J’ai toujours aimé voir de l’autre coté de la barrière. Voir l’envers du décor. Regarder le making off d’un film, écouter un auteur parler de son livre, regarder une préquelle… c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime tenir ce blog. Il s’agit un peu du making off de mes livres. Je parle de mes sources d’inspiration. Le lecteur du blog comprendra certains clin d’oeil. Pourquoi un personnage du tome 4 s’appelle Eva. Pourquoi un autre s’appelle Hugo. Voir l’autre coté de la barrière, c’est s’offrir de nouvelles façons de voir le monde et de le comprendre. C’est s’offrir de nouvelles vérités. De nouvelles possibilités d’interprétations.
Connaitre l’envers du décor, c’est aussi faire parti d’un petit groupe de privilégiés. Je sais ce qu’il y a en haut de l’escalier des Ursulines. J’ai vu la cave de la fromagerie Hamel. Nouvelles perspectives, plaisir de comprendre les choses autrement, de changer de point de vue.
Les lecteurs de la trilogie du Pourquoi Pas ? auront ils remarqué que les trois livres suivent une non linéarité semblable à celle de la version film de la trilogie du seigneur des anneaux ? Le plaisir de connaitre l’envers du décor…
Je me suis rendu compte que j’avais franchi une autre barrière il n’y a pas longtemps. J’ai changé de rôle. Changé de point de vue. J’ai troqué ma casquette de baroudeur casanier à temps partiel contre celle de globe trotter en CDI. Il y a quatre ans, je suis parti en Australie. La durée était indéterminée, mais pour moi il était plus ou moins sous entendu « deux ans maximum ». Mais cette fois, quand je suis parti en septembre, il était très clair que la durée était indéterminée, et non plafonnée. J’ai toujours la même impression aujourd’hui. C’est ce que je dis aux gens que je rencontre. Et en faisant cela, j’ai sauté une barrière. Il n’y a pas si longtemps, je regardais fasciné ces gens qui prenaient la route sans billet de retour. Et j’étais impressionné. Et je me demandais comment ils faisaient. Aujourd’hui, c’est moi, semble t il, le voyageur qui impressionne. Après tout, je commence à avoir quelques bagages (et paradoxalement, de moins en moins de bagages). Quand on me pose la question, j’ai l’impression de voyager depuis que j’ai franchit l’échangeur turcot à bord du Pourquoi Pas ? en aout 2010… oui, aujourd’hui, je vois ce que ça fait d’être le voyageur expérimenté. L’habitué. Attention, pas le désabusé. Seulement celui qui comprend ce qui se passe. C’est Aly qui me l’a fait comprendre. Quand elle m’a demandé « tu peux redire ce que tu viens de dire, j’ai envie de le noter ». Qui sait, bientôt circuleront peut être sur facebook des photos de soleil couchant, avec des citations que l’on m’attribuera (probablement à tord).
Nous étions assis sur un canapé, avec vue sur le lac Atitlan. En arrière plan, l’un des deux volcans du lac. Le Atitlan, justement, si je ne m’abuse. Aly et Olivia étaient en train de dire qu’elles n’avaient pas envie de partir. Et j’ai commenté en disant que des fois, il était nécessaire de partir pour pouvoir revenir. C’était mieux dit que ça. Un peu mieux expliqué. Plus profond. Il faudra que je demande à Aly de me redire ma formulation exacte. C’est toujours la classe de s’auto citer. Je devrais le faire plus souvent.
Aly et Olivia sont parties ce matin. Après que l’on se soit serré fort dans les bras pour se dire au revoir. J’ai rajouté Santa Cruz (en Californie) et un petit village perdu dans le Maine dans ma liste d’endroits à visiter. Qui sait, peut être que dans quelques années je ferais un tour du monde sur le thème « revoir tous mes amis de partout que j’ai croisés pendant mes voyages ». Si je faisais ça aujourd’hui, ça serait déjà un tour du monde qui m’occuperait un moment. Ils sont nombreux ces gens avec qui je veux garder contact. Ces gens de partout. Certaines rumeurs prétendent que j’aurais même réactivé mon compte facebook à force de trop de rencontres super chouettes ces derniers temps. Aly et Olivia m’ont permis de comprendre que j’avais aussi ma place à la Iguana Perdida. Même si l’endroit n’avait rien à voir avec Hotelito Perdido, je pourrais aussi y être moi. Un moi différent. Mais quand même un moi moi.
