Rue du Pourquoi Pas



Parce qu’il y a toujours une route qui, quelque part, m’attend.
Carnets de route, photos de voyages, et pensées vagabondes.

Écrit par : Sébastien ChionJanuary 29th, 2022
  • J’ai mes petits rituels. J’aime bien avoir mes petits rituels. Par exemple, il y a celui depuis quelques temps, où je me réveille vers 5h du matin. Ça peut surprendre, mais c’est une heure à laquelle j’aime bien me réveiller. Je sais que je n’aurais pas de soucis à me rendormir très vite. En ce moment, quand je me réveille à cette heure là, j’attrape le plaid, et je me roule dedans. Tout en restant bien roulé dans la couette. Mais une épaisseur supplémentaire devient nécessaire au plus froid de la nuit. Cela pourrait paraître bizarre d’aimer se faire réveiller par le froid. Mais le plaid me réchauffe. Un peu de chaleur, un peu de douceur au milieu de la nuit, il est tellement facile et agréable de se rendormir ensuite…

    Le deuxième rituel arrive quand je me réveille pour de bon, un peu plus tard. Tendre le bras, allumer le radiateur, et attendre tranquillement que la température monte dans le Chamion. Le processus prend en général une demi heure. Je sors donc des couvertures après une heure environ. Qu’il est bon de prendre son temps.

    S’ensuit le troisième rituel. Me préparer un thé. Oolong, Earl Grey ou Gunpowder sont mes trois choix les plus réguliers en ce moment. J’ai un peu délaissé le Genmaïcha. Je sais que ça ne durera pas. Parfois, c’est un Bencha (thé vert japonais) ; mais lui me parle un peu moins le matin. Puis je me pose dans la banquette, et je laisse le soleil monter tranquillement dans le ciel, en buvant mon thé. Je ne me dépêche pas. Le Chamion est un vieux monsieur, et son démarreur a de plus en plus de mal le matin. Et pourtant, je tire encore et toujours dessus. Et à chaque fois, après un long moment, le moteur fini par démarrer, dans un magnifique nuage qui aurait fait le bonheur des illustrateurs de propagande des années 1920. Oui, bon ; j’ai un siècle de retard… enfin… pour ne pas être trop dur avec mon démarreur et avec le Chamion, je laisse la température ambiante monter un peu. En plus, ça me fait une excuse pour trainer ; pour prendre mon temps. Je n’ai pas vraiment besoin d’excuses, je dois bien le reconnaître. Mais je fais semblant…

    Ce matin là n’a pas dérogé à la règle. Et ce n’était plus vraiment le matin quand j’ai quitté mon petit parking tout calme, tranquille et confortable. J’ai décidé de ne pas m’arrêter à Lumbier. Le village a l’air beau… mais je ne me sens pas inspiré. Je sais que j’ai d’autres gorges qui m’attendent et, je dois bien le reconnaître, j’ai quand même un peu hâte !

    Foz de Arbayun

    Une autre belle journée ; encore du ciel bleu ; une route agréable. Une conduite tranquille… ma première étape sera la foz de Arbayún ; la gorge la plus majestueuse de Navarre paraît-il. Ça promet ! J’avais regardé rapidement, sans trop m’attarder. A priori, pour s’y promener, il fallait s’arrêter au village d’Usún. Mais il n’y a pas d’indications particulières quand j’arrive au carrefour qui devrait m’y conduire ; je me dis qu’il devrait sans doute y avoir un autre départ, de l’autre bout de la gorge. Le côté plus touristique, où l’on retrouve en plus les panoramas.

    Sauf qu’en fait, d’accès de ce côté là, il n’y en a pas. Donc pas de visite de foz pour moi aujourd’hui. Je m’arrête quand même à nouveau juste après, pour un joli petit pont. Qui me plonge soudainement en plein hiver. Pour la première fois de la journée… mais clairement pas pour la dernière comme je devais le découvrir un peu plus tard.

    Foz de Benasa

    Je ne roule pas beaucoup plus longtemps avant de voir un nouveau panneau « Foz de Benasa ». En fait, des gorges, dans le coin, ils en ont vraiment plein. Des montagnes dans tous les sens, autant de rivières… c’est pas vraiment surprenant… mais ça reste magnifique, et je ne m’en plains pas.

    Le parking est assez grand. Par habitude autant que par confort, je m’arrange pour garer le Chamion à l’horizontal, le nez vers le sud (je prends soin de mes panneaux solaires !). Et je pars pour une petite balade tranquille, pour aller voir la foz de Benasa. Petite balade tranquille. Comme la veille donc…

    Avec le relief escarpé, il y a de nombreuses zones qui ne voient jamais le soleil en ce moment. Comme les nuits sont fraiches (allez, disons le, elles sont même froides) y’a pas mal de zones couvertes de givre. Et du coup, mon début de balade me fait passer du printemps à l’hiver et revenir au printemps. Et j’aime vraiment beaucoup cette sensation. Les écarts de température étant quand même raisonnables d’une saison à l’autre.

