« You may say, I’m a dreamer, but I’m not the only one »
Non, en effet, je n’étais pas le seul rêveur, le week-end passé, à Airvault. À vrai dire, nous étions beaucoup plus nombreux que ce que j’avais pensé.
J’ai entendu parlé du festival « le rêve de l’Aborigène » un peu par hasard. Mais j’ai tout de suite voulu en savoir plus. L’Australie, après tout, n’est pas si loin que ça dans ma mémoire. Pas plus que les légendes Aborigènes, leur mode de vie, et leurs histoires. Le temps des rêves, chez les Aborigènes, c’est le « avant ». Quand humains et animaux ne faisaient qu’un, quand les légendes marchaient encore dans le désert australien. Quand le paysage s’est formé. Le temps des rêves ; le temps des mythes fondateurs. Le nom, à lui seul, a suffit à m’intriguer, à m’inspirer, et je suis parti en quête d’information.
Dans le domaine de Soulièvres, à côté d’Airvault (dans les Deux Sèvres) il y a un magnifique bouquet de grands cèdres. Chaque année, le temps d’un week-end, les arbres accueillent la scène sur laquelle se tiendrait de nombreux concerts. Le rêve de l’Aborigène suit trois axes principaux :
- un festival dans le respect de la nature et de l’humain : avec mes expériences de festival passées, je sais que c’est le genre de festival que je recherche. Ou plutôt, je recherche les festivaliers que ce genre d’événements attirent. Des joyeux hippies, qui aiment faire la fête simplement. L’Australie, justement, m’avait appris à me méfier. Il y avait le risque d’une déception comme au Comfest, ou d’une expérience magnifique, comme au Wide Open Space et au Barunga Aboriginal Festival. Et, évidemment, tout ce que l’on retrouvait entre les deux…
- un festival de découvertes musicales et culturelles. Musiques traditionnelles des peuples autochtones et premiers instruments. Didgeridoo, guimbarde, harmonium, et chants diaphoniques. L’aspect culturel ne m’interpellait pas plus que ça. Par contre, je sais ce qu’un bon joueur de didgéridoo est capable de faire. Et c’est exactement le genre de musique dont j’avais envie/besoin. Je n’ai pas écouté d’extraits. Mais j’ai lu les descriptions. J’étais confiant.
- un festival familial et sans alcool. Oui, j’ai fortement accroché sur le sans alcool. Mais deux expériences précédentes de festival en France (Kumpania prêt de Toulouse et l’Ilophone sur l’île de Queron) m’ont tout deux montrés que les festivaliers français imbibés d’alcool deviennent facilement difficiles à supporter. J’aimais l’idée d’un festival sans bouteilles de bière trainant partout, sans gobelet, et sans personne inutilement agressive et insupportable. De mon côté, n’ayant absolument aucun besoin de boire pour m’amuser et pour danser toute la nuit, l’absence d’alcool ne pouvait donc qu’être une bonne chose.
N’ayant personne pour m’accompagner, j’ai hésité jusqu’à la dernière minute. Avant de finalement me décider. Vendredi soir, je quitte le boulot, je passe prendre mes affaires, et je me prépare pour quatre heures de route…
Je vous évite les inévitables péripéties quand on décide de quitter Paris un vendredi soir à 18h30. Je préfère me téléreporter directement à 15 kilomètres de l’arrivée. Il est 23h15. Je m’apprête à arriver au milieu d’un camping transformé en site de festival pour les 400 personnes qui sont venues. Je suis déjà prêt à m’excuser d’arriver aussi tard… quand je vois deux stoppeurs sur le bord de la route. Il y a, dans la vie, des vérités absolues. Par exemple, deux personnes qui font du stop, au milieu de la nuit, à 15 kilomètres du festival où l’on va, vont forcément dans la même direction. Je m’arrête donc, sans penser au fait que ma pauvre petite Twingo est bien remplie. Oui, c’est la première sortie publique de mon swag. Et je trouve qu’amener à un swag à un festival aborigène, c’est assez rationnel. Comme on ne va pas très loin, on s’empile un peu, et tout se passe bien. Colin repère immédiatement ma flûte. Il l’attrape. Commence à en jouer sans problème. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un capable d’en sortir un son au premier coup. Je suis dors et déjà impressionné. Avec Clément, ils arrivent de Lyon. En stop. Ils sont partis à midi, par les chemins de traverses. Ils commençaient à douter d’arriver au festival ce soir. Ils sont bien contents de finalement arriver. Et moi je suis bien content de ne pas arriver tout seul.
C’est leur première fois à eux aussi, et leurs attentes sont les mêmes que les miennes. Quelques centaines de personnes. C’est en voyant le nombre de bénévole pour la gestion du parking, ainsi que la taille de celui-ci, que l’on comprend que l’on s’est peut être un peu trompé. Le panneau à l’entrée nous le confirme. Plus de 4000 participants l’année dernière. D’accord. Petite erreur d’appréciation. C’est pas grave du tout. Au contraire. Plus de monde, plus de fun.
L’arrivée sur le site de nuit permet de se garder quelques surprises pour le lendemain, l’idée me plait. Les gens sont heureux, souriants, enthousiastes. J’ai le même sourire. La même joie de vivre. On retrouve le look habituel. Dreads. Tatoos. Piercing. Vêtements dans des tons de verts, bruns, violets. Bracelets. Cuirs. J’aime ce look. J’aime sa légèreté. J’aime ce qu’il communique. Le seul petit bémol : les deux gardiens de sécurité, à l’entrée, avec l’énorme berger allemand. Je me demande un peu ce qu’ils viennent faire là…
On marche jusqu’au camping, déposer nos affaires. Mon swag est installé en 17 secondes, comme d’habitude. J’attends mes deux nouveaux compagnons qui mettent quelques minutes à monter leur tente, et puis on se dirige vers la musique. J’entends les didgéridoos. J’entends les percussions. Les chants. J’ai hâte. Et puis je repère les flammes, sur le côté. Sans surprise, la non plus. J’ai mon appareil photo. Colin et Clément m’ont déjà perdu. On ne se retrouvera que le lendemain. J’admire. Flammes et didgéridoos. Bonheur à l’état brut. Jusqu’au moment où je me décide, à mon tour, à aller danser. Je me suis levé tôt. J’ai roulé un peu plus de 400 kilomètres, dont pas mal de bouchons. Mais la musique est là. Elle me tient. Elle m’emporte. Elle me transporte. Et je danserais sans aucun problème jusqu’à deux heures du matin. Les cèdres, au dessus de la scène, sont magnifiques.
Je n’avais pas dormi dans mon swag depuis trop longtemps. Me retrouver sous les étoiles, à admirer ce ciel qui n’en fini pas…. j’ai pu retrouver la voie lactée. Pour mon plus grand plaisir. Je me suis endormi, bercé par le bruit du festival.
Les deux jours qui ont suivi n’ont été qu’un rêve des plus agréables. À déambuler entre les stands du festival, manger léger et santé (ça ne m’était pas arrivé depuis un moment !), discuter au hasard des rencontres (mon didgéridoo en spiral continue d’attirer l’attention). Et surtout, regarder les gens autour de moi. J’ai eu l’impression d’être de retour au Wide Open Space. J’avais ce même sentiment de joie de vivre simple. De gens qui s’amusaient, qui prenaient la vie avec le sourire. Qui se contentait d’être. La vie est quelque chose de bien trop important pour être pris avec sérieux, et ils l’ont bien compris.
Après une matinée et un début d’après-midi tranquille, la musique a recommencé à jouer sur la scène principale, et j’ai pu aller de découverte en découverte, passant l’après midi à danser, puis à faire du bâton. Puis à poser le bâton pour danser, avant de le reprendre à nouveau. Si la veille, j’avais bien aimé « l’Appel de la Forêt », « Yakch’e » sera mon coup de coeur du festival. La voix envoutante de la chanteuse, soutenu par le talent musical aussi bien au didgéridoo qu’au wang ou aux flûtes de son accompagnateur. Des rythmes lents. D’autres qui donnent envie de danser. D’autres, enfin, qui font sauter dans tous les sens.
La nuit tombée, les poïs et les bâtons s’enflamment. Je me joins au groupe de pyromanes, accompagné, une fois de plus, par les rythmes entraînant des didgéridoos. La soirée se terminera par le groupe Olive Tree Dance. Trois musiciens complètement fous, et d’un talent incroyable. Si au final la prestation est, à mon sens, plus technique qu’artistique, elle n’en reste pas moins une décharge d’énergie comme j’en ai rarement ressenti. Et je dois bien avouer que jusqu’à présent, je n’ai jamais vu un joueur de didgéridoo aussi talentueux que celui de Olive Tree Dance. Accompagné par un batteur et un percussionniste, jouant sur avec le public, délirant avec leur musique, ils feront explosé la foule du festival, qui les aurait suivi sans aucun problème jusqu’au petit matin. J’admire notamment l’attitude du joueur de didgéridoo. Personnage central du groupe, à la prestance incroyable sur scène. Il sait l’effet qu’il produit. Il sait qu’il maîtrise son instrument. Il sait qu’il va conquérir le public. Il se rend bien compte que les gens l’aiment. Il joue là dessus. Il en joue magnifiquement bien.