Il est cinq heure trente. La brume recouvre la rivière. Je suis debout sur le dock, à admirer le paysage une dernière fois. À admirer tout ça une dernière fois. Je sais bien que je reviendrais, mais quand même… ce n’est pas évident de partir. La nuit a été courte. Je me suis couché à deux heures du matin. J’ai une pensé pour les cookies qui accueillerons les filles des cuisines, Janis, Eva, tang et Dav demain matin. J’espère qu’ils les aimeront…
La brume se lèvre lentement. L’aurore commence à poindre. Une lumière s’allume dans le bungalow juste à coté. Mango. Peu après, une première personne arrive. Puis une autre… À six heures moins dix, les sept personnes dont j’ai organisé le départ pour le Belize sont là. Cinq minutes plus tard, Perico arrive. Ponctuel, comme d’habitude. Ils me remercient. Me disent au revoir. J’ai le dock pour moi tout seul. Ils sont partis. Les autres dorment. J’ai le coeur serré… je me revois expliquer à Eva que plus difficiles sont les au revoir, mieux c’est. Plus on a mal au moment de partir, plus l’expérience que l’on a vécue avant a été forte. Au final, des au revoir faciles sont plus tristes que des au revoir difficile…
Cinq minutes après, un autre bateau arrive. Je jette mon sac à bord, puis j’embarque à mon tour. Direction Rio Dulce. La ville. Le petit hôtel perdu disparait derrière moi. Je reviendrais pour sur dans un premier temps avec Lilou. Et peut être plus tard, ensuite. Pour un séjour beaucoup plus long… si le vent m’y invite…
Voy a donde el viente sopla
Le bateau est un transport local. Ça veut dire qu’il s’arrête un peu partout. En fait, on fait le tour des pêcheurs. Ils sont là, sur l’eau, à nous attendre. Chacun nous charge un peu plus de poissons. Ils seront vendus à Rio Dulce, j’imagine…
Le fleuve s’élargit, devenant un lac magnifique. Entouré de hautes collines. Ou peut être bien de basses montagnes. La jungle est toujours là. Le soleil finit par sortir. tout est beau ; tout est magnifique. La jungle s’est faite belle pour me dire au revoir. Je la remercie. Encore et toujours ces morceaux de moi que j’abandonne un peu partout. J’ai laissé un gros morceau à Hotelito…
La ville de Rio Dulce n’a rien d’inspirant. C’est juste un genre de hub, où se croise l’une des routes les plus importantes du Guatemala, et le fleuve qui ouvre l’accès à Livingston, et à une zone assez touristique. Je fais quelques pas, sans être convaincu. Je regarde ce camion qui traverse la rue. La benne se soulève petit à petit. Le chauffeur ne s’est sans doute rendu compte de rien. Il s’arrête quand même 100 mètres plus loin, après avoir arraché quatre ou cinq câbles. Les gens observent, intrigués, fascinés.
Mon bus finit par arriver. J’embarque. Je m’installe. Collé contre la vitre, à regarder défiler le paysage… jusqu’au moment de m’endormir. Je pense à Sally, qui fait si souvent la même chose. Sally qui est ma nouvelle compagne de voyage dans ma tête depuis un moment maintenant. Depuis un voyage en bus, justement, au travers du Minnesota l’année dernière. Quand je me suis rendu compte que je n’étais plus seul à voyager. Elle a remplacé le narrateur. C’est elle que j’observe désormais.
J’alternerai petites siestes et regards par la fenêtre. Le paysage change. Nous sommes sortis de la jungle. C’est différent par ici, mais c’est magnifique aussi. Je profite d’une pause prolongée pour m’acheter de quoi grignoter, puis on reprend la route. Je suis fatigué… pas juste à cause de mes courtes nuits. Pas juste à cause du stress…
Six heures de route plus tard, le bus traverse Guatemala City. Rues grises. Maisons grises. Froides. Rien qui ne me fait envie. trafic, bruit, publicité, gens… je n’avais pas placé Guatemala City dans ma liste de choses à voir. La traversée de la ville ne m’y encourage pas plus.