    Puis vient le moment de l’hésitation. À partir de là, on peut suivre la rivière, et rentrer dans les gorges. La famille qui était juste devant moi fait demi-tour. Pour une raison assez simple : dans un premier temps, la rivière fait bien toute la largeur disponible. Le chemin, c’est donc la rivière. Il faut donc se mouiller un peu les pieds pour continuer. Moment d’hésitations, donc, qui dure… non, en fait, aucune hésitation. C’est juste magnifique ! Je continue ; j’ai bien envie d’aller voir un peu plus loin.

    Je fais comme je peux les photos à contre jour. Mais je m’en sors pas trop mal, je crois… tout en étant conscient comme d’habitude que ni les photos ni les mots ne rendront ce que je ressens. C’est de toute beauté… c’est le genre de paysage que je cherchais pour mon dernier livre, et que j’avais fini par trouver en Terra Alta. Une première fois, puis une deuxième… et finalement, j’arrivais à trouver exactement ce que je cherchais, en faisant un mixte entre la rivière Estret dans le parc naturel Del Ports et la vallée de la Fontcalda… que j’ai plaisir à explorer ces lieux inaccessibles, qui se découvrent que si on les cherche vraiment…

    Alors forcément, je me laisse tenter par le chemin qui remonte la rivière. Et je continue d’explorer les rives de la Benasa. Printemps. Hiver. Printemps. Hiver… cette fois, ce n’est pas le contre jour qui posera problème à l’appareil, mais la basse luminosité… et beaucoup de photos floues, à mon grand regret. Des fois, je devrais en faire un peu moins. Mais prendre le temps de vérifier. Peut être…

    Et puis j’arrive à un nouveau point d’hésitation. Ça fait un moment que je marche, maintenant. Et que je suis la rivière. Si je reste dans l’idée d’une balade tranquille, il faut désormais que je fasse demi-tour. Oui mais… le chemin commence à monter ; il semble vouloir aller explorer un peu plus loin. Et encore un peu plus loin après. Et j’ai quand même envie d’aller jeter un coup d’œil un peu après… alors je continue… je grimpe un peu, perds puis retrouve le sentier. Retrouve la rivière. Et marche. Encore et encore. Longtemps… parce que c’est beau. Parce que ça fait du bien !

    La rivière finit par se tarir. Je me doute bien de la raison… et j’en ai confirmation un peu plus tard. Oui, là je suis encore au plein cœur de l’hiver… d’ailleurs, pour ceux qui se poseraient la question « mais… n’a-t-il point froid ?» eh bien qu’ils soient rassurés : grâce à ma tata, j’ai depuis quelque temps un pantalon et un pull en… goretex je crois ? En tout cas, en truc qui tient chaud. Portée en deuxième couche, sous mes vêtements habituels (et plutôt estivaux) c’est juste parfait. Je peux continuer à porter mes vêtements préférés, tout en ayant pas froid (merci tata !).

    Et donc, oui, rivière gelée… un panneau me propose deux directions possibles. Plutôt que de suivre « la piste » moi je continue à suivre ma rivière. Elle doit bien finir par arriver quelque part…

    Et moi, je continue de m’émerveiller… je me demande quand est-ce que je ferais demi-tour. Je me demande s’il y a un espoir que cette balade finisse en boucle à un moment ? Au fin fond de ma gorge, je n’ai évidemment aucun moyen de vérifier sur internet. Le frisson de l’inconnu ! Je marche toujours. Il devient de plus en plus difficile d’obtenir des indications fiables.

    Bon, après avoir déneigé le panneau, j’ai pu continuer de suivre aisément ma rivière. Enfin aisément, c’est vite dit. Parce que à nouveau, le chemin, c’est la rivière. Sauf que la rivière, bin là, elle est gelée… alors j’avance en faisant de plus en plus attention, en me répétant qu’il faudra bien que je me décide à faire demi-tour à un moment…

    En fait, c’est le passage un peu délicat de ce genre de randonnée. À un moment, il faut faire demi-tour. Je suis bien conscient que je marche plus ou moins tout droit dans la même direction depuis le début. Une boucle existe peut être, mais jusqu’à présent, je n’en ai vu aucune trace. Bon, il est encore tôt, j’ai encore beaucoup de temps devant moi… et j’aimerai trouver un endroit qui « justifie » de rebrousser chemin. Je suis allé jusque « là », j’ai vu ce qu’il y avait à voir. C’est parfait.

