant.
Au programme de la soirée, Conrad et Yoli ont décidé de nous proposer du très authentique. D’abord dégustation de Pulque (alcool à base d’Agave) -ce qui me va très bien, puisque de la trilogie de Thiéfaine « Pulque, Mesquial y Tequila » le Pulque était le seul que je n’avais pas encore expérimenté – puis soirée Lucha Libre. Oui oui. Lucha Libre. Comme dans « Lute libre ». Vous savez, ces gens qui portent des masques et font tout et n’importe quoi et se frappe dans tous les sens ? Il était très clair dans ma tête que jamais je n’aurai envie d’aller voir un match de lutte. Et ça me paraît la raison idéale pour aller en voir un. Après, je ne pense pas que j’irai voir ça ailleurs qu’à Mexico. Ça fait partie de la culture populaire. Des trucs à expérimenter… j’imagine.
Le Pulque, c’est plutôt moyen. Nature, ça goûte un peu étrange, un peu citronné, et ça a une texture très bizarre. Genre un peu comme du shampoing. La plupart du temps, le Pulque se boit parfumé. J’essaie donc un deuxième verre, à la mangue. Après deux verres et un long moment, je suis incapable de décider si j’aime ou pas. J’en déduis que c’est plutôt que j’aime pas… Mais je suis heureux d’avoir goûté.
Nous nous dirigeons ensuite vers l’arène où à lieu le match. Nous prenons les billets les moins chers, assez en hauteur, assez loin, mais c’est très bien. On voit quand même un gros bordel en bas. Les gradins sont en bonne partie vide, mais il y a quand même beaucoup de bruits. Les gens crient, les gens huent, les gens s’expriment.
Et les combattants ? J’essaie un peu de comprendre, qui est qui, qui fait quoi. A priori, ce sont des matchs de trois contre trois. Après un moment, Laurie me regarde apeurée. « C’est pour de faux, hein ? ils sont pas en train de se battre pour de vrai » ? C’est très clairement pour de faux. Il n’empêche, c’est impressionnant, et je pense qu’ils doivent se faire mal parfois… on regarde un premier match, puis un deuxième. Des fois, on a du mal à comprendre qui se bat contre qui. Ils sortent du ring, sortent de la protection autour du ring, frappent les arbitres, se frappent entre eux, frappent les entraîneurs…
« je crois bien que j’ai vu deux culottes bleues se battre entre elle »
La phrase du jour, sans aucun doute. Oui, on a rarement l’occasion de dire des choses pareilles, mais j’ai réussi. Et dans le contexte, ça faisait du sens ! On essayait simplement de savoir, avec Laurie, qui se battait contre qui. Bon !
Nous sommes arrivés un peu tard. Du coup, après deux matchs, c’est déjà terminé. Je crois que ça n’est pas si grave que ça. J’en ai vu assez. Comme on m’a pris mon appareil photo à l’entrée, je n’ai pas vraiment pu documenter l’événement. Les photos de mon téléphone ressortant particulièrement mal. Mais je me dis que ça non plus, ça n’est pas très grave !
Nous rentrons tranquillement à la maison, le temps de s’arrêter pour manger un peu. Parce qu’après le petit déjeuner, le grignotage en début d’après midi, un autre grignotage un peu plus loin, on avait envie de grignoter un peu. En fait, au Mexique, c’est souvent comme ça que ça marche. Pas de vrai repas, mais des étalages de bouffe un peu partout, qui vous invite en permanence à grignoter un petit quelque chose !
Oui, au Guatemala les gens étaient adorables. Je me rappelle d’une famille assise sur un trottoir dans l’espoir de vendre quelques fruits et légumes : un petit môme passait son temps à se carapater à quatre pattes, un des plus grands passait son temps à le ramener. Jamais une engueulade, là comme ailleurs. Les gens sont toujours doux et tranquilles.
Mais quand il y a eu cet assassinat d’une dizaine de paysans, la consul nous a expliqué comment et pourquoi l’armée perpétrait ce type d’actions et le faisait endosser par les guérilleros, on était toujours dans ce pays de rêve où il faudrait qu’il n’y ait pas de militaires.
Ni de volcans !
Je pense que le banditisme existe à Mexico comme ailleurs, parce que la misère est immense. Ce n’est peut-être qu’une petite minorité qui fait cela, pas de chance quand on a affaire à elle.
Le reste du temps, on est heureux de côtoyer la foule, je suis bien d’accord !
Je crois que l’on a tous des préjugés, des œillères si l’on peut dire, mais qu’elles jouent un peu dans les deux sens. Vouloir voir tout en noir, ou vouloir voir tout en blanc. Il y a effectivement une autre histoire des Etats-Unis, autre que celle que l’on veut nous conter. Il suffit de lire “une histoire populaire des Etats-Unis” d’Howard Zinn (ou de visionner le DVD maintenant disponible du film qui a été tiré de cet ouvrage) pour avoir une vision corrigée de la situation. Mais il faut être réaliste aussi. Quant au Mexique, ce ne sont pas forcément les opinions de quelques touristes malheureux qui permettent de se faire une idée, pas plus que l’opinion de quelques touristes heureux. Quand on lit les bouquins d’écrivains mexicains relativement connus, on s’aperçoit que ces gens là ne sont pas tendres avec leur pays, même si ils le portent très haut dans leur cœur. C’est quand même un pays où le triumvirat police-milice-trafiquants assassine à tout va les opposants politiques !
La bonne idée, je crois, c’est effectivement d’essayer d’ouvrir les yeux les plus grands possibles et de se faire une vue panoramique de la situation. Eviter aussi les situations à risque chaque fois que c’est possible. Un pays dans lequel les problèmes avec la police se règlent à coups de billets, ça ne me rassure pas vraiment. Je me demande d’ailleurs si ces gens là ne m’inquiètent pas plus encore que les truands, car eux bénéficient d’une certaine impunité à cause de leur uniforme.
En tout cas, voilà un billet toujours aussi passionnant que les autres !