Le bus arrive à son terminus. Je descends. Je sais qu’à partir de là, c’est « freestyle ». Je sais où je dois aller. J’ai un ordre d’idée de l’itinéraire à prendre. Mais ça fait plusieurs jours que j’ai compris que ça ne servait à rien d’essayer de planifier quoi que ce soit. Le chauffeur de bus me demande qu’elle est ma destination finale. « Panajachel ». Il me dit où je dois aller, me dit que je dois prendre un taxi, sinon c’est dangereux. Me demande si je veux qu’il m’en choisisse un. J’accepte. Il s’exécute. Un peu après, je me retrouve à traverser d’autres rues. À peine plus inspirantes que les précédentes. Je ferais la fin du voyage en Chicken Bus. Au Guatemala, c’est assez proche du concept du colectivo. Il n’y a pas vraiment d’horaire de planifié. Ils partent quand ils sont pleins, quand ils en ont envie.
Le chauffeur de taxi me conduit jusqu’à l’un des « terminus » de chicken bus. Je les regarde. Ils sont magnifiques. Anciens bus scolaires, autrefois jaunes tristounes, maintenant de toutes les couleurs. Rouge, bleu, chrome… je n’ai pas envie de sortir mon appareil photo pour le moment. Mais je sais qu’il faudra que j’immortalise ces véhicules superbes. Mon chauffeur finit par trouver celui qui va dans la bonne direction. Il ne va pas à « Pana ». Il faudra que je change. Pas de soucis.
Mon sac à dos se retrouve sur le toit, moi à l’intérieur. L’une des dernières places disponibles : au dessus de la roue. Je suis tout tordu dans tous les sens. Pas confortable du tout. Je commence à avoir mal aux fesses après quinze minutes. Aux genoux après une petite demi heure. Finalement, trois heures plus tard, on me dit que je dois changer ici. Mon sac est descendu du toit, passé d’une main à une autre, avant de se retrouver sur un autre toit. Je suis. Je fais une demi heure de trajet à bord du bus suivant. On m’annonce à nouveau que je dois changer. J’obtempère. Même manège. Descendre le sac, suivre le sac, monter le sac, trouver une place confortable. Et puis finalement, j’arrive à Pana. Je descends du bus, fasciné. J’ai été pris en charge d’une façon adorable. Les chauffeurs, les uns après les autres, se sont relayés pour me faire avancer. À aucun moment ils ne m’ont oublié. Pas même le premier, après trois heures de route. Je n’avais aucune idée de où aller, de comment avancer. Je me suis contenté de suivre le flot. Ça a magnifiquement bien fonctionner. Dans les trois bus, j’ai été le seul étranger. J’ai distribué des sourires à profusion, je n’ai jamais eu le moindre problème. Que des sourires en retour.
Je marche jusqu’au dock de Panajachel. Demande quand est le prochain bateau pour Santa Cruz. En connaissant déjà la réponse. « Bientôt ». Les bateaux partent toujours « bientôt ». Ou alors dans dix minutes. Les deux sont synonymes. Cette fois ci n’a pas fait exception. Après une durée aléatoire, nous partons. La nuit est tombée depuis un moment. Je distingue quelques petites silhouettes de relief dans la noirceur. L’arrivée de nuit me va parfaitement.
Une petite demi heure de bateau plus tard, je mets finalement pied à terre. Un bateau, un bus, un taxi, un chicken bus, un deuxième chicken bus, un troisième chicken bus et un bateau plus tard, me voilà arrivé. Il est 18h40. J’ai parcouru moins de 400 kilomètres je pense. En près de treize heures. Rien de bien surprenant. En Amérique Centrale, il ne sert à rien d’être pressé…
Je suis entré dans la salle commune de la Iguana Perdida. Je crois que je suis passé proche de faire demi tour. Pour retourner à Pana, reprendre un chicken bus, puis un deuxième et un troisième. Reprendre un taxi puis un bus et un autre bateau. Retourner me perdre…
Une cinquantaine de personnes, assises à plusieurs tables, en train de discuter. Brouhaha, chaleur, étouffement. La lumière est vive. Où est ma jungle ? Où est mon calme et ma tranquillité ? Je rencontre Sarah, l’une des deux managers. Elle me montre rapidement où je dormirais cette nuit, puis on revient dans la salle principale. Le repas va être servi d’un moment à l’autre… je suis fatigué, et le tourbillon tout autour de moi est difficile à supporter. Il va me falloir un moment pour m’habituer ! Je ne m’attendais pas à ça. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Mais après un mois dans la jungle, à devoir surveiller ma consommation d’électrique, à ne pas voir grand monde, à vivre au ralenti, ce n’est pas évident… il me faut toujours un peu de temps pour arriver quelque part. Ce sera certainement le cas ici aussi. Peut être qu’une pause de quelques jours entre Hotelito et Iguana aurait pu être une bonne idée…