    Alors je pousse encore un peu ; à nouveau, le chemin n’est pas super bien indiqué, mais comme le principe est de suivre le lit du ruisseau, l’orientation reste facile. Et puis je vois les falaises de moins en moins hautes sur les côtés. Depuis un moment je me dis « je crois que je vais arriver au bout de quelque chose » ; je pousse encore un peu. J’y suis presque…

    Et finalement, j’arrive quelque part. Enfin. Je sors des gorges, pour arriver dans une zone toute ensoleillée. Toute printanière. Je marche encore un peu, pour aller au sommet de la petite butte. Une cabane en pierre ? Et même une clôture barbelée ? Il doit y avoir un autre accès à la civilisation pas trop loin d’ici. J’ai aussi repéré deux cartouches sur le sol… donc oui, je ne suis pas forcément loin de quelque chose… j’attrape même un peu d’internet, je cherche un peu… mais je manque d’infos pour continuer. Je pense que je pourrais rejoindre une route, et rentrer en stop, mais ça ne me tente pas. J’ai atteint « là ». J’aime ce que j’y ai trouvé. J’aime cette cabane. Mon GPS m’indique 42.703031, -1.078047. Je note pour regarder plus tard.

    Plus tard, quand je vérifierai, je verrais une image satellite dont je ne sais que penser.

    En bleu, l’itinéraire que j’ai fait à l’aller. En rose, un chemin, confortable, qui aurait pu me ramener à une route, pour un retour en stop. Si j’avais franchi la barrière et fais dix mètres de plus, j’aurais atteint ce chemin. L’aurai-je suivi ? Sans savoir, je ne pense pas. Je trouve ça drôle, quand même, de m’être arrêté à 10 mètres de ce chemin…

    En orange, le chemin que je ferais au retour. Quand j’arrive de nouveau au croisement qui me propose « pista », je décide de le suivre. Je pense qu’il va me faire grimper, et peut être profiter d’un sommet aux environs. En fait, non. J’arrive sur un chemin assez large. Et confortable. Et j’avoue que ça me convient de finir la balade sur cet itinéraire plus simple. Je me suis rajouté une bonne grimpette pour m’achever les jambes, mais je peux finir tranquille, sans chercher le sentier, sans me battre avec les branches. Je peux désormais marcher en mode automatique, tout en admirant le paysage.

    Je suis épuisé… le genre d’épuisement qui fait du bien. C’est une sensation que j’aime énormément en rando. Les jambes sont fatiguées, et pourtant elles continuent d’avancer en mode automatique. Parce qu’il le faut bien. Sans être trop épuisé. C’est pas une fatigue où j’en ai marre et où je veux tout laisser tomber ; j’ai encore de l’énergie. Un mini fond de réserve. Je pourrais marcher encore, s’il le fallait. J’ai pas envie, mais je pourrais. Et c’est une sensation super agréable. D’être au bord de la limite. Juste avant…

    Quand je m’arrête pour faire une photo, je mets trente secondes à redécoller après. Je me trouve des excuses pour m’arrêter un peu plus souvent. C’est une forme de fatigue super agréable… mais j’ai quand même hâte d’arriver au Chamion. Et surtout, ça fait énormément de bien. Pour le moral. Pour le bien être. Ça fait juste tellement de bien… contrairement à hier où la fin de balade était pénible, avec des ronces parce que j’ai voulu prendre un raccourci, là, la fin de balade est juste posée tranquille. Pas besoin de réfléchir. Les jambes avancent toutes seules.

    Et puis il y a cette vision, si agréable… un chez nous, qui apparait enfin… qu’ai-je donc été inspiré de le garer à l’horizontal, et face au sud… je ne me sens pas de le bouger ce soir. Je pense plutôt à la bouteille de bière entamée la veille… elle n’aura pas le temps de se dégazer.

    Ma petite balade d’une heure m’aura donc pris 5h15. C’est pas mal pour se reposer… mais j’en ai plein les yeux (et plein les jambes, il est vrai). Je suis heureux. Je suis bien. Et puis franchement, elle est pas belle la vue ?

     

    2 commentaires

    1. Commentaire de Bernadette Suchod

      C’est du Thermolactyl (force 5, le max !). Merci Damart !

      Ce sont des endroits superbes mais ça m’impressionne que tu arrives à faire des trucs pareils !

    2. Commentaire de Patrice GEORGES

      Que de beaux endroits! Comme je te comprends! Moi c’est en moto, mais qu’est ce qu’il peu bien y avoir derrière ce virage, cette montée, cette montagne!Moi par contre mon défaut c’est de ne pas toujours savoir m’arrêter pour profiter de ce qu’il y a à voir.

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