Je suis venu à Duluth pour la première fois en 2010, alors que je voyageais à bord du Pourquoi Pas ?. Je venais de faire toute la rive nord du lac Supérieur, une expérience que j’avais trouvé très forte. D’ailleurs, j’écrivais même « Il va rester un long moment dans ma mémoire lui, et il va falloir que je lui rende visite à nouveau un de ces jours ! » (c’était en conclusion de plein de chiffres à propos du lac). C’est chose faite. Je lui ai fait une autre visite. J’ai fait toute la rive sud. Un tour complet, donc, qui m’aura pris un peu plus de quatre ans.
L’une des raisons pour laquelle je garde un lien très fort avec le lac, c’est surtout que c’est sur ses berges que j’ai commencé à écrire « À Vancouver, tourne à gauche ». Le livre n’avait alors aucun titre. Ce n’était qu’un projet abstrait. Je n’avais aucune idée de où je m’en allais. J’étais juste parti d’un postulat : « et si les choses s’étaient passées autrement ? ». La rencontre entre le narrateur st Sally a été à la base de tout… et personnellement, j’aime beaucoup ce qu’il se passe entre eux deux quand ils sont à Duluth. Tout cela est parti d’une photo que j’ai prise, simplement intitulée « Jeune fille à la fenêtre ».
Écrire est une expérience très particulière. On invente des personnages, pour découvrir qu’on en perd le contrôle. Nos personnages commencent par agir d’eux mêmes, prenant leurs propres décisions. Et l’écrivain se contente de suivre, surpris. Jacques Poulin explique très bien le phénomène dans « Vieux Chagrin » où son personnage essaie désespérément d’écrire une histoire d’amour, qui n’a de cesse d’évoluer vers une histoire d’amour. En dehors de cet aspect du livre, « Vieux Chagrin » est une magnifique porte d’entrée dans l’univers de Jacques Poulin, et j’en recommande très fortement la lecture (et oui, c’est ce même Jacques Poulin qui a fortement inspiré ma propre écriture).
L’autofiction rajoute une autre couche à l’expérience, puisqu’elle mêle réalité et fiction. À ce que j’ai vécu se rajoute le calque des « souvenirs inventés ». Dans la réalité, j’étais seul à Duluth. Pourtant, il y a cette réalité parallèle où le narrateur (et par extension, moi même) mangeait des frites à Duluth. J’en ai mangé, des frites, mais c’était à l’intérieur, et elles accompagnaient un hamburger destiné à tuer toute personne faisant du cholestérol. Et moi, j’avais envie de manger de simples frites.
À vrai dire, si mon voyage s’était passé deux ans plus tard, la Canal Park Brewing Company aurait été ouverte, et sans doute Sally aurait offert une bière au narrateur à la place (peut être dans une réédition :) ). Mais c’est pas grave. Moi, j’ai eu mes frites, et j’ai eu ma bière.
J’ai aussi retrouvé ma maison à moitié engloutie. Elle paraissait vide et abandonnée, en ce jour d’école, où l’eau était froide, et où personne ne l’utilisait comme plongeoir.
Et j’ai retrouvé mon pont levant (que j’ai moins mitraillé que la dernière fois, comme il n’a pas beaucoup changé depuis).
Le plaisir de revenir à des endroits que l’on connait déjà…
J’ai pu mettre à jour mes souvenirs, avant de me décider à quitter la ville. Pour ça, je me suis installé en plein centre ville, à l’entrée de l’autoroute, avec un panneau indiquant « Sud ». Je me doutais que ce n’était pas intelligent de rester au centre ville. Je me disais bien que personne n’allait s’arrêter. Un peu plus tôt, j’avais repéré les horaires de bus, pour aller à Minneapolis, et je pense que mon subconscient avait décidé que je devrais prendre le bus. Alors je suis resté debout sur mon trottoir, pendant deux heures, sans aller nul part, à me demander ce que je faisais là. Échangeant quelques mots, parfois, avec les rares passants qui empruntaient mon trottoir.
Un agent de police a fini par venir me voir, pour un contrôle d’identité, en m’informant qu’il était illégal de faire du stop au Minnesota. Ça faisait deux heures que j’étais là, j’avais vu plusieurs voitures de police passer devant moi, sans qu’elles ne s’arrêtent. J’en ai déduis que quelqu’un avait du prévenir la police qu’il y avait un gars qui faisait du stop. Alors il est venu me voir. M’a demandé mes papiers. A regardé mon passeport canadien. A dit à son collègue, dans son talky, « tout va bien, c’est un québécois ». On a discuté un peu. Très sympa, souriant, il m’a demandé mes projets. Je lui ai dit que j’avais bien l’intention de traverser les États-Uns en stop. Il m’a sourit, et m’a souhaité bonne chance. Puis il est parti, en me rappelant « et n’oubliez pas, comme je vous ai dit, le stop est “illégal” au Minnesota ». Les guillemets, il les a bien fait, avec ses doigts. Le message était clair. Il ne voulait pas me déranger, il venait juste vérifier que tout allait bien, que je n’étais pas un terroriste musulman (comme m’avait sûrement décrit la personne qui a du appeler le 911). Je pouvais rester si j’en avais envie.
Mais j’étais là depuis deux heures, le bus allait bientôt partir. Il n’y en avait qu’un seul, je ne voulais pas le rater. Alors j’ai pris mon sac à dos, et je me suis dépêché. Je suis allé au centre d’information touristique, où on m’a donné l’adresse du terminus d’autobus, puis on m’a dit d’aller au centre d’information des transports, pour avoir le chemin pour aller là bas. Ça a été un peu compliqué, mais je suis arrivé à 16h44 après avoir fait 20 minutes de bus vers l’ouest. Le bus partait à 16h45. J’ai embarqué. On a traversé la ville, pour aller à 10 minutes de bus ver l’est. Puis retraverser la ville, pour retourner au point de départ, où la chauffeuse avait oublié de déposer un colis. Puis finalement, après tout ces allers-retours, on est parti.
J’ai dit au-revoir au lac Supérieur, et à sa voie Maritime, qui me reliait à Montréal. J’ai dit au-revoir à la deuxième étape de mon voyage. Je me suis posé, bien confortablement, avec mon livre, à regarder le paysage défilé. Sous un magnifique ciel d’orage, avec des couleurs absolument superbes. Tout au long de la route, j’ai pu le vérifier : le Minnesota est bien l’État aux 10,000 lacs. Toujours loin derrière le Québec, donc, mais quand même magnifique à traverser.
Je suis arrivé à Minneapolis, où Kelly m’attendait. En plus de mon sac à dos, j’avais un sourire encore un peu plus grand. Et des souvenirs de Duluth que je n’avais pas encore.