J’ai donc pris mon temps, saisissant sans problème ce que l’on attendait de moi. Service à la clientèle. Accueillir les nouveaux arrivants, faire le service au bar, faire le service des repas, répondre aux questions… réceptionniste d’hôtel la plupart du temps. M’assurer que tout va bien pour tout le monde, que tout le monde est heureux. C’est ce que j’avais plaisir à faire à Hotelito. Mais à Hotelito, je connaissais tout le monde. Que de vue pour ceux qui ne restaient qu’une journée, mais je savais qui ils étaient. Je pouvais m’attacher à un peu tout le monde. Créer un lien privilégié avec les personnes avec qui j’avais envie de créer un lien privilégié. Quand il n’y a qu’une quinzaine de personnes, c’est facile à envisager. Quand il y a soixante de personnes, ma première impression a été que ce ne serait pas possible. Que je n’allais voir que des visages anonymes pendant les cinq prochaines semaines… je n’ai pas la mémoire des visages. Enregistrer trop de personnes tous les jours, ça n’est pas faisable…
Mais au final, ce sont les invités qui ont fait le travail à ma place. Ce sont eux qui ont commencé à se rappeler de mon nom, et à reconnaitre mon visage (et mon style, sans doute, aussi. Je dépare un peu [beaucoup], et c’est tant mieux). Je suis allé rendre visite à Boulette et Laurie, qui travaillent toutes les deux à San Marcos, un village un peu plus loin, à vingt minutes en bateau. Aly et Olivia m’ont reconnu là bas. On a commencé à discuter un peu. À parler d’autres choses que de navettes, de check out, et de menu de petit déjeuner. Et puis il y a Arthur et sa femme, qui semblent particulièrement apprécier mon sourire, mon enthousiasme et ma bonne humeur. Qui semblent avoir compris qui je suis, et ce que je fais là. Je n’ai pas envie d’être un volontaire anonyme (nous sommes cinq au total, plus deux managers) évoluant au milieu d’une foule anonyme. Ce n’est pas pour ça que je voyage. Ce n’est pas pour ça que je fais du volontariat.
Aly et Olivia ont passé leur dernière journée à la Iguana posées sur un canapé, à admirer le lac. J’ai passé un long moment à discuter avec elles. À prendre soin d’elles. Nous avons discuté jusque tard dans la nuit. Je n’étais plus du tout anonyme. Elles m’ont fait comprendre que oui, en effet, je pouvais continuer à être moi ici. À être un humain unique, avec un nom. À être un sourire dont les gens se souviendraient. À partager des idées qui poussent les gens à réfléchir. À agir d’une façon qui pousse les gens à réfléchir. Et à être une personne que l’on aura plaisir à revoir.
Après leur départ, j’ai enfilé mes chaussures, et je suis parti marcher. Je suis allé visiter Aska, la propriétaire de Hotelito Perdido. Elle habite à deux heures de marche de Santa Cruz. Juste avant San Marcos. Nous avons passé un long moment à discuter. En partant de chez elle, avec un immense sourire, j’ai compris…
J’ai pris le temps de tourner beaucoup de pages avant de quitter la France. De régler un certains nombre de choses de mon passé qui attendaient depuis un peu trop longtemps. Je me suis improvisé un rituel de renaissance aux sources chaudes d’Umquat. Puis j’ai avancé, avant de comprendre que je devais m’arreter. J’ai commencé à apprendre une nouvelle langue. À apprendre de nouvelles compétences. À développer de nouvelles opportunités professionnelles.
Me voilà en train de me construire une nouvelle vie. Quelle sera t elle, où me mènera t elle, je n’en ai pas la moindre idée. Mais j’ai atteint une maturité et une stabilité qui fait que je sais où je veux aller désormais. Je discutais sur internet avec une amie il y a quelques jours. Quand je lui ai dit où j’étais, elle a commenté en disant « tu as donc bien de la chance ! ». Et puis juste après, elle a ajouté « en même temps, nous construisons notre propre chance ». Qu’il est agréable de ne pas avoir à l’expliquer… Je sais ce que je vais construire. Et je sais comment m’en donner les moyens.
Un nouveau départ ? Assurément. Un retour à zéro ? Surtout pas ! Dans ma tête, je sais très bien quand et comment tout cela va commencer. Et le Guatemala me parait un endroit parfait pour ça.