Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionSeptember 23rd, 2014
  • Certains jours, on ne fait pas grand chose d’autre qu’avancer. C’est exactement ce que j’ai fait aujourd’hui. Et ça me convient bien.

    Après m’être réveillé à 8h15 la veille, j’ai battu un deuxième jour de suite mon record de grasse matinée de ces derniers temps, en me levant à 8h30. Mon plan consistant à rester la nuit ici pour profiter du paysage du lendemain avec un grand ciel bleu dégagé était bien pensé. Ça aurait pu marcher, éventuellement. Mais ça s’est avéré être un échec complet. Les nuages sont encore plus bas que la veille, et on voit encore moins bien les montagnes. Tant pis.

    J’ai fait ma gymnastique matinale -celle qui consiste à passer de la position « allongé à l’arrière les pieds dans le coffre » à la position « assis, à l’avant, les pieds sur les pédales » pour la dernière fois. J’ai mis le contact, et j’ai quitté le camping. Je suis arrivé assez rapidement à Jackson, où je ne me suis pas attardé, ayant déjà jeté un oeil la veille, et n’ayant rien à y faire aujourd’hui. J’ai bifurqué sur la 22, en direction d’Idaho Falls, en avance sur mon planning du jour. L’ascension du col juste après Jackson, en plein dans les nuages, n’a pas présenté un grand intérêt. Jusqu’à ce que je me dise « et si jamais le col était au dessus des nuages » ? Je m’imaginais déjà avec une vue magique, les pointes des Tétons transperçant le voile diaphane et soyeux des nuages (bin quoi ?! j’y suis pour rien dans le choix du nom des montagnes moi !). Une partie de ce que j’imaginais s’est réalisé : le col était bien au dessus des nuages. Mais pas du tout orienté vers le massif montagneux. Donc il n’y avait pas grand chose à voir côté grisaille. Mais côté ciel bleu, c’était joli, et laissait présager une belle et agréable descente en voiture. Ce fût le cas. Par la suite, la route jusqu’à Idaho Falls n’a présenté que bien peu d’intérêt. Le point d’orgue a été quand j’ai réalisé que je n’avais pas pris la bonne route, mais que ça n’était pas très grave, parce qu’au final, je n’ai fait qu’un petit détour.

    Je suis arrivé à l’aéroport d’Idaho Falls à midi. J’ai rendu les clés de la voiture à 13h. Faut dire que ça a été un peu long de tout faire rerentrer dans le sac à dos, y compris un certains nombre de choses supplémentaires (dont un sac de couchage qui fait bien ses deux ou trois kilos je pense). Le poids du sac s’en ressent. Le confort de transport aussi… enfin bon… je pense que je ferais une opération allégement dans quelques jours. J’ai des livres à donner, un produit imperméabilisant à utiliser sur la tente, et deux trois autres trucs du genre pour reperdre des kilos. Note en passant : jusqu’à présent, j’ai perdu bien plus de kilos que mon sac depuis le début de ce voyage !

    J’ai dit « au revoir » à la voiture avec un tout petit pincement au coeur. Mais vraiment très léger. Content de retrouver une autre forme de liberté qui, je pense, me plait plus. C’est agréable de savoir que mes journées ne me sont plus facturées ! J’ai bien aimé voyager avec elle, mon compte en banque préférera voyager sans. Je lui aurai quand même ajouté 2167 miles au compteur. 3500 kilomètres, en 15 jours. D’un côté, ça a monté vite, de l’autre, j’ai été plus raisonnable qu’en d’autres occasions !

    J’ai jeté mon sac sur mon épaule. Enfin non, je me suis assis, j’ai passé les bretelles, et je me suis relevé avec difficulté. Mais j’ai réussi. Et je suis parti, le stop joyeusement levé. J’ai marché une heure avant d’arriver à un endroit optimal. C’était bien qu’il finisse par arriver, parce que je n’en pouvais plus.

    J’ai attendu une heure, en faisant plein de sourires à tout un tas de gens, en répondant à plein de coucou, avant que finalement une voiture ne s’arrête. Je n’avais pas réalisé la complète vacuité de l’endroit où je m’en allais, je pense. Heather m’a avancé de 100 kilomètres d’un coup. On a discuté un peu. Elle m’a proposé de faire un détour par chez elle. Elle m’offrait une douche et un repas chaud. J’ai hésité, parce que la proposition était quand même bien sympa, et très tentante. Mais en même temps, nous n’avons pas particulièrement accroché. Pas grand chose à dire, pas grand chose à échanger. Du coup, je l’ai chaleureusement remercié, mais j’ai décliné l’invitation. Et puis j’avais bien envie d’être à Crater of the Moon ce soir, et ça, c’était pas gagné si je m’offrais un détour, une douche, et un repas…

    Sur ma carte, à cet endroit, il y a une grande zone avec écrit « Idaho National Laboratory ». Je l’avais remarquée, et immédiatement oubliée, ne sachant pas de quoi il s’agissait. J’avais aussi repéré une ville au nom que je trouvais bien drôle « Atomic City ». Ainsi que ce point rouge « Experimental Breeder Reactor ». À aucun moment, je n’ai fait le rapport entre les trois.

    J’ai commencé à me douter de quelques choses quand j’ai vu ces routes, qui partait dans le vide du désert, mais qu’au bout du vide, il y avait ce qui ressemblait fortement à de bien grosses industries, et à des laboratoires de recherche… puis quand j’ai vu un panneau expliquant que « EBR1 – Experimental Breeder Reactor » était -si j’ai bien compris- le premier réacteur nucléaire aux États-Unis. On s’est arrêté un peu après sur une aire de repos, où un panneau expliquait un peu tout ce que l’on trouvait dans le coin. Notamment la plus grande concentration de réacteur nucléaire au monde… J’ai fini par faire le rapprochement entre tout ça. C’est marrant, pour moi, tous les sites expérimentaux américains sont au coeur du désert du Nevada. Sans doute la faute à Rosewell tout ça. Eh bien je sais désormais que le gros de la recherche nucléaire américaine se fait dans le fin fond de l’Idaho, au milieu de nul part…

    En fait, quand on découvre des endroits pareils, on comprend assez facilement pourquoi les américains sont si friands de conspirationisme. Avec ces laboratoires, semi-secrets, étalés au grand jour, mais en même temps reculés et inaccessible au milieu du désert… tout ça me laisse bien songeur… pour la petite anecdote, c’est aussi ici qu’a été inventé le premier sous-marin nucléaire. Et les marins de la marine américaine venaient donc au fin fond du désert, pour apprendre à piloter un sous-marin…

    Heather m’a déposé à Arco. Première ville au monde a avoir été éclairée par l’électricité d’une centrale nucléaire. Je suis passé de jour, impossible de dire si la ville brille pendant la nuit… je ne me suis pas arrêté, malgré ce vieux fastfood déglingué qui se revendique « l’inventeur de l’Atomic Burger ». Il n’a pas réussi à me convaincre.

    J’ai traversé la ville à pied, le pouce levé. J’ai marché une demi-heure, attendu une vingtaine de minutes avant qu’un pickup ne s’arrête. C’est la première fois que je fais du stop avec un panneau sur laquelle j’ai écrit « lune » (oui, bon, j’ai écris « moon » mais je traduis pour mes lecteurs non-bilingue) pour faire arrêter les voitures. Et ça a marché. J’ai même eu une bière offerte !

    J’ai donc eu une ride jusqu’à Crater of the Moon National Preserve. Dans l’idée, j’arrivais ce soir, je me baladais un peu, je me rebaladais un peu demain matin, et je repartais pour Twin Falls dans l’après midi. Mais à peine arrivé à Crater of the Moon, j’ai compris que je voulais rester là deux nuits. D’abord pour l’endroit. Qui a un côté martien (enfin lunaire !) qui me plait beaucoup. Pas mal de balades à faire, visite de tunnels de lave… bref, j’avais envie d’en profiter. Et puis je crois, aussi, que c’est ma façon de marquer ma « liberté » retrouvée. Maintenant que je n’ai plus la voiture, je peux recommencer à avancer à mon rythme. Enfin pas complètement tout à fait. Je suis attendu, un peu plus loin, à Vale, dans l’est de l’Oregon. Mais ça n’est pas à un ou deux jours prêt. Et j’aime l’idée de rester deux jours de suite à la même place. Des fois, ça fait du bien de faire qu’avancer. D’autres fois, ça fait du bien de faire du sur place !

    Après avoir joué pour les anges, au sommet d’un volcan, au bout du monde, et pour un dragon endormi, ma flûte a maintenant aussi joué sur la lune… décidément, sa magie n’a aucune limite !

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