Mais la musique se termine finalement. L’animateur nous souhaite bonne nuit, non sans rappeler que demain c’est le corroborée, et qu’il faut bien que chacun pense à amener son didgéridoo. Je n’ai aucune idée de ce dont il s’agit. Mais quand je pense au nombre de didgéridoo que j’ai pu voir aujourd’hui, je me dis que je n’ai pas le droit de manquer ça.
Sur le chemin du retour, je tombe sur Colin et Clément. Le festival est de taille tout à fait honnête. Il y a plein de gens, et en même temps on recroise souvent les mêmes personnes. On discute donc un petit moment, avant que je retourne finalement à mon swag et à ma voie lactée.
Il y a, dans ce genre d’événement, une énergie créative qui est palpable. Les gens rayonnent, échangent, partagent. Et moi, je me nourris. Je vampirise autour de moi sans la moindre hésitation. Les conséquences se font sentir le lendemain matin. À peine réveiller, j’attrape mon carnet, je me pose sur un banc, et j’écris. Je passe une bonne paire d’heures à avancer la suite de mon roman. J’en suis heureux. L’endroit est parfait pour trouver l’inspiration.
À 14h30, je suis repassé posé mon carnet, que j’ai troqué contre mon didgéridoo, et je me dirige vers la scène principale. Les didgéridoos s’installent en rond. En plein soleil. Je ne suis plus à ça prêt. Je suis rouge depuis la fin de l’après midi de la veille. Je ne suis pas le seul. Le week-end a été magnifiquement beau, magnifiquement chaud. On souffre tous. On est heureux de souffrir.
Nous sommes plusieurs dizaines. Peut être une centaine. Je n’arrive pas à chiffrer vraiment. En cercle. Tout autour de nous, les autres festivaliers. Le son se construit petit à petit. Immense vibration qui emplit l’atmosphère, et qui se répercute tout autour de nous. Les instruments se fondent tous ensemble. Une lente pulsation s’installe. Sourde. Profonde. Intense. Elle vient me chercher au plus profond de moi. J’oublie la chaleur. J’oubli mon souffle court. J’oubli ma fatigue. J’oublie mes lèvres douloureuses au bout d’un moment. Nous sommes le coeur du festival, et nous jouons à l’unisson. Un cortège se forme, tout en continuant à jouer. Nous allons rendre hommage au totem du festival. Une dernière note. Un grand silence. Les gens sont assis par terre, en cercles concentriques. Les yeux fermés. Pas un bruit. Je m’abandonne, moi aussi, à ce vide, me reconnectant avec moi même. Avec ce qui m’entoure. Retrouvant des sensations que je ne recherche pas assez souvent à mon goût. Le silence dure… avant d’être brisé par la vibration d’un didgéridoo. D’autres se joignent. C’est un au revoir. Les gens se dispersent. Des petits groupes se forment. Je reste un long moment assis, porté par le son hypnotique de quatre didgéridoos. Ils entourent une fille, allongée par terre, au soleil. On devine les vibrations des instruments qui parcourt son corps. Je peux presque sentir l’énergie qui l’entoure. Je vois la musique autour d’elle. Quand les instruments s’arrêteront finalement, elle mettra un long moment avant de rouvrir les yeux, et reprendre le contrôle de son esprit.
Il me reste le temps pour un dernier concert. Les « Deux Fanta sticks » viennent clore mon festival en beauté. Encore un peu de rêve, encore un peu de danse, encore un peu de vibration et de musique. Il est déjà temps pour moi de partir. Qu’elle me semble lointaine cette époque où je pouvais rester à un endroit aussi longtemps que je le voulais. Sans contrainte. Sans attache. Sans temps.
Je retrouve Carla, une brésilienne venue au festival un peu par hasard. Elle cherchait un covoiturage pour rentrer sur Paris. C’était parfait pour moi, bien heureux d’avoir un peu de compagnie sur le chemin du retour, et d’étirer le rêve pendant quelques heures supplémentaires.
Il est onze heures du soir quand nous arrivons à Paris. Même à cette heure là, il y a des embouteillages. La transition est intense. Le retour à la réalité est violent. Je me remémore, quelques années plus tôt, alors que je quittais San Francisco. J’avais enfin compris le sens de « Burn, Baby, Burn ».
Oui, Babylone, il faudra que tu brûles un jour.
Toujours aussi envoutant